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d'aperçus divers, au lieu qu'il nous est facile de combattre des assertions, des thèses philosophiques, dont la justification ni la réfutation ne peuvent dépendre de la méthode expérimentale, nous allons nous borner ici à la critique d'un point fondamental de la doctrine de l'auteur. Ce ne sera pas du moins sans avoir assuré à tous ceux qui voudront lire son ouvrage qu'ils en retireront une instruction sérieuse sur des sujets de pathologie psychologique touchant lesquels on ne trouve ailleurs que des renseignements disséminés chez les physiologistes et les aliénistes. Il est incontestable que ces sujets sont d'un grand intérêt pour le philosophe, et on ne refusera pas à M. R. le mérite d'exposer les faits avec clarté et brièveté.

La méthode de l'auteur est systématiquement toute physiologique, mais sa doctrine dépasse de beaucoup ce que l'état actuel de nos connaissances et même l'attente de leurs progrès futurs permet d'espérer, en cette matière, pour l'élucidation des questions principalement débattues entre les philosophes. On ne voit point chez lui comment l'analyse de celles des conditions des phénomènes psychologiques qui ont leur siège dans le système nerveux pourraient jamais nous autoriser à réduire toutes leurs conditions réelles à celles-là seules, comme suffisantes aussi bien que nécessaires; et c'est pourtant là une affirmation impliquée dans la définition générale qu'il propose de la mémoire. Sa doctrine, à cet égard, paraît sans fondement. D'une autre part, si nous considérons le travail de M. R. sous un point de vue scientifique, et non plus philosophique ou spécialement psychologique, nous sommes forcés de remarquer que toutes les déterminations et liaisons, en nombre incalculable, qu'on suppose dans le système nerveux pour correspondre aux phénomènes mentals (dans l'espèce, à ceux de la mémoire) restent dans le vague et ne satisfont à aucune des moindres exigences de la science positive. Le reproche en a été adressé, non sans force (1), à l'auteur qui ne pouvait mieux faire et qui certainement n'a pas entendu nous décrire des phénomènes précis et des lois précises de l'organisation dont pas un physiologiste n'est encore en état de dire le premier mot. Nous sommes loin, quant à nous, de dédaigner ce qu'il est possible aujourd'hui d'indiquer, si vague soit-il, sur les modifications et combinaisons merveilleusement multipliées, des phénomènes de l'organisme central en rapport avec les mouvements externes d'un côté, et avec les sensations et les idées de l'autre. C'est un sujet aussi important que difficile à explorer et dont on ne se préoccupera jamais trop. Seulement nous ne voyons pas que, dans le cas même où l'étude en serait poussée aussi loin que possible, sur un terrain vraiment scientifique physique, mécanique, il pourrait en jaillir une lumière quelconque sur un problème tel que celui-ci : Pourquoi, comment un phénomène mental de mémoire apparaît-il en conséquence

(1) Voir l'article de M. Guardia dans la Revue scientifique, no du 11 juin 1881.

de certaines dispositions et de certains ébranlements de fibres nerveuses? M. R. place l'« esssence » de la mémoire dans le fait biologique », lequel, si nous nous formons une juste idée de l'esprit actuel de la science, est un fait physique; et c'est, dit-il, « par accident » que la mémoire est « un fait psychologique ». Singulière doctrine, en vérité! Ce qu'elle présente comme un accident, dans la mémoire, c'est le fait sans lequel il n'y aurait personne au monde pour parler de la mémoire, ou pour avoir l'ombre d'une idée de ce qu'elle est, Otez l'accident, et non seulement vous faites disparaître la science et les savants, la biologie et les biologistes, mais le fait biologique lui-même; car s'il n'existait pas dans la nature un seul animalcule qui possédât un état mental, avec une conscience quelconque de quelque chose en dehors du moment présent, il n'y aurait ni besoin, ni désir, ni perception à aucun degré, puisqu'il n'en est aucune dont la conscience se produise indépendamment du sentiment d'une succession; et il n'existerait donc plus aucun être en qui pût se constater le fait biologique. Ce dernier se réduirait au fait physique purement et simplement, -au fait physique, ajoutons-le, dont la donnée, universellement inapercevable, serait alors comme non avenue et à vrai dire nulle.

L'auteur présente d'abord son travail au lecteur en termes des plus modestes: « Je me suis proposé de donner une monographie psychologique des maladies de la mémoire, et, autant que le permet l'état de nos connaissances, d'en tirer quelques conclusions... Je n'ai dit de la mémoire normale que ce qu'il fallait pour s'entendre... Je prie le lecteur de remarquer qu'on lui offre ici un essai de psychologie descriptive, rien de plus... » On vient pourtant d'entrevoir que M. R. ne s'est point interdit de faire entrer dans les prémisses mêmes ce qu'il n'avait pas le droit de placer dans les conclusions de sa psychologie descriptive. Et, selon nous, ce qu'il a dit de la mémoire normale est tellement loin de n'être justement que ce qu'il fallait pour s'entendre, que nous y voyons, au contraire, ce qu'il y a de plus propre à empêcher qu'on ne s'entende. Il est certain que chacun pense et comprend à merveille qu'il n'y a pas de mémoire là où il n'y a pas un sentiment clair ou confus de la succession et du temps, là où rien n'est impliqué sur un ordre de phénomènes autre que de simultanéité ou coexistence, M. R. reconnaît ce fait de pensée commune et de langage, mais il propose une façon de parler nouvelle, d'après laquelle l'idée du temps n'est pas inhérente à la mémoire, mais simplement surajoutée ;

« Dans l'acception courante du mot, la mémoire, de l'avis de tout le monde, comprend trois choses: la conservation de certains états, leur reproduction, leur localisation dans le passé. Ce n'est là cependant qu'une sorte de mémoire, celle qu'on peut appeler parfaite. Ces trois éléments sont de valeur inégale: les deux premiers sont nécessaires, indispensables; le troisième, celui que dans le langage de l'école on

appelle la reconnaissance, achève la mémoire, mais ne la constitue pas. Supprimez les deux premiers, la mémoire est anéantie; supprimez le troisième, la mémoire cesse d'exister pour elle-même, mais sans cesser d'exister en elle-même. Ce troisième élément, qui est exclusivement psychologique, se montre donc à nous comme surajouté aux deux autres: ils sont stables; il est instable, il paraît et disparaît; ce qu'il représente, c'est l'apport de la conscience dans le fait de la mémoire, rien de plus. » Remarquons d'abord que le terme de reconnaissance adopté par l'auteur, d'après le « langage de l'école » pour qualifier son « troisième élément » de la mémoire, est sujet à la critique, attendu que le fait mental le plus profond et le plus caractéristique ne consiste pas ici dans l'acte de reconnaître un phénomène déjà produit, quand il se reproduit, puis de le classer dans le temps. Ce fait est plus proprement l'acte par lequel une conscience, même inférieure, discerne ses propres actes ou états comme relatifs les uns aux autres sous le rapport de l'avant et de l'après: acte au défaut duquel il ne saurait y avoir chez l'animal ni besoins sentis, ni appétits, ni perceptions autres qu'instantanées, uniques et invariables, c'est-à-dire insensibles pour lui-même et nulles.

Ceci dit, nous ne pouvons accorder ni que les deux premiers éléments constituent jamais à eux seuls une mémoire, car il y manque la classification de deux phénomènes secundum prius et posterius, ni que la suppression de ces deux mêmes éléments doive entraîner nécessairement, au point de vue de la conscience, l'anéantissement du troisième, qui est la mémoire proprement dite, attendu que l'idée que nous avons de ce troisième élément n'est ni atteinte ni touchée, et que, dans la supposition même où les conditions externes que nous en connaissons empiriquement seraient démontrées nécessaires, elles ne sont point en tout cas démontrées suffisantes. Il est absolument impossible de concevoir comment une donnée de phénomènes du genre de ceux qu'on imagine produits et physiquement enregistrés dans un organisme suffirait pour produire telle chose que leur représentation par avant et après dans une conscience. Un physiologiste qui n'est et ne veut être que physiologiste aurait le droit, que nous lui accorderions volontiers dans son champ d'études, de désigner par le nom de mémoire l'ensemble des faits de conservation et de reproduction des phénomènes associés et coordonnés du système nerveux, s'il les connaissait bien, qui sont corrélatifs des faits de mémoire mentale. C'est en effet le droit même qu'exerce, sans que personne songe à réclamer et à protester, le physicien qui nomme degrés de chaleur les degrés d'accroissement de volume d'une colonne thermométrique, quoiqu'il sache fort bien que la chaleur et ses degrés, comme sensations, sont tout autre chose que cela et tout autre chose que des mouvements. Mais aussi chacun sait que ce physicien ne fait pas de psychologie, ne parle pas en psychologiste. M. R., lui, prétend faire de la psychologie, encore, dit-il, que d'après une « nouvelle méthode », et

même de la « psychologie descriptive ». Il aurait à notre avis présenté son intéressante étude sous un aspect moins paradoxal, et elle n'y aurait rien perdu, s'il s'était borné à en caractériser la partie la plus générale comme un essai anticipé d'exposition de lois biologiques telles que l'état actuel de la science permet d'en imaginer en corrélation avec les phénomènes mentals de la mémoire.

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JOURNAL DES ÉCONOMISTES.

SOMMAIRE DU NUMÉRO DE JUIN 1881.

Un côté de l'histoire financière contemporaine. Le développement des établissements de crédit, par Ad. Blaise ; — Les banques dans l'antiquité, par A.-N. Bernardakis ; Comparaison du pouvoir de la monnaie à deux époques différentes, par G. Fauveau; Étude sur l'Amérique latine. Le Chili, par Ad.-F. de Fontpertuis; Le congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences, tenu à Alger, par Charles-M. Limousin; Notice biographique sur Léonce de Lavergne, par Lesage; Société d'économie politique; Comptes-rendus, Chronique économique; - Bibliographie économique.

Bulletin;

SOMMAIRE DU NUMÉRO DE JUILLET 1881.

Réflexions sur l'excès des richesses, par Du Mesnil-Marigny; consommation et les banques populaires, par Ernest Breslay;

Les sociétés de

D'un étalon

parallèle, par Edmond van Gectrayen; Revue des principales publications économiques de l'étranger, par Maurice Block; Le 13e congrès des coopérations anglaises, par Charles-M. Limousin; Bulletin; Correspondance; rendus; Chronique économique; Bibliographie économique.

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SOMMAIRE DU NUMÉRO D'AOUT 1881.

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Comptes

L'évolution politique au xixe siècle, série d'articles faisant suite à l'Evolution économique, par G. de Molinari, correspondant de l'Institut; Les banques dans l'antiquité (suite et fin), par A.-N. Bernadakis; — La fortune du clergé sous l'ancien régime, par Léouzon Le Duc, fils; Le comte Jean Arrivabene, discours de Virginio Ranzoli et Giovani Bruno, traduit de l'italien; Discussion sur la colonisation algérienne au congrès d'Alger; Loi sur la liberté de la presse; Décret sur l'enseignement secondaire spécial; Dissolution de l'Association pour la défense Discussion à la société d'Economie

de la liberté commerciale et industrielle; politique Réunion du 5 juillet 1881 : La statistique internationale des banques et les billets d'État italiens; Réunion du 5 août 1880: L'économie politique à la séance solennelle du concours général des lycées et collèges, succès de cet enseiguement dans les collèges et les écoles de droit; - Comptes-rendus ; - Bibliographie économique.

Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

Saint-Denis.

Imp. CH. LAMBERT, 17, rue de Paris.

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L'idée dominante du premier ouvrage de Saint-Simon Lettres d'un habilant de Genève à ses contemporains (1802), est celle dont il attribuait onze ans après la paternité à Burdin considérer la religion comme ayant pour forme à venir et dernière la science, pour dogme la conception d'une loi unique régissant l'univers, pour clergé le corps scientifique; et réorganiser la société à l'aide de la religion ainsi transformée et du nouveau pouvoir spirituel. En fait d'idées accessoires, mais importantes, il faut remarquer, dans ce même ouvrage, la caractérisation de la science et de son utilité par la prévision : « Un savant, dit Saint-Simon, est un homme qui prévoit »; - puis la même classification des sciences que le positivisme devait nommer leur hiérarchie : « Tous les phénomènes dont nous avons connaissance ont été partagés en différentes classes. Voici une manière de les diviser qui a été adoptée. Phénomènes astronomiques, physiques, chimiques, physiologiques » ; — puis des exemples de la prévision scientifique, de ses progrès et de ceux de la vérification; et les physiologistes, derniers venus de la série des savants, engagés à « chasser de leur société les philosophes, les moralistes et les métaphysiciens, comme les astronomes ont chassé les astrologues, comme les chimistes ont chassé les alchimistes ». Il reste à savoir comment on passera des sciences physiques à la science sociale, après avoir ainsi éliminé les seuls d'entre les savants qui aient paru jusqu'ici avoir quelques principes pouvant y conduire.

<< Mes amis », écrit Saint-Simon, s'adressant à la troisième classe de l'humanité, les non propriétaires, -il dit « messieurs » quand il parle aux savants, aux artistes et aux propriétaires, << mes amis, nous sommes des corps organisés; c'est en considérant comme physiologiques nos relations sociales que j'ai conçu le projet que je vous présente, et c'est par des considérations puisées dans le système que j'emploie pour lier les faits physiologiques que je vais vous démontrer la bonté du système que je vous présente ». On ne devinerait certes jamais en quoi consiste ce système que l'inventeur dit lui être inspiré par la considération des rapports so

CRIT. PHILOS.

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