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CONSPIRATION

POUR L'ÉGALITÉ,

DITE DE BABEUF.

PROCÈS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES.

PROCÈS.

ment.

L'emprisonnement des conspirateurs et le récit Emprisonnede la conspiration produisirent des sentimens différens; affliction et stupeur chez les opprimés, frémissement d'horreur et joie féroce chez les classes élevées, qui poussèrent des hurlemens de mort contre les babouvistes. De nombreux papiers saisis auprès de Babeuf firent entrevoir à l'aristocratie le moyen d'anéantir le parti qu'elle redoutait. En peu d'instans les cachots de l'Abbaye se remplirent de prévenus, qui y furent traînés à travers les marques du plus vif intérêt que leur prodiguaient le peuple et les soldats. La foule encombra pendant plusieurs jours les rues adjacentes à cette prison; mais bientôt les détenus furent séparés, et ceux qui parurent les plus compromis furent mis au secret dans les tours du Temple. Ils s'attendaient généralement à périr subitement sous les coups d'une commission militaire; Drouet les en préserva.

Drouet suspend le glaive

Par la constitution de l'an III, un député ne pou

prêt à frapper. Vait être jugé que sur une accusation du corps législatif et par une haute cour de justice dont les jurés étaient au choix des assemblées électorales des départemens. Il fallait plusieurs mois pour former ce tribunal extraordinaire qui ne pouvait siéger près de la commune où résidait le gou

Lettre de Babeuf au directoire.

vernement.

Drouet prévenu était député, et on fut forcé de surseoir au jugement des autres jusqu'à ce qu'on sût si, étant accusé, il n'entraînerait pas à son tribunal ceux dont il paraissait être complice. Deux jours après son emprisonnement, Babeuf adressa au directoire exécutif la lettre suivante :

Paris, 23 floréal, an IV de la république.

G. BABEUF, AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF.

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Regarderiez-vous au-dessous de vous, citoyens directeurs, de traiter avec moi comme de puissance à puissance? Vous avez vu à présent de quelle vaste confiance je suis le centre ! vous avez vu que mon parti peut bien balancer le vôtre ! vous avez vu quelles immenses ramifications y tiennent! j'en suis plus que convaincu, cet apperçu vous a fait trembler.

Est-il de votre intérêt, est-il de l'intérêt de la patrie de donner de l'éclat à la conjuration que

vous avez découverte? je ne le pense pas. Je motiverai comment mon opinion ne peut être suspecte.

Qu'arriverait-il, si cette affaire paraissait au grand jour ? que j'y jouerais le plus glorieux de tous les rôles j'y démontrerais avec toute la grandeur d'ame, avec l'énergie que vous me connaissez, la sainteté de la conspiration dont je n'ai jamais nié d'étre membre. Sortant de cette route lâche et frayée des dénégations dont le commun des accusés se sert pour parvenir à se justifier, j'oserais développer les grands principes, et plaider les droits éternels du peuple avec tout l'avantage que donne l'intime pénétration de la beauté de ce sujet ; j'oserais, dis-je, démontrer que ce procès ne serait pas celui de la justice mais celui du fort contre le faible, des oppresseurs contre les opprimés et leurs magnanimes défenseurs. On pourrait me condamner à la déportation, à la mort; mais mon jugement serait aussitôt réputé prononcé par le crime puissant contre la vertu faible; mon échafaud figurerait glorieusement à côté de celui de Barnevelt et de Sidney. Veut-on, et dès le lendemain de mon supplice, me préparer des autels auprès de ceux où l'on révère aujourd'hui comme d'illustres martyrs, les Robespierre et les Goujon? ce n'est point-là la voie qui assure les gouvernemens et les gouvernans.

:

» Vous avez vu, citoyens directeurs, que vous ne tenez rien lorsque je suis sous votre main; je ne suis pas toute la conspiration, il s'en faut bien je ne suis même qu'un simple point de la longue chaîne dont elle se compose. Vous avez à redouter toutes les autres parties autant que la mienne : cependant vous avez la preuve de tout l'intérêt qu'elles prennent à moi; vous les frapperiez toutes en me frappant, et vous les irriteriez.

pu

» Vous irriteriez, dis-je, toute la démocratie de la république française; et vous savez encore que ce n'est pas si peu de chose que vous aviez d'abord l'imaginer : reconnaissez que ce n'est pas seulement à Paris qu'elle existe fortement; voyez qu'il n'est pas un point des départemens où elle ne soit puissante. Vous la jugeriez bien mieux si vos captureurs avaient saisi la grande correspondance qui a mis à portée de former des nomenclatures dont vous n'avez aperçu que quelques fragmens. On a eu beau vouloir comprimer le feu sacré ; il brûle, et il brûlera; plus il parait dans certains instans anéanti, plus sa flamme menace de se réveiller subitement forte et explosive.

Entreprendriez-vous de vous délivrer en total de cette vaste secte sans-culottide qui n'a pas en

core voulu se déclarer vaincue ? Il faudrait d'a

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