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ment pour elles, mais encore pour leurs familles, des secours de toute nature dans cette souscription, dont l'organisation s'étend de Paris dans tous les départemens de la France! Cette souscription est une sorte d'assurance mutuelle (c'est l'expression littérale de l'un des deux écrits, et c'est le sens et le résultat de l'autre). Tous les individus, quels qu'ils soient, envers lesquels la loi du 26 mars sera exécutée, sont à l'avance proclamés des victimes de l'arbitraire, ou des infortunés dignes du plus vif intérêt (c'est encore l'expression.).

Nous vous le demandons, Messieurs: une semblable souscription, qu'on ouvre quatre jours après la promulgation de la loi, et que, par un nouvel abus d'un mot dont on a déjà tant de fois abusé, l'on décore, dans l'un des deux écrits, du titre de nationale; cette souscription n'est-elle pas une véritable protestation contre la loi du 26 mars? n'est-elle pas un véritable manifeste lancé contre l'œuvre qui sort des mains du législateur? n'estelle pas un appel interjeté, devant la multitude, contre la suprême décision que le législateur vient de rendre?

Quel est le but et quels sont les effets nécessaires d'une semblable souscription? De rendre odieuses les trois branches de la représentation nationale qui viennent de porter la loi, et de les dénoncer au peuple comme trahissant ses intérêts; de soulever l'indignation publique contre le Roi et les deux Chambres; de les offrir au courroux général comme coupables de félonie, et comme forgeant des chaînes, non contre les perturbateurs, mais contre la nation elle-même.

Nous vous le demandons, Messieurs, n'est-ce pas là

une attaque formelle, la plus forte, la plus insultante et la plus dangereuse peut-être de toutes, contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres?

Que si l'on venait offrir, pour justification de cet appel au peuple l'opinion que l'on a de l'inopportunité de la loi, nous répondrions que remettre en question devant le peuple ce qui vient d'être décidé par les trois branches de la représentation nationale, c'est précisément méconnaître et attaquer leur suprême autorité; c'est attribuer au peuple un droit supérieur à celui des pouvoirs constitutionnels; c'est détruire toute la constitution : nous répondrions, qu'élever à côté de la puissance constitutionnelle, qui commande au nom de l'intérêt général, une autre puissance arbitraire et fautastique, qui combat dans l'intérêt de ses passions, c'est compromettre l'édifice politique tout entier; c'est exposer la tranquillité publique; c'est attaquer dans leurs bases les pouvoirs constitutionnels, c'est-à-dire l'ordre social lui-même.

Mais, comme il n'est guères de choses dans ce monde qu'on ne puisse colorer de quelque apparence à l'aide de laquelle on cherche à déguiser la vérité, on se réfugie dans un système de défense, qui n'est autre chose qu'un démenti formel donné à l'évidence et au cri même de la conscience.

Cette souscription, dit-on, n'est qu'une association de bienfaisance; elle n'a eu pour but que de distribuer, par un pur motif d'humanité, des secours aux personnes qui seront atteintes par la loi d'exception : elle doit être assimilée aux sociétés pour l'amélioration des prisons, ou pour le soulagement des condamnés.

Eh bien! Messieurs, nous vous le déclarons avec franchise, s'il en est un seul d'entre vous qui, sur la lecture

des écrits qui vous sont dénoncés, se soit formé cette idée de l'association qu'ils annoncent, nous abandonnons dès ce moment nos poursuites, et sur-le-champ nous prenons nous-mêmes la défense des prévenus. Mais, comme il s'agit ici d'une cause de conscience, et que la voix de la conscience est la même chez tous les hommes que l'intérêt ou les passions n'aveuglent pas, nous croyons ne pas nous tromper en jugeant de vos impresssions par les nôtres.

Sans doute, rien n'est plus légitime et à la fois plus digne d'intérêt que les associations de bienfaisance, lors même qu'elles ont pour objet des hommes qui ont mérité les rigueurs de la loi. Ce ne serait pas surtout le ministère public qu'on verrait attaquer de si honorables institutions, lorsqu'il se fait un devoir si doux de les encourager par son exemple et de les soutenir par sa protection. Et qui ne se souvient encore avec attendrissement de ces traits admirables de bienfaisance qui dans tous les temps ont honoré, dans la magistrature, des noms devenus à jamais célèbres par leurs vertus antant que par leurs talens? Mais ne nous payons pas par des mots; ne mentons pas à notre conscience: appelons humanité ce qui est humanité, et esprit de parti ce qui est esprit de parti; honorons et encourageons l'un, démasquons et réprimons l'autre.

Les sociétés pour le soulagement des condamnés sont établies en faveur des hommes condamnés en vertu de toutes les lois, sans distinction entre telle ou telle loi.

Elles n'ont pas été formées tout exprès, et comme ab irato, quatre jours après la loi qui punit tel délit, et avant même qu'il existât des condamnations pour ce délit.

Aucun des membres de ces sociétés n'avait d'avance

signalé son opposition à telle loi pénale, et n'a ensuite fondé et publié tout-à-coup une société exclusivement relative au genre de délit prévu par cette loi.

Ces sociétés ne sont pas des contrats d'assurance mutuelle, dans lesquels puissent intervenir d'avance les hommes qui recevront ensuite les secours : on n'a pas vu ces sociétés ouvrir des souscriptions, par lesquelles l'homme qui méditerait un crime pourrait venir d'avance acheter, moyennant une somme, la protection de la société pour le temps où il sera condamné.

Aucun prospectus de ces sociétés n'a signalé les condamnés comme des victimes, les jugemens comme des injustices, et les lois pénales comme des violations des droits naturels.

Que l'on cesse donc de placer sur la même ligne ce que le besoin de la défense peut seul vouloir assimiler. Faudrait-il citer des exemples pour achever de détruire ces équivoques? Ils ne manqueraient pas. Contentonsnous de celui-ci.

Un projet de loi paraît; il porte prohibition des marchandises anglaises. Des négocians, qui spéculent sur ce genre de marchandises, présentent une pétition aux Chambres contre ce projet de loi; ils réclament la liberté du commerce, et prétendent que le système prohibitif est préjudiciable à la France. Le projet de loi leur paraît injuste leur pétition scule est raisonnable à leurs yeux. La loi passe cependant elle porte des peines sévères contre quiconque introduira des marchandises anglaises. Quatre jours après, les mêmes négocians, réunis à quelques autres, ouvrent, publient et signent une souscription. Ils déclarent la loi injuste et contraire aux droits

:

naturels de l'homme, comme à l'intérêt véritable du pays; ils invitent tous les Français à souscrire, et promettent à toute personne qui sera atteinte par la loi nouvelle, et condamnée pour faits de contrebande, les secours, de toute nature que sa situation exigera, et même des secours pour sa famille. Quel est le but de cette souscrip tion ? est-ce la bienfaisance? qui oserait le soutenir ? N'estil pas évident qu'une semblable souscription n'aurait d'autre but que de paralyser la loi prohibitive des márchandises anglaises? N'est-il pas évident qu'elle formerait une attaque contre l'autorité législative qui viendrait de porter cette loi?

La vérité ainsi rétablie, Messieurs, nous concluons comme nous le faisions tout-à-l'heure, que la souscrip tion qui vous est déférée est une véritable protestation contre l'œuvre sortant des mains du législateur; un procès fait à la loi, par appel devant le peuple, et qu'une semblable souscription constitue, par cela même, une des plus graves attaques possibles contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres.

Elle constitue encore, sous un autre rapport, une attaque contre l'autorité constitutionnelle du Roi, mais du Roi seul; elle paralyse, en effet, l'exécution de la loi.

Mais, dira-t-on, la souscription n'empêchera pas de mettre en prison les personnes auxquelles on voudra appliquer la loi ; elle suppose même l'exécution de la loi puisqu'elle suppose des victimes.·

Autre équivoque autre subtilité.

Sans doute, la possibilité physique d'appliquer la loi subsistera; mais la possibilité morale subsistera-t-elle ? subsistera-t-elle au moins dans son entier ? Non certes,

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