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voisin voudra nommer ainsi? Il possède un vaste champ; et moi, je prétends que l'éternelle raison a laissé la terre à la disposition de tous les hommes je prends la moitié de son champ. Il devient vieux et infirme; et moi, je prétends que, suivant l'éternelle raison, un homme ne doit conserver son champ qu'autant qu'il peut le labourer; je m'empare de l'autre moitié.......

Ah! Messieurs, déplorons cette inconcevable manie de raisonner sans cesse, sous la civilisation, comme s'il n'y avait pas de civilisation; de confondre à dessein les ordres de choses les plus différens, de combattre par des principes indéfinis un pouvoir légal et défini, de remettre sans cesse tout en question, la nature et la société; de tout brouiller, en un mot, afin de tout abattre. Hélas! ne les avons-nous pas déjà goûtés, les fruits amers de ces absurdes et criminelles doctrines? Dans. d'autres temps aussi, on en appelait à l'éternelle raison et aux droits qui ont précédé toutes les sociétés. Qu'est-il arrivé? La société s'est écroulée, et sur les ruines de l'État sont tombées les têtes qui invoquaient l'éternelle raison....

Après avoir ainsi parcouru le premier chef de prévention sous le double rapport des principes du droit et des termes mêmes des écrits inculpés, devons-nous, Messieurs, prévoir un argument qui vous sera proposé peut-être, puisqu'un journal a déjà pris le soin d'en entretenir le public? Nous serions bien portés à ne pas nous en occuper, et à laisser aux lumières supérieures dont vous avez fait preuve depuis le commencement de cette session, le soin de repousser cette argumentation, à laquelle, au surplus, nous ne pensons pas que les défenseurs éclairés que vous allez entendre attachent plus d'im

portance qu'elle n'en mérite; nous ne vous en dirons. qu'un mot, voulant écarter de vos esprits jusqu'au moindre nuage.

Vous avez appris sans doute, Messieurs, que les publications faites dans différentes villes de France, pour annoncer la souscription dont nous nous occupons, ont été l'objet de poursuites dont les résultats ont été divers. A Grenoble, à Strasbourg et à Bordeaux, comme à Paris, les Chambres de mise en accusation des Cours royales ont renvoyé devant le jury.

Il en fut autrement à Lyon, où la Chambre des mises en accusation ne pensa pas qu'il y eût lieu à suivre. L'arrêt de cette Cour fut sur-le-champ dénoncé à la Cour de cassation. Cette Cour, sur le motif qu'il ne lui appartenait pas de s'immiscer elle-même dans l'appréciation des écrits, mais que cette appréciation appartenait toute entière à la Chambre des mises en accusation, rejeta le pourvoi formé contre l'arrêt de Lyon. Nous sommes loin de contester, Messieurs, le principe consacré par la Cour de cassation; car, nous-mêmes, nous aurions jugé comme elle. Mais vous voyez que de cet arrêt ne résulte aucun préjugé, ni pour ni contre les principes que nous venons d'établir, puisque la Cour de cassation a déclaré seulement ne pouvoir pas, suivant les règles de son institution, juger le fond, ni par suite rectifier l'erreur de la Cour de Lyon, si cette Cour s'est trompée lorsqu'elle a jugé le fond, comme elle en avait seule le droit. Il est si vrai que l'arrêt de rejet de la Cour de cassation laisse la question entière, que, par l'effet du principe juste posé par cette Cour, elle rejettera nécessairement de même, et dans le sens absolument inverse, le pourvoi formé par les publi

cateurs de Grenoble contre l'arrêt qui les renvoie devant le jury, et cela par le même principe qu'il appartient aux Cours royales d'apprécier les écrits dans le fond, et suivant la culpabilité qui leur est imputée, sans que la Cour de cassation puisse elle-même s'immiscer dans cette appréciation, et par suite rectifier les erreurs qui pourraient avoir été commises, dans cette appréciation, par les Cours royales.

Pour terminer sur l'arrêt de Lyon, nous vous dirons que la publication dont il s'agissait, faite après celle de Paris, et lorsque le délit avait, dans la réalité, pris son origine à Paris, ne ressemblait en rien à celle dont nous nous occupons ici, et que le prospectus publié à Lyon, bien différent de ceux publiés ici, est bien loin d'offrir les mêmes signes de culpabilité.

A

Vous parlera-t-on, Messieurs, de la décision rendue par le jury de Strasbourg, qui a renvoyé le prévenu qui était traduit devant lui? Nous répondrions que cette décision (que nous devons respecter puisqu'elle a été rendue, mais que nous pouvons critiquer toutefois, en ne lui contestant pas ses effets légaux); nous répondrions que cette décision est à nos yeux le résultat d'une erreur véritable; nous répondrions qu'elle paraît s'expliquer par l'idée que les jurés de Strasbourg ont pris en considération que la publication qu'ils jugeaient, n'était que l'écho des journaux de Paris. Nous ferions encore d'autres réponses; mais pénétrés de respect pour toute décision judiciaire qui a été rendue, nous ne voulons pas, lorsqu'il nous suffit d'en écarter l'autorité, entrer plus avant dans une critique dont la nécessité ne serait justifiée que par

une insistance qui ne nous sera probablement pas opposée sur ce point.

Mais, Messieurs, une pensée qui domine toutes les argumentations qui seraient puisées dans telles ou telles décisions précédentes, est celle-ci : S'il est vrai, en principe de jurisprudence, que les décisions intervenues ne sont bonnés que pour ceux qui les ont obtenues; cela est vrai surtout en matière criminelle, où les nuances de position des prévenus sont variées à l'infini; cela est vrai surtout devant un tribunal de jurés, qui, par la nature même de sa noble institution, ne peut jamais être lié par aucuns antécédens favorables ou contraires.

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Après cette courte digression, revenons, notre discussion.

Messieurs, à

Nous avons parcouru le premier chef de prévention dans ses rapports avec chacun des trois écrits qui vous sont déférés ; il ne nous reste plus qu'à nous livrer à un examen semblable relativement au second chef.

Il consisté dans la provocation à la désobéissance aux lois.

Si, comme nous l'avons fait tout-à-l'heure à l'égard du premier chef, nous considérons d'abord en elle-même et dans sa substance la publication faite par les écrits du 30 et du 31 mars, il nous sera bien facile de reconnaître qu'elle constitue une véritable provocation à la désobéissance aux lois.

Quel était en effet le but du législateur en portant la loi du 26 mars? Descendons dans le fond de la question. Les lois ordinaires ne punissent le crime, que lorsqu'il est consommé, ou lorsqu'il a reçu un commencement

d'exécution équivalent à l'exécution même. Sur ce commencement d'exécution mille difficultés s'élèvent tous les jours dans les tribunaux. La nature des choses et le texte de la loi exigent que le commencement d'exécution, pour être punissable, n'ait été interrompu que par des circonstances fortuites et indépendantes de la volonté de celui qui agissait.

A l'égard des conspirations ou complots, les lois ordinaires n'exigent pas, il est vrai, pour qu'ils soient punissables, qu'ils aient été suivis d'un commencement d'exécution dans l'attentat qu'ils avaient pour but; mais elles veulent, du moins, qu'ils aient été portés jusqu'à la résolution concertée, ou à la proposition formelle d'agir. Sur ce point encore se sont élevées, dans la pratique, les plus graves difficultés, et l'on s'est souvent trouvé fort embarrassé pour préciser justement le point fixe où devait commencer, à cet égard, la culpabilité légale.

Mais, si pour le cas où il y a résolution concertée entre deux ou plusieurs conspirateurs, les lois ordinaires n'exigent pas qu'on attende l'exécution ou le commencement d'exécution de l'attentat, pour avoir le droit de saisir et de livrer aux tribunaux les conspirateurs, il n'en est pas ainsi pour le cas où le dessein criminel ne doit être exécuté que par un seul individu. Il n'y a pas alors de complot; on retombe dans la règle du commencement d'exécution: en sorte que pour pouvoir arrêter et livrer aux tribunaux l'homme qui méditerait le plus grand forfait, il faut attendre ou qu'il ait exécuté son crime, ou qu'il en ait commencé l'exécution; et il faut même que ce commencement d'exécution ait été porté à un point tel que l'exécution eût été complète, si des circonstances

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