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pectons les pouvoirs constitutionnels ils sont notre garantie; ils sont pour nous la société vivante. Respectons les lois elles sont notre sauve-garde; elles sont l'ame de la société. Ah! n'allons pas nous replonger dans l'abîme dont nous sortons à peine!

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Sans doute, l'ami sincère de la liberté a pu voir avec quelques regrets la loi forcée de déroger aux principes ordinaires. Mais, a-t-il dû oublier que cette loi n'est que temporaire ? N'a-t-il pas dû penser aussi que perdre le trône et l'État, c'était perdre en même temps la liberté? Un sang illustre fumait encore! que ne pouvait-on pas craindre? Fallait-il donc attendre que d'autres trépas, nous révélant d'autres vertus, vinssent arracher à la France les derniers rejetons de cette race auguste et éminemment française, qui a fixé pour nous le bonheur de l'avenir dans la Charte, comme elle a inscrit la gloire du passé dans l'histoire ?

Et qu'importe, au surplus, les opinions diverses qu'on peut avoir eues sur la nécessité d'une loi? La loi existe; chacun y doit obéir.

Disons-le, Messieurs, se déclarer ami de la liberté, c'est contracter l'engagement de respecter plus que personne les lois, lors même qu'elles ne sont pas conformes à nos opinions. Mais, s'insurger contre la loi, quand elle ne nous convient pas; l'attaquer par des voies illégales; chercher à la paralyser; en appeler du législateur au peuple; provoquer les citoyens à la haine des pouvoirs constitutionnels et à la désobéissance aux lois; ah! Messieurs, c'est étrangement s'égarer dans l'amou de la liberté; c'est la compromettre en en abusant; c'est

la ruiner en y substituant la licence; c'est invoquer le despotisme, successeur nécessaire de la licence.

Ne nous le dissimulons pas, Messieurs, les choses ont bien changé de face depuis un demi-siècle. Dans tous les temps, sans doute, il est noble d'embrasser la cause de la liberté. Mais, n'est-il pas aussi des temps où le véritable courage consiste plutôt à défendre l'empire des lois contre la licence, et l'ordre social contre l'anarchie.

Ce courage, qui ne cherche pas la gloire, mais qui n'engendre pas les remords, la France le trouvera toujours dans ses magistrats. Les partis, quelles que soient leur audace et leur violence, ne les intimideront pas ; les écarts seront réprimés, quels que soient les noms qu'on ait la douleur d'y voir rattachés. Au milieu d'un peuple qui naît à une existence libre et toute nouvelle, les organes des lois ne doivent pas oublier que le cercle de leurs devoirs s'agrandit tous les jours, et qu'ils sont le plus ferme et le dernier appui de la société sans cesse attaquée par les passions.

Pour vous, MM. les jurés, associés aujourd'hui aux devoirs de la magistrature, vous y serez fidèles. Vous sentirez que vous avez à décider du sort entier d'une loi toute récente. Vous examinerez si vous voulez en sanctionner la destruction. Vous verrez si vous voulez prendre sur vous la responsabilité de l'avenir, et paralyser entre les mains du Gouvernement une arme que les trois branches de la représentation nationale ont jugé nécessaire de lui confier pour le salut de la patrie. Vous verrez si vous voulez que l'esprit de désordre reçoive à jamais un éclatant encouragement, dont vous connaîtrez bientôt les fruits.

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Non, MM. les jurés, vous ne trahirez pas vos sermens. L'éclat des noms ne vous en imposera pas; vous ne vous laisserez pas séduire aux prestiges de l'art oratoire. C'est la vérité que vous chercherez; c'est elle que vous devez à vos concitoyens; c'est elle aussi que vous proclamerez. Nous vivons sous un gouvernement représentatif. Tous nous le voulons; tous nous l'aimons. Sachons donc en remplir tous les devoirs ; sachons être électeurs; sachons être jurés; sachons défendre et conserver nos droits en citoyens courageux.

Vérité, conviction, bonne - foi : voilà toute la cause que vous allez juger. C'est à vos consciences que nous en appelons, et vos consciences nous répondront. »

M. Jay, avocat de M. Bidault: « Messieurs, les éditeurs responsables de plusieurs journaux, et entr'autres l'éditeur du Constitutionnel, dont la défense 'm'est confiée, sont traduits devant vous comme prévenus d'avoir commis, 1o le délit d'attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres; 2o le délit de provocation à la désobéissance aux lois.

Cette double accusation repose sur la publication d'un article ayant pour titre Souscription nationale en faveur des citoyens qui seront ou qui seraient victimes de la mesure d'exception sur la liberté individuelle.

Plus l'accusation qui pèse sur l'éditeur responsable du Constitutionnel offre de gravité, plus il se félicite qu'elle soit soumise à la sagesse du jury, institution nationale et tutélaire, destinée dans les temps orageux à repousser loin des tribunaux l'influence de l'esprit de parti, à s'élever au-dessus des opi nions passionnées, à ne servir qu'un seul intérêt, celui de la justice, institution destinée dans tous les temps à protéger l'in

nocence.

Jamais cause ne fut plus digne de votre attention. Il s'agit de l'existence d'un droit constitutionnel, du droit qui permet à chaque citoyen d'exprimer librement son opinion sur les mesures du gouvernement, et même sur les lois. Il s'agit de la liberté de la presse, suspendue, il est vrai, mais qui n'avait pas encore été frappée à l'époque où le prétendu délit de la souscription a été commis. Il s'agit enfin de décider si les doctrines de l'arbitraire sont sacrées; si l'arbitraire lui-même est inviolable; si l'humanité est un crime: Oui, c'est là la véritable question; car il ne faut pas s'y tromper, et je le prouverai sans effort, l'article qui sert de base à l'accusation, n'a été accueilli par les rédacteurs responsables des divers journaux, que comme un service rendu à l'humanité.

Avant d'entrer en matière, qu'il me soit permis de vous présenter encore une réflexion. Tous les droits constitutionnels se tiennent et se soutiennent réciproquement. C'est en prenant cette vérité pour règle de l'opinion, que les peuples libres conservent leur liberté; que la morale publique corrige le vice des lois, et que les gouvernemens échappent aux désastres des révolutions.

La discussion à laquelle je vais me livrer se divise naturellement en deux parties: 1° je soumettrai à un examen impartial l'article de la souscription en lui-même, et spécialement les passages qui paraissent repréhensibles au ministère public; 2° j'examinerai l'intention dans laquelle ce même article a été publié, et les garanties que présentaient aux éditeurs de journaux des citoyens qui en ont occasionné la publication.

L'accusation est principalement dirigée contre les trois premiers paragraphes de l'article incriminé. C'est là que le ministere public a cherché les preuves des délits d'attaque FORMELLE contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, et de provocation à la désobéissance aux lois. Voyons d'abord

si l'examen de ces passages, dégagé de toute interprétation arbitraire peut justifier une telle accusation.

Vous avez entendu plusieurs fois la lecture de cet article. Les expressions en sont encore présentes à votre mémoire.

L'analyse de cet article se réduit à trois points principaux. On y trouve, 1° une définition générale de l'arbitraire ; 2o cette définition, appliquée à la loi provisoire qui suspend l'action des tribunaux en ce qui concerne la liberté individuelle, et les autres garanties de ce droit consacré par la justice avant qu'il ne fût proclamé par la Charte; 3o le résumé de la discussion dont cette même loi a été le sujet dans les deux Chambres; enfin, le projet d'une souscription destinée à secourir les malheureuses victimes du pouvoir arbitraire confié aux ministres.

Si c'est un crine de penser et de dire « que l'arbitraire, revêtu de la forme de la loi, ne prescrit point contre les lois éternelles que Dieu a gravées dans tous les cœurs; » qu'il est des droits légitimes, sacrés, inhérens à la nature humaine; que ces droits, qui ont précédé toutes les sociétés, qui président à leur existence, qui ne peuvent être ni abolis ni suspendus, sont ceux de la justice et de l'humanité; si de telles pensées constituent un crime ou un délit, élargissez cette enceinte, faites comparaître au rang des accusés tous les citoyens qui ont une juste idée des droits des peuples, des devoirs des gouvernemens. La France vous fournira autant de coupables qu'il se trouve dans son sein d'hommes éclairés et vertueux. Ne pensez pas que ces doctrines soient nouvelles; elles ont été professées dans tous les temps par les philosophes les plus illustres, les magistrats les plus dignes de vénération. Lorsque l'orateur romain, remontant aux sources pures de la législation, annonçait à ses concitoyens « qu'il >> existe une loi conforme à la nature, éternelle, immuable,

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