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SUITE DES PLAIDOIRIES.

AUDIENCE DU 30 juin.

ON continue d'entendre les défenseurs des prévenus. M. Rumilly, avocat de M. Comte, éditeur du Censeur. « Messieurs les Jurés, lorsque des citoyens chers à l'armée, au commerce, aux lettres, au barreau, inspirés par des sentimens vraiment français, se réunissaient à des députés et à des pairs de France, pour accorder à leurs concitoyens seulement suspects, loin d'être reconnus coupables, des secours que le Gouvernement lui-même distribue aux plus vils condamnés; lorsque des écrivains estimables, persuadés que le malheur est toujours sacré, proposaient à la bienfaisance publique une nouvelle occasion de se signaler : qui d'entre eux et de nous eût pu penser que cet acte d'humanité, d'abord travesti en acte séditieux, serait bientôt poursuivi comme criminel, et que le glaive de la loi menacerait tous ceux qui auraient conçu ou propagé l'idée d'une souscription pour secourir les détenus en vertu de la nouvelle loi d'exception ?

Ce que nous aurions eu peine à croire, nous le voyons cependant aujourd'hui, comme un de ces événemens extraordinaires auxquels notre siècle était réservé...................... Mais déjà, sur divers points de la France, l'impartiale

justice a prononcé ses arrêts; déjà, elle a proclamé l'innocence des auteurs d'une souscription semblable et des écrivains qui en ont publié le projet dans les mêmes termes ; et, sans rien préjuger sur votre décision, sans vous dire que vous ne la regarderez pas, sans doute, comme l'effet d'une erreur palpable, sa voix ne sera pas perdue pour vous, Messieurs les Jurés; car, sur la justice comme sur l'honneur et la générosité, il n'existe ici que des sentimens unanimes.

Sentimens qui animent aussi les nombreux citoyens qu'un touchant intérêt amenait hier dans cette enceinte, et que ramène aujourd'hui un motif autrement puissant que celui d'une oisive curiosité! Oui, l'on reconnaît, à cette noble inquiétude, notre nation humaine et généreuse, qui veut prendre aussi sa part au procès de la bienfaisance.

Je n'ai pas besoin de vous rappeler que la responsabilité légale résultant de l'article publié dans le Censeur du 30 mars, et portant pour titre Souscription nationale, ne doit peser que sur M. Comté. Le ministère public luimême à réconnu que M. Duñoyer devait être désormais considéré comme étranger à l'accusation.

En insérant cet article, M. Comte à eu l'intention de publier un acte de bienfaisance, et une invitation d'y prendre part; invitation toujours bien accueillie par des Français. Il appartenait, sans doute, à cet honorable écrivain, dont tous les écrits respirent l'amour le plus pur de l'humanité et de la justice, de contribuer à la propaga tion d'une idée non moins estimable qu'utilé aux mâlheureux. Et qui aurait pu se refuser à annoncer un àcte de bienfaisance, sanctionné par le concours des grandes notabilités d'une nation, par la présence d'un grand

nombre de députés, par l'assentiment de nobles pairs ? Qui aurait pu se refuser à publier ce grand acte d'humanité, dont le but était, non pas de secourir l'assassin, le conspirateur, comme on a osé le supposer, mais bien, comme vous l'a dit hier cet honorable député (1), avec l'accent le plus profond de vérité, d'adoucir les rigueurs d'une loi qui doit frapper des innocens, puisqu'elle frappe des suspects; de consolider le trône de l'auguste famille des Bourbons, en la faisant aimer? car l'amour des peuples pour les rois est le plus ferme appui des trônes.

Sans vouloir prétendre que ce fût une garantie légale pour M. Comte que l'assentiment donné par soixante députés à l'article inséré dans les journaux du 30 mars, assentiment donné, soit directement, par leurs signatures apposées au bas de l'article, comme vous l'ont affirmé deux témoins; soit indirectement, par l'ordre qu'ils auraient donné d'envoyer, de leur part, des épreuves à chaque journal: on reconnaîtra, du moins, que c'était une garantie morale, pour M. Comte, que le caractère respectable qui entourait les auteurs de la souscription; on reconnaîtra qu'il ne devait pas penser qu'on pût exercer quelque recherche contre lui, sans atteindre les soixante députés qui avaient pris part à l'article, ou qui y avaient adhéré. Toutefois, je n'insisterai pas sur ce point ; il me suffisait, comme il suffit à mon client, de vous présenter les raisons qui l'ont porté à cette publication, et les motifs qui ont dû lui inspirer toute sécurité et toute confiance, en insérant l'article dans le Censeur. Ce n'est point une excuse, mais une justification nécessaire de sa cons

(1) M. Laisné de Villevesque.

cience, de ses intentions et de son opinion, et il vous la devait, comme il se la devait à lui-même.

Il accepte donc la responsabilité qu'on veut étendre jusqu'à lui, en vertu de la loi du 9 juin, pour l'insertion de l'article envoyé par le Constitutionnel, de l'ordre exprès des députés, et qu'il a publié sans y faire aucun changement. Je me bornerai à vous indiquer seulement deux légères différences : l'une, dans le titre Les secours sont présentés comme conditionnels..... en faveur des citoyens qui SERAIENT victimes; l'autre, dans la composition des mandataires des souscripteurs ils ne sont pas désignés par leurs noms; les professions où l'on doit les choisir sont seulement désignées ; et c'est un point qui pourra être relevé dans la défense des commissaires de la souscription. Le comité, est-il dit dans le Censeur, sera composé de deux pairs, de quatre députés, de trois négocians et de trois avocats. On ne connaissait pas encore les noms des honorables accusés, mandataires des souscripteurs, ni de ceux d'entre eux que le barreau tout entier réclame avec des voeux plus pressans; que leurs hautes qualités, leur noble caractère m'ont appris chaque jour à chérir et à estimer, et à qui je dois en ce moment mes souhaits les plus ardens, faible tribut de l'amitié la plus vraie et la plus durable.

L'accusation repose sur deux chefs

attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chamhres ; provocation à la désobéissance aux lois.

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Le ministère public a cherché à établir ces deux délits, 1o par la substance de la souscription, par les effets de la publication de cette souscription; 2° par les termes des écrits.

Je dois me renfermer dans la défense, et me borner à la justification des termes de l'écrit du 30 mars, inséré dans les journaux. Le fait de la souscription et les effets de la publication seront discutés par les défenseurs des mandataires des souscripteurs, avec l'énergie et la puissance de leurs raisonnemens.

Mais, avant de commencer la justification des termes de l'écrit du 30 mars, et pour vous conduire à l'appréciation de ses expressions pár une route certaine, il est nécessaire de ramener à des points fixes et invariables l'accusation, qui s'est égarée dans un dédale de faux principes; il est indispensable de rétablir les bases posées par le législateur et que sapperait de fond en comble le système du ministère public, subversif de toute la théorie de la líberté de la presse, et d'autant plus dangereux qu'il vous a été présenté avec plus d'art et d'adresse.

M. l'avocat-général s'est attaché à établir, dans l'article du 30 mars, un délit nouveau, et qui n'a pu même être spécifié par la loi ; c'est le délit qui consiste à paràlyser, à entraver le pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif, vous a-t-il dit, est un des attributs de l'autorité constitutionnelle. L'écrit est rédigé de manière à le paralyser ; donc il y a attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres.

Il est facile de sentir d'abord,'au premier aperçu, que paralyser, entraver, n'est pas attaquer formellement. Îl faudrait une conversion de mots bien extraordinaire pour arriver à un pareil résultat ; et, ici, la subversion des mots serait non moins funeste que celle de principes; car, avec des mots ainsi détournés de leur acception, on ferait des condamnations.

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