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qui provoquent à le renverser. Nulle part le commentaire, quelque habile qu'il soit, ne pourra placer une de ces propositions directes adressées à des tiers, de faire ce qui est défendu par des lois. La lettre, comme l'esprit de l'article, repousse l'idée des deux délits d'attaque formelle et de provocation à la désobéissance aux lois; et c'est sous la protection des discours ministériels que l'auteur renverse l'accusation.

Voulez-vous connaître, par comparaison, l'étendue du droit de critique ; voulez-vous juger de la latitude qui doit être accordée à l'article inculpé, en la rapprochant de celle qui est permise à des écrivains d'opinions habituellement différentes? Je ne vous parlerai pas des attaques vigoureuses et multipliées auxquelles ont été en butte les dispositions d'une loi fondamentale, qui vient enfin de succomber; je me renfermerai dans le sujet de la discussion actuelle, dans ce qui a été écrit sur la loi d'exception, et sur la souscription qui l'a suivie. Voici ce que disait, dans un ouvrage intitulé Quelques Réflexions sur les trois premiers mois de 1820, un des écrivains les plus distingués du Conservateur, un publiciste célèbre, qu'on ne récusera pas, sans doute, à cause de ses principes. M. Fiévée s'exprimait ainsi, pag. 94: « Quelques personnes, qui n'entendent rien à la politique qui n'est pas écrite, mais qui est éternelle, trouvent qu'une association formée pour adoucir le sort des prisonniers d'État, est une révolte contre la loi. C'est l'arbitraire légal qui est une opposition aux principes du droit public, aux lois fondamentales de l'État; et lorsqu'une nation entière, vu la difficulté des circonstances, se réunirait et s'entendrait pour accorder l'arbitraire à des ministres, le lendemain méme du jour où

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elle aurait fait cette concession, elle commencerait à lutter pour en amortir les effets; autrement, l'arbitraire finirait par se fonder en droit. » Et pag. 17: «Avec du despotisme, on fait de l'arbitraire tant qu'on veut ; avec de l'arbitraire légal, on fait à peine de la basse tyrannie.»

Le ministère public ne verra sans doute rien que d'innocent dans ces pensées et ces expressions ; et elles ne sont en effet, que les conséquences nécessaires du droit de critique des lois. Mais comment se ferait-il que les mêmes idées, revêtues de termes presque semblables, fussent coupables dans l'écrit qui vous est déféré? Ne doit-on pas appliquer ici le principe, que lorsqu'il y a même raison de décider, il faut même jugement?

Mais, c'est peu de l'autorité de l'exemple, et de l'appui des discours ministériels pour la justification de l'écrit. Je trouve sa justification la plus complète, dans l'écrit en lui-même, et dans la partie qui doit attirer toute l'attention, puisqu'elle est destinée à présenter le but de la Souscription, et l'organisation du comité d'administration.

Les termes en sont positifs : « En conséquence, y est» il dit, le projet de la présente Souscription a été conçu » pour offrir à chaque Français un moyen de venir au » secours de ses compatriotes, victimes de l'arbitraire.

» Il y aura à Paris un conseil central d'dministration

CHARGÉ DE SUIVRE AUPRÈS DU MINISTÈRE LES RÉCLAMA

TIONS DES FRANÇAIS frappés par les mesures d'exception.

» Ce comité fera TOUTES LES DÉMARCHES NÉCESSAIRES

» POUR ADOUCIR LES RIGUEURS DU RÉGIME EXCEPTIONNEL

» envers les citoyens, et leur procurer ainsi qu'à leurs

» familles, les secours de toute nature que leur situation » réclamera, et qu'il sera possible de leur donner. »

Ainsi, la conséquence des inconvéniens de la loi, présentés dans le préambule, n'est pas une révolte contre la loi, c'est une invitation à une souscription!

Ainsi, il y aura un conseil chargé de suivre, auprès du ministère, les réclamations des détenus!

Ainsi, les démarches que l'on fera tendront à adoucir les rigueurs de la détention.

Mais, n'est-il pas évident que si le but est de supplier les ministres, de solliciter les agens du pouvoir en faveur des malheureux, et lorsqu'ils seront détenus en exécution de la loi, il est impossible d'admettre une provocation à la résistance contre la loi que l'on suppose exécutée, une contestation du pouvoir auquel on adressera des supplications?

Car, quelle plus grande absurdité que celle d'un provocateur qui réconnaîtrait publiquement lui-même la puissance du pouvoir qu'il aurait l'intention de contester? Quelle contradiction plus insensée, que celle d'un séditieux qui exciterait lui-même à l'obéissance? Quelle condamnation plus formelle de soi-même, que celle d'un révolté qui proclamerait le respect à l'autorité ?

Non, il n'est pas possible de faire entrer un délit de provocation et d'attaque formelle dans un écrit qui le repousse si fortement. Et c'est en vain que le ministère public, composant une intention démentie par des expressions positives, vous a présenté ces phrases comme insidieuses. Certes, elle ne serait pas dangereuse la provocation qui se cacherait si imperceptiblement, que personne ne saurait la voir; elle ne serait pas susceptible de l'ap

plication de la loi, la provocation qui, comme le disait le noble pair rapporteur de la commission de la Chambre des pairs, présente une idée subtile, rendue en termes équivoques, ambigus, détournés, et qu'on ne peut extraire que par une interprétation laborieuse; des jurés ne l'y reconnaîtraient jamais.

Mais, sérieusement, peut-on voir dans l'écrit autre chose que ce qui s'y trouve? Est-il permis de fonder une accusation sur l'intention? C'est là, au contraire, la faculté réservée à la défense par la loi, et c'est usurper arbitrairement un avantage qui n'est accordé qu'à l'accusé.

Voilà, MM. les jurés, la justification qu'il est impossible d'altérer, de détruire : je ne puis provoquer à la désobéissance aux lois, puisque je ne promets de secours qu'autant qu'elle sera exécutée; je ne puis attaquer l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, puisque je veux qu'on vienne supplier ce pouvoir,

L'écrit est donc resté dans l'exercice d'un droit constitutionnel, celui de la critique des lois; et ce serait, après la perte de tant de biens précieux, dépouiller les citoyens des derniers droits qui leur restent encore, que de condamner des écrivains qui auraient usé de ce droit, sous le prétexte de délit dont l'ombre même ne pourrait les approcher. Les ministres ont voulu l'arbitraire, il faut bien qu'ils en supportent les suites, la critique de la loi, puisque la Charte l'autorise. Car l'amour de la Charte, auquel le ministère public nous a appelé, ne doit pas demeurer stérile; il faut s'attacher à ce pacte sacré, non comme à un monument fastueux et inutile, mais comme à un corps de principes féconds en conséquences bienfaisantes, destinés à lier le passé avec le présent et l'avenir ;

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il faut respecter l'un des droits précieux que la Charte nous garantit, celui d'examen des actes de l'autorité, indispensable au gouvernement représentatif: autrement, l'on verrait tous les jours des révoltes dans l'exercice des droits nationaux, et des projets de bouleversemens dans des oppositions constitutionnelles; autrement, nous jouirions de moins de liberté que sous la monarchie absolue, lorsque de grands corps de magistrature présentaient, dans l'intérêt du peuplé, leurs réclamations et leurs remontrances contre les mauvaises lois; et il faudrait répéter aujourd'hui, pour rassurer ces esprits défians et pusillanimes, ce que disait en 1723, au roi lui-même, le président de Mesme, à la tête de cette illustre compagnie : « Les sujets les plus courageux, » Sire, sont aussi les plus soumis. »

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Je vous ai établi l'existence de ce droit précieux; je vous ai prouvé, Messieurs, que l'auteur était resté dans l'exercice de ce droit; je vous ai démontré que la criminalité de l'accusation ne pouvait atteindre l'écrit ; je vous ai développé, par le fait et les expressions consignées dans l'écrit, les intentions de l'honorable écrivain que j'ai défendu, en publiant un acte de bienfaisance. Mais si l'intention manifestée par les actes extérieurs, par les expressions, par les faits, ne satisfaisait pas l'investigation la plus sévère; si cette inquisition nouvelle, prétendant pénétrer dans les plus secrets replis du coeur, venait y placer elle-même des pensées coupables, et former un délit dont elle serait l'auteur, il faudrait craindre alors que les jugemens, au lieu de punir les actions, ne vinssent sévir contre les opinions; il faudrait craindre que l'inflexible justice ne tînt plus la balance d'après les prin

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