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cipes des lois, mais d'après l'examen des personnes. Ainsi, dans les déplorables années de nos révolutions, une seule et cruelle dénomination de parti conduisait de vertueux citoyens au supplice. Alors, les secours accordés à des parens, à des malheureux, suspects aussi, devenaient un titre de proscription; alors, une loi féroce faisait un crime de la pitié. Mais l'histoire, en conservant ces funestes souvenirs, a transmis du moins à la postérité, comme une éternelle instruction, la réponse du vertueux Angrau à ses juges : « Comment supposer que la loi or» donne d'étouffer la nature ?

Loin de nous ces temps qui ne reviendront plus; je me livrerai à un consolant avenir. Le ministère public en a appelé à vos consciences; et moi je les invoque aussi, au moment où la main sur le cœur, dépouillant toutes les faiblesses de l'humanité pour remplir le miņistère auguste de juges, vous vous interrogerez vous-mêmes en présence de l'Etre suprême. Vous ne saurez condamner des citoyens pour avoir eu pitié du malheur de leurs concitoyens ; vous ne saurez condamner des écrivains pour avoir invoqué la bienfaisance publique.

Assez de maux ont affligé notre triste patrie, sans l'accabler encore par le spectacle de la pitié proscrite, et par l'exil des vertus que tous les peuples ont honorées d'un culte solennel. A Athènes, les citoyens trouvaient un refuge impénétrable dans le Temple de la Miséricorde; et l'on vit plus d'une fois', sur ses autels sacrés, les Athéniens s'embrasser en oubliant les dissensions civiles. Le temple de la justice ne présentera pas chez nous un asile moins assuré. Ici seront déposées les préventions des partis; et votre décision, exemple d'impartia

lité, en proclamant l'innocence des accusés, honorera la vertu publique que révère la France. »

M° Boudousquié: « M. Dunoyer, l'un des éditeurs du Censeur, avait bien voulu me charger du soin de sa défense; mais le ministère public ayant reconnu que mon honorable client devait être mis hors de cause, je m'abstiendrai de prendre la parole. Je ne veux pas éloigner le moment où l'innocence de tous les prévenus devra être proclamée. »>

Me Coffinières, avocat de M. Bert, éditeur de l'Indépendant : « Messieurs, dans les accusations ordinaires, nous voyons le fait principal qui constitue le délit ou le crime, perdre quelquefois son caractère de criminalité par les circonstances qui l'accompagnent.

Quelquefois aussi, la loi pénale elle-même invite le magistrat et le juré à chercher, dans l'intention de l'accusé à l'égard duquel le fait matériel est constant, des motifs d'absolution.

L'accusation semble suivre une marche inverse dans les délits de la presse.

Le but qu'un écrivain s'est proposé n'a rien de repréhensible; que dis-je ? il est quelquefois honorable, et l'on s'empare de certaines circonstances accessoires, de quelques expressions énergiques, mais qui n'ont rien de criminel, pour y puiser le texte d'une accusation.

Aucun délit ne se montre dans l'écrit inculpé, et pourtant, comme la prévention doit avoir toujours une base quelconque, c'est dans l'intention supposée au prévenu qu'on en cherche les élémens.

Le dirai-je enfin, Messieurs, dans les causes ordinaires, l'intérêt de la défense nous oblige quelquefois à des combinaisons pénibles, à des discussions arides, à des rapprochemens minutieux et nous trouvons, dans la proclamation de l'innocence d'un accusé, la plus douce récompense de nos efforts.

Ici, le ministère accusateur se charge de ce qu'il y a de pénible dans notre rôle. Tout ce que l'argumentation a de spécieux, tout ce que l'éloquence a de séduisant, tout ce que l'hyperbole a d'exagéré, il l'emploie tour à tour pour établir l'existence du délit.

Et cependant, ce n'est pas dans des interprétations plus ou moins subtiles, dans des inductions plus ou moins ingénieuses, que vous pourrez trouver des motifs de conviction.

Juges d'un fait, et non d'une discussion polémique, l'é- · vidence doit se montrer d'elle-même à vos yeux.

Au milieu d'argumentations contraires, vous ne voyez qu'un problème à résoudre; et dès que la moindre incertitude s'est élevée dans votre esprit, votre bouche n'a plus qu'à proclamer l'innocence du prévenu.

Qu'ai-je dit? non; ce n'est pas seulement parce que vous n'avez pas la conviction de leur culpabilité, que vous prononcerez aujourd'hui l'absolution des prévenus que vous êtes appelés à juger.

A notre tour, nous nous imposerons la tâche qui appartient au ministère public : l'innocence des prévenus, nous voulons la démontrer, et cette défense nous semble seule digne des clients honorables entre lesquels la prévention établit une sorte de solidarité.

Le premier défenseur que vous avez entendu a démon

tré que ces doctrines pernicieuses, ces théories coupables, qu'on a voulu signaler dans l'article attaqué, sont les mêmes que des hommes réputés sages ont proclamées dans tous les siècles. Des philosophes, des orateurs, des publicistes, des hommes d'État ont été tour à tour appelés dans cetteenceinte, comme pour s'associer à la prévention.

L'estimable confrère qui m'a précédé a retracé les discussions solennelles qui se sont élevées naguère dans les deux Chambres. De nobles pairs, d'honorables députés, des ministres du Roi......, tels seraient les complices des prévenus que vous avez à juger; car ce n'est qu'après eux, ce n'est qu'en recueillant en quelque sorte leurs propres paroles, que les auteurs de l'article inculpé ont attaqué une loi de circonstance, ou plutôt qu'ils en ont signalé les rigueurs pour les adoucir.

Quant à moi, Messieurs, je me suis imposé une tâche moins brillante.

Je me propose d'attaquer corps à corps cette prévention que les auxiliaires puissans appelés par mes deux confrères ont déjà si fortement ébranlée.

Et puisqu'on a été obligé de motiver, sur quelques dispositions législatives, la prévention dont nous avons à nous défendre, c'est en fixant l'objet de ces dispositions législatives, c'est en démontrant que l'écrit inculpé ne présente pas le caractère des délits énoncés dans l'arrêt de renvoi, que j'espère démontrer la futilité de l'accu

sation.

Avant d'entrer dans la discussion, je dois vous dire un mot des faits personnels au sieur Bert ; car si la cause de tous les éditeurs de journaux est indivisible pour l'ap

plication des principes, vous avez à apprécier, en fait, les circonstances particulières à chacun d'eux.

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Je ne ferai pas l'éloge de mon client, au milieu de tant d'hommes recommandables auxquels il se trouve en quelque sorte associé par la prévention.

Je me bornerai à vous dire que, jeune encore, on ne l'a jamais signalé parmi ces hommes exagérés, qui, par inclination ou par calcul, se mettent à la tête d'un parti quelconque.

Le sieur Bert était attaché, comme éditeur responsable, au journal de l'Indépendant. Ce n'était pas pour lui un titre honoraire, car il portait presque seul le fardeau de la rédaction de ce journal.

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Le 29 mars dernier, le sieur Bert était occupé à terminer sa rédaction de la séance de la Chambre des députés, lorsqu'un employé du Constitutionnel lui présenta, en manuscrit, un article intitulé Souscription nationale, l'invitant à l'insérer dans son journal.

Il était environ neuf heures du soir: la composition du journal était presque terminée, et il devait être entièrement rempli par la séance de la Chambre.

Le sieur Bert, sans prendre même lecture de cet ar ticle, répondit que son insertion ne pouvait avoir lieu dans le journal du lendemain.

Le porteur de l'article insista, en lui disant que cet article avait été communiqué, par un grand nombre de membres de la Chambre des députés, au rédacteur du Constitutionnel; et qu'il avait pour objet d'annoncer au public une sorte d'association, dont ces députés étaient les fondateurs , pour venir au secours des personnes qui

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