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pourraient être détenues en vertu de la loi sur la liberté individuelle.

Vous le savez, Messieurs, un article piquant est une bonne fortune pour le journaliste, quand il n'est pas obligé de l'emprunter à ses confrères.

Le sieur Bert crut toutefois devoir exiger une sorte de garantie. Persuadé que le journal le Constitutionnel tenait en effet l'article d'un grand nombre de députés, qui se feraient connaître, s'il donnait lieu à quelque réclamation, il déclara à l'employé de ce journal qu'il ne ferait imprimer l'article que sur l'épreuve qui lui en serait transmise par les rédacteurs du Constitutionnel.

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En effet, une heure après, on rapporta au sieur Bert l'épreuve de l'article, imprimée au bureau du Constitutionnel, avec des corrections en marge. Le hasard a permis qu'il l'ait récemment trouvé parmi des papiers. Je la présente à Messieurs les Jurés, dans l'état de mutilation où elle a été réduite par les compositeurs, pour en accélérer l'impression.

Vous apprécierez, Messieurs, ces circonstances particulières à mon client.

Si vous n'y trouvez pas cette garantie légale qui pourrait mettre à l'abri de toute poursuite l'éditeur d'un journal qui n'existe plus, du moins vous en tirerez la conséquence que le sieur Bert n'a manifesté aucun empressement à insérer cet article, et qu'il ne s'y est déterminé que d'après la garantie morale qui résultait à ses yeux de ce que cet article était l'ouvrage d'un grand nombre d'honorables députés, et de ce qu'il allait être inséré dans le Constitutionnel, dont l'éditeur devait être

en mesure de signaler les auteurs de l'article, s'il donnait lieu à quelque réclamation.

Quoi qu'il en soit, puisqu'en sa qualité d'éditeur responsable, le sieur Bert a dû figurer dans la prévention à laquelle la publication de cet article a donné lieu, il s'agit de prouver que cette prévention est également mal fondée dans ses deux chefs.

Une considération générale se présente naturellement à l'esprit, lorsqu'il s'agit d'un délit de la presse.

Dans les délits ordinaires, un intervalle immense sépare ce qui est légitime de ce qui est criminel.

Le vol, le faux, l'assassinat et tous les autres crimes caractérisés par la loi pénale, n'ont aucun point de contact avec des actes autorisés ou tolérés par la loi.

Il n'en est pas ainsi de l'espèce particulière de délits qui appelle tant de prévenus devant vous.

D'un côté, la liberté de la presse, proclamée en principe, semble assurer, à l'émission de la pensée, toute l'indépendance qui préside à sa création.

D'un autre côté, cette liberté doit être renfermée, dit-on, dans certaines bornes qu'il est difficile de bien fixer; et l'on peut involontairement se rendre coupable, en croyant n'user que d'un droit garanti par la Charte.

Dans de telles conjonctures, le législateur a dû caractériser, d'une manière précise, les délits de la presse ; ou plutôt il a dû consacrer, en principe, que la publication de la pensée ne pouvait introduire dans notre législation pénale une nouvelle espèce de délit, mais qu'elle était seulement un moyen de commettre des délits déjà caractérisés par la loi générale.

Telle a été la pensée dominante des rédacteurs de la loi du 17 mai 1819. Rien n'a été dès-lors livré à l'arbítraire, dans l'appréciation de ces sortes de délits. Ils out eu leurs caractères bien déterminés ; et comme tout est rigoureux, en matière criminelle, on n'a pu chercher des délits ou des crimes dans les faits ou les actes que la loi ne qualifiait pas ainsi.

Ajoutons que toute extension à la disposition pénale, présente ici des conséquences plus fàcheuses, que lorsqu'il s'agit d'une accusation ordinaire.

Ainsi que nous l'avons dit, un intervalle immense sépare les actes entièrement innocens des crimes ou des délits caractérisés par la loi pénale; et lors même qu'il n'offre pas tous les caractères exigés par cette loi, ce fait, qui sert de base à l'accusation, est presque toujours repréhensible, s'il n'est pas légalement coupable.

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Dans les délits commis par la voie de la presse, au contraire, une nuance presque imperceptible sépare ce qui est défendu de ce qui est permis. Une phrase, mot mal interprété peut métamorphoser en délit l'exercice d'un droit garanti par la Charte; de telle sorte, que si la disposition pénale reçoit une extension quelconque, à cet abus de pouvoir qui résulte toujours d'une telle extension, vient se joindre ici la violation d'un droit dont la Charte assure l'exercice à tous les Français.

MM. les jurés, vous daignerez peser ces considérations générales dans votre sagesse ; et s'il y a quelque chose de vague, soit dans la disposition de la loi pénale, soit dans la prévention elle-même, vous saurez de quel côté votre conscience comme juges, votre devoir comme citoyens, doit faire pencher la balance.

Entrons toutefois dans l'examen de la prévention. Deux délits distincts sont imputés aux rédacteurs de journaux :

1o. Délit d'attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres ;

2o. Délit de provocation à la désobéissance aux lois. Voyons d'abord, d'après les termes et l'esprit de la loi du 17 mai 1819, quels sont les caractères particuliers de ces deux délits.

Nous examinerons ensuite s'il est possible de les faire ressortir, soit de l'ensemble de l'article, soit des passages qui sont l'objet particulier des attaques du ministère public.

Toutefois, Messieurs, en me livrant à cette discussion, je n'oublierai pas que la plupart d'entre vous ont eu l'occasion d'approfondir les principes sur la matière, dans le cours de cette laborieuse session.

Aussi ce n'est pas une thèse ex professo, que je viens soutenir devant vous. Je me bornerai à émettre quelques propositions générales, en vous abandonnant le soin d'en déduire les conséquences.

Et d'abord, je me demande quel sens présentent naturellement à l'esprit ces mots consignés dans l'article 4 de la loi du 17 mai 1819: Attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres.

Ils supposent un premier fait constant, qu'il existe une sorte d'autorité dont le souverain et les grands corps de l'État sont investis par la Charte.

Ils supposent, en second lieu, que cette autorité est attaquée dans une de ses prérogatives ou dans un de ses attributs.

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Enfin, que l'attaque est formelle, expresse; qu'elle doit se montrer d'elle-même, et qu'il ne faut pas blir par des commentaires et des interprétations, parce que ce serait alors une attaque détournée et indirecte, et non une attaque formelle.

Ainsi, la Charte investit le Roi du droit de proposer et de sanctionner la loi.

Soutenir que ce droit ne lui appartient pas, c'est attaquer, d'une manière formelle, l'autorité constitutionnelle dont il est revêtu.

La Chambre des députés est appelée par la Charte à voter l'impôt sur la proposition de S. M.

Contester ce droit à la Chambre, c'est encore l'attaquer dans son autorité constitutionnelle.

Peut-être ferons nous même à cet égard une concession au ministère public; car l'article 4, qui définit le délit dont nous nous occupons, paraît exiger autre chose que la manifestation d'une opinion contraire aux droits dont le Roi et les Chambres se trouvent investis par la Charte constitutionnelle.

En effet, l'article 4 de la loi du 17 mai 1819, répute l'attaque formelle provocation au crime. Cette attaque doit donc présenter le caractère constitutif de la provocation, celui d'exciter les citoyens à commettre une action coupable.

Il faut donc, en quelque sorte, voir dans l'écrit auquel un tel délit est imputé, la traduction du fait constitutif du crime, dont cet écrit est réputé la provocation.

Et comme une opinion en théorie ne suppose pas un fait à exécuter par celui en présence duquel cette opinion est manifestée, on pourrait soutenir que la mani

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