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éditeurs ont cru devoir l'insérer ici, pour compléter leur collection. Cette pièce est précédée de la note suivante :

«M. Blanchet a été, dès le début de son plaidoyer, interrompu par M. le président, qui a présumé que la défense serait plus nuisible que favorable au client. Cette interruption ainsi motivée a réduit l'avocat au silence; mais il se doit à lui-même de publier son plaidoyer tel qu'il devait le prononcer. Peut-être prouvera-t-il par-là que l'interruption qu'il a éprouvée, a été un peu trop pré cipitée, et que le plan de défense qu'il s'était tracé n'était point celui que M. le président a cru pouvoir pressentir. »

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M. Blanchet, avocat de M. Foulon. Messieurs, les Français avaient gémi trop long-temps sous l'empire des lettres de cachet. Alors, nul citoyen n'était assez grand pour échapper à la vengeance d'un ministre, ni assez petit pour se dérober à l'inimitié d'un commis. Il n'était point de famille qui n'eût été frappée dans quelqu'un de ses membres. La multitude des maux particuliers produisit le mécontente ment général : la haine de l'arbitraire devint une haine nationale. La liberté, que de sages lois ne trouveront jamais rebelle, fut provoquée à comparer ses droits imprescriptibles à des droits usurpés. Les portes d'une prison fameuse s'ouvrirent, de funestes archives, déroulées à tous les yeux, étalèrent le tableau des vengeances particulières, sourdement substituées pendant deux siècles aux justes vengeances des lois.

- Un cri unanime s'éleva pour demander des garanties contre ces abus du pouvoir. Suspendues pendant vingt-cinq années d'orages, elles furent enfin proclamées par un mo narque qu'avait instruit le malheur. Arche d'alliance entre le peuple et le monarque, la Charte sembla devoir apaiser toutes les passions, calmer toutes les haines. Heureuse la

patrie, si cette arche nouvelle avait eu, comme l'arche divine, le privilége de frapper de mort quiconque eût osé porter la main sur elle !

Un crime affreux, dont l'isolement est à présent constaté, vint tout-à-coup consterner la France, effraya le pouvoir, offrit un prétexte à des passions mal éteintes. La nation vit suspendre des garanties qu'elle avait achetées par tant de sacrifices, et qui la consolaient de ses derniers revers. Dans la douleur commune, l'élite des bons citoyens se serre autour de la Charte menacée; ils s'efforcent de corriger les effets d'une loi qui les alarme pour les garanties populaires, qui les alarme surtout pour le trône que l'arbitraire ébranle en feignant de le soutenir. Des mandataires de la nation dans les deux Chambres, des avocats dont le barreau s'honore, des hommes recommandables par leurs vertus publiques et privées, tous ennemis intéressés de l'anarchie, se réunissent pour offrir leurs secours à ceux de leurs concitoyens qui deviendraient victimes des lois d'exception; les journaux publient les projets de la bienfaisance. On n'attaque point l'obéissance due à la loi; on indique ses abus, on en montre le remède ou du moins l'adoucissement. Mais le pouvoir aime peu la contradiction. On l'éclairait : il s'irrite, et les journalistes avec les commissaires de la souscription nationale sont traduits devant vous, comme prévenus d'une attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, et d'une provocation à la désobéissance aux lois.

M. Foulon, éditeur responsable des Lettres normandes, est rangé, par l'accusation, dans la classe des auteurs principaux des délits dont elle poursuit la répression. Je dois examiner, dans l'intérêt de M. Foulon, si la publication qu'il a faite dans les Lettres normandes présente les caractères que l'accusation vous a signalés, et qui, je le crois,

ne se sont manifestés jusqu'à présent qu'aux yeux du ministère public.

Et d'abord, je me demande pourquoi les membres de la commission et les journalistes se trouvent placés sous le coup d'une même prévention. Si le fait de chacun d'eux est criminel, pourquoi des accusations individuelles et distinctes n'ont-elles pas été dirigées contre les uns et contre les autres? La raison en est simple : la faiblesse de l'accusation a senti le besoin de chercher un double point d'appui, et de rattacher par la complicité les quinze prévenus les uns aux autres, afin de pouvoir rejeter avec plus d'efficacité le crime des commissaires sur les journalistes, et le crime des journalistes sur les commissaires.

M. Foulon ne peut que rendre grâce au ministère public de lui créer d'aussi honorables complices. Il leur laisse le soin d'écarter cette supposition d'une prétendue complicité. Pour lui, responsable seulement de son propre fait, il se bornera à examiner si, en se considérant comme l'auteur de l'article qu'il a publié, il s'est rendu coupable d'une attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, et d'une provocation à la désobéissance aux lois.

Pour élever le premier chef de prévention, n'a-t-il pas fallu substituer l'abus des mots à la force des principes? Qu'est-ce qu'une attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres?

Pour résoudre cette question, il suffit d'avoir remarqué le rang que l'article répressif de ce délit occupe dans la loi du 17 mai 1819. Il est placé sous le titre de la provocation au crime ou au délit.

Les articles I et 2 de la loi sont ainsi conçus :

Article 1er. « Quiconque, Quiconque, soit par des discours, des cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit

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par des écrits et imprimés, etc...., aura provoqué l'auteur ou les auteurs de toute action qualifiée crime, à la cominettre, sera réputé complice et puni comme tel. »

Art. 2. « Quiconque, par l'un des moyens énoncés en l'article premier, aura provoqué à commettre un ou plusieurs crimes, sans que ladite provocation ait été suivie d'aucun effet, sera puni, etc. »

Ces deux articles déterminent le principe de la pénalité, Le principe de la pénalité, c'est la provocation au crime ou au délit. L'article 4, que l'accusation invoque contre nous, déduit les conséquences du principe; il spécifie quelques faits provocatoires. «< Sera réputée provocation au crime dit l'ar»ticle 4, toute attaque formelle par l'un des moyens énoncés » en l'article premier, soit contre l'inviolabilité de la per» sonne du Roi, soit contre l'ordre de successibilité au trône, » soit contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des » Chambres. >>

La simple inspection de cet article vous convaincra qu'il ne peut exister d'attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, si cette attaque n'est équivalente à une provocation. Telle était aussi l'opinion de l'orateur du gouvernement, lors de la discussion du projet de loi. « Il importe beaucoup, disait-il, d'avertir les magistrats et les jurés qu'ici l'attaque doit être formelle et équivalente à une provocation. » L'attaque formelle ne peut être qu'une dénégation du pouvoir que la Charte donne au monarque et aux Chambres de concourir à la création des lois. Or, on ne vous démontre pas, on ne prétend même pas que les prévenus aient dénié ou contesté l'autorité constitutionnelle. La preuve du fait contraire est victorieusement établie par les termes de l'écrit inculpé, puisque les prévenus donnent le titre de loi à la mesure dont ils veulent prévenir l'abus, en reconnaissant son pouvoir.

M. Foulon a critiqué la loi : sa critique a-t-elle été trop

amère? Il eût peut-être été permis au prévenu de penser, avec l'orateur du gouvernement, que « l'article 4 de la loi dont on le menace aujourd'hui, ne devait pas empêcher les discussions loyales sur les limites plus ou moins vagues qui peuvent exister entre les branches du pouvoir législatif, ou sur les formes dans lesquelles peuvent le plus utilement s'exercer ces trois pouvoirs. » En usant de cette faculté, M. Foulon, à l'apparition de la loi du 26 mars, aurait pu examiner si cette loi était en harmonie avec la loi fondamentale, si elle n'étendait pas les branches du pouvoir législatif au-delà des limites qui leur sont fixées par la constitution. La Charie, aurait-il pu se dire, est la source de toute autorité constitutionnelle, de tout pouvoir légitime; les lois en doivent être l'émanation; et sans pouvoir, à peine d'inconstitutionnalité, impliquer contradiction avec elle, elles doivent toujours avoir pour but de consolider les droits qu'elle a consacrés. Ainsi la puissance nationale, en élevant la Charte dans une région supérieure, a voulu que les pouvoirs qui en émanent ne pussent jamais y remonter pour en altérer l'essence. Point d'autorité constitutionnelle qui ne dérive de la constitution. Ceci posé, M. Foulon, ouvrant la Charte, y voit la liberté individuelle, la liberté de la presse. Soudain ces libertés disparaissent, et M. Foulon aurait pu, sans crime, examiner si c'était une main constitutionnelle qui venait de jeter un voile sur la constitution. Il aurait pu, sans crime, dire avec M. Corbière : « La Charte n'a pu donner de pouvoir pour se détruire. » Il aurait pu, sans crime, dire avec M. Daunou : « Des pouvoirs constitués par Charte, cessent d'être pouvoirs dès qu'ils agissent contre elle. » Je ne veux point moi-même décider cette grande question; mais ce que des publicistes d'opinions si souvent opposées se sont accordés à proclamer à la tribune, un écrivain serait-il punissable de le dire dans un journal?

la

Mais il n'y a rien de semblable dans l'article incriminé.

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