Page images
PDF
EPUB

Ce sont de grands móts et une inculpation fort sérieuse. Supposons que la provocation à la désobéissance existe. Je demande à quelles lois?

Est-ce à toutes?

La généralité de l'expression semblerait l'indiquer. Néanmoins il est trop évident qu'il ne s'agit pas d'une révolte contre l'ensemble de la législation.

Est-ce à certaines? auxquelles done? pourquoi le réquisitoire ne spécifie-t-il rien? Sont-elles politiques ou civiles? nous l'ignorons.

Cependant, puisque la souscription n'a d'autre but que de venir au secours des victimes d'une loi exceptionnelle; puisque le prospectus ne blâme que cette loi, il ne s'agit pas d'une autre.

On a provoqué à désobéir à la loi du mois de mars.

Y a-t-il une provocation possible à cette loi? Toutes les lois sont impératives, prohibitives ou pénales: il n'y en a même que de deux espèces, s'il est vrai de dire que les lois pénales sont la sanction de toutes les autres.

Un article du Code pénal, par exemple, enjoint de faire telle chose. Vous provoquez à résister à cette injonction, il y a résistance: la loi impérative est violée.

Un autre article défend de faire telle autre chose. Vous provoquez à la faire, on vous écoute : il y a infraction à la loi prohibitive. Dans les deux cas, une action certaine, fixe, et surtout légalement incriminée, a été commise.

Ce sont là des provocations et des désobéissances intelligibles.

Mais à quoi désobéirez-vous dans cette loi exceptionnelle? Est-elle impérative? elle n'ordonne rien; est-elle prohibitive? elle ne défend rien; est-elle pénale? elle ne prononce aucune peine. Quel est donc son caractère, elle est discrétionnaire et transitoire : elle arme les ministres d'un pouvoir absolu, affranchit des formes salutaires, supprime les

sages lenteurs, fait taire votre justice, rien de mieux. Toutefois ce n'est là qu'un moyen rapide d'exécution, une certaine manière d'expédier l'emprisonnement, et de disposer des hommes avec trois signatures. Comment désobéir à cette puissance extraordinaire? absolument et uniquement comme on désobéissait à Rome au dictateur, par la résistance ou par la fuite.

Par la résistance; pas un mot n'y provoque : elle est prévue par le Code pénal, et nous ne sommes ici pour violation d'aucun de ses articles.

[ocr errors]

Par la fuite; mais ce n'est là qu'une précaution ; et d'ailleurs lequel des accusés a provoqué à se dérober soit aux soupçons ministériels, soit à la lettre de cachet quand elle serait lancée? aucun.

O bizarre et inexplicable position de l'éditeur responsable de la Bibliothèque historique! Il compose un recueil de faits; et celui qui, au moins, a l'apparence de la générosité, est un de ceux qu'il aurait dû supprimer! Il le trouve répandu depuis long-temps dans le public par la voie des journaux ; et il est accusé d'avoir concerté avec les journalistes l'insertion tardive qu'il en a faite! Il y avait plus de huit jours que le prospectus circulait; et il aurait reçu des matériaux pour faire ce qui existait déjà ! Pendant un assez long intervalle, le ministère public s'abstient de poursuites; et l'on veut qu'à ses yeux des vérités générales, des maximes, des résumés deviennent des provocations à la désobéissance aux lois, lorsqu'enfin on découvre que la loi dont il s'agit, est une de celles auxquelles il est impossible de désobéir! Et de tout cela, il se forme contre lui je ne sais quelle compliplicité toute imparfaite et toute mutilée, toute imaginaire !

N'est-ce donc pas assez des innombrables liens dont on a embarrassé la liberté humaine, qui ne peut plus faire un mouvement sans choquer la règle d'un prétendu devoir, sans

blesser un droit? N'est-ce pas assez de cette foule de pénalités dans lesquelles un intérêt social, si souvent malentendu, l'a emprisonné, sans en créer encore là où il n'en saurait exister?

J'arrive à un autre moyen de justification de l'éditeur, l'entraînement que devait produire le choix des hommes désignés par le prospectus.

En effet, si nous voyons nos feuilles s'emparer avidement de la moindre action louable, et la publier dans toute la France, sur la foi souvent suspecte d'un inconnu qui la raconte; si un mot d'humanité recueilli dans nos cercles passe rapidement de bouche en bouche, et se transmet quelquefois jusqu'aux provinces les plus reculées, sans autre garant de sa certitude que la noblesse du sentiment qu'il réveille : qui se serait refusé à faire connaître une entreprise avantageuse à tous? au législateur, parce qu'elle était un dédommagement de la nécessité cruelle où il s'était cru placé; au pouvoir exécutif, parce qu'elle diminuait l'odieux de l'application même la plus juste; à l'infortune enfin, parce qu'elle adoucissait les fruits amers que l'exception porte toujours avec elle? Qui s'y serait refusé, dis-je, lorsque cette entreprise était soutenue de l'autorité de noms recommandables?

Car, Messieurs, quels provocateurs à la désobéissance aux lois, que ceux qu'on voyait les soutenir de leurs bras, de leurs écrits, de leurs fortunes!

Est-ce, par hasard, Mérilhou qui aurait pensé à les enfreindre; Mérilhou, élévé dans leur sanctuaire, appliqué à leur étude infatigable, à leur défense? Si comme nous, Mes-sieurs, vous aviez appris à le connaître, vous sauriez que son caractère seul était une garantie pour Gossuin. Quelle vie privée est plus pure que la sienne? Quelle vie judiciaire plus honorable? Qui a marché avec plus de constance dans le bien, avec plus de fermeté dans le vrai? A-t-il succombé sous ceux qui succombent chaque jour? A-t-il été vaincu par

ceux qui se font gloire de l'être? Que d'autres parlent d'un talent dévoué à l'infortune; de l'estime de ceux qui vivent le plus éloignés de son opinion, du témoignage unanime de la magistrature et de ses confrères. Je me bornerai à dire qu'il est désintéressé, incorruptible, inébranlable dans l'immobilité de ses principes: et ce sera là son plus grand éloge; car rien de si beau, rien de si rare que ce qui est conduit par unė raison toujours la même.

Permettez-moi, Messieurs, de me détourner un instant : que l'amitié ait ses droits ici comme la défense ; que tout en m'occupant de celui qui est le plus menacé, je m'arrête un instant à celui qui m'est le plus cher. Pardonnez-moi cette expression de mon attachement et de ma reconnaissance pour celui qui a encouragé et soutenu mes premiers pas dans la carrière, celui que je regrette de ne pas défendre parce que mon amitié en était digne, mais que je me félicite de voir défendre par un autre, parce que son talent le mérite mieux (1).

Je ne dis rien d'Odillon-Barrot, il a dû se reconnaître aux traits que j'ai tracés, il sait assez que jamais, ni dans mon affection, ni dans mon estime, il ne fut séparé de celui auquel le sort le réunit aujourd'hui.

:

Terminons ici, Messieurs, cette première partie de notre défense à quoi bon tant d'argumens, tant de débats, tant de considérations? Tout se réduit facilement à un mot. Vous, rédacteurs du prospectus, vous avez commis un bienfait; nous, nous l'avons annoncé.

Je vais entrer dans la seconde partie de l'accusation. Ce qui frappe d'abord, ce qui peut choquer, dans cette page

(1) En prononçant ces derniers mots, M. Mocquart était vivement ému. Sa voix était entrecoupée de sanglots, et des larmes coulaient abondamment de ses yeux. Tout l'auditoire était attendri.

[ocr errors]

intitulée du despotisme ministériel, c'est la dureté des formes, la violence des expressions, cette négligence des précautions ordinaires que l'art des hommes a inventées pour faire entendre la vérité, ou que leur faiblesse a exigées pour la souffrir. Si les choses avaient eu un cours paisible et réglé, je rechercherais dans l'auteur lui-même la cause de cet emportement. Le calme qui régnerait autour de lui m'avertirait assez que l'agitation n'est que dans sa tête. Mais l'ordre politique est défiguré et ébranlé. L'exception domine. Tout a subi une altération : la plus sensible s'est opérée sur le langage: c'est l'effet des révolutions. Il est toujours facile de le prévoir, il sera essentiel ici de le bien remarquer, afin que l'homme qui a juré d'être impartial n'exige pas d'une époque, ce qui ne peut se rencontrer qu'à une autre, qu'il sache vivre actuellement, et prononcer conformément à ce qui est.

Cette leçon, Messieurs, est celle de l'histoire, et vous êtes dignes de l'entendre. Athènes savante ne s'exprimait plus comme Athènes belliqueuse. La Rome républicaine parla fierement; la Rome impériale, servilement. L'invective, l'outrage dominent dans les libelles de la ligue ou de la fronde, la fureur dans ceux de 93, comme la flatterie et la basse adulation dans cette foule de discours et d'écrits que dicta le pouvoir absolu de Louis XIV et de Napoléon.

Qu'elle domine donc toute la cause, cette vérité historique, que le langage humain, modifié par ces mouvemens qui agitent les grands États et en renouvellent la face, s'aigrit tour à tour et s'adoucit, s'exaspère, se trouble, se pacifie.

Quelle influencé ont exercée sur lui les circonstances où nous vivons? Quel caractère lui ont-elles imprimé? Il n'est pas difficile de le déterminer, portez seulement vos regards sur ce qui vous entoure: abaissez-les de la tribune jusqu'au plus petit cercle; remontez du dernier pamphlétaire jus→ qu'au premier publiciste; vous reconnaîtrez que la violence

« PreviousContinue »