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s'échappe de toutes parts: elle est dans presque tous les esprits, et presque toutes les têtes. Elle s'est communiquée aux discours; elle est empreinte dans les écrits. Il y a je ne sais quelle contagion d'emportement qui a gagné les plus calmes, qui a passé rapidement des sentimens aux idées, des idées aux mots. Et comme, dans un grand nombre de voix confuses, chacune tend à s'élever à l'unisson de la plus haute pour n'en être pas couverte, chacun aussi par un malheureux effort a voulu monter au dernier degré de cette violence. C'est là, Messieurs, convenez-en de bonne foi, c'est là le ton du jour.

De-là, deux conséquences: la première, qu'il ne faut pas exagérer comme danger une habitude et une certaine allure sociale. La seconde, qu'il ne faut pas poursuivre trop rigoureusement contre quelques-uns, ce qui est la faute de

tous.

Vous vous garderez donc, Messieurs, de vous arrêter à cette première impression défavorable, à cette prévention souvent injuste que fait naître ce qui n'a pas un caractère extérieur de sagesse, ou ce qui ne flatte pas nos opinions. Cette âpreté, ces inconvenances, cette rudesse sauvage, cette brutalité même est une maladie trop commune pour aller, dans la foule de ceux qui en sont atteints, en choisir un qu'on frapperait avec sévérité.

Et ne croyez pas que, vous placer sous ce point de vue philosophique, d'où seulement vous pouvez considérer les choses sous leur véritable face, que chercher une excuse dans l'empire des circonstances, soit une défense inusitée. Je l'emprunte du ministère public lui-même. Plusieurs fois déjà n'a-t-il pas ou négligé ou suspendu la poursuite de certains articles, je ne dis pas seulement pleins de fiel et d'exagération, mais menaçans, mais hostiles, et que quelques-uns allaient jusqu'à qualifier d'incendiaires?

Le lendemain d'un événement déplorable, l'une de

nos feuilles ne s'écriait-elle pas aux armes ! n'avait-elle pas dit avant qu'il suffisait d'une journée pour sauver la France? C'était bien là une excitation à la guerre civile; cependant les organes du pouvoir sont restés silencieux. Pourquoi? sans doute leur sagesse a su réduire à sa juste valeur l'expression trop vive d'un enthousiasme douloureux, et cette ferveur brûlante du plus ardent royalisme. Ils n'ont pas voulu accuser le délire d'une ame troublée et transportée d'affliction, quoiqu'elle cherchât à soulever des vengeances. Ils savaient qu'appeler vaguement des bras à son seconrs, n'est pas les armér, et que ce même désir qui convoquait je ne sais quelles troupes aux champs de la Vendée n'était pas la puissance qui les y ramènerait. Je pourrais vous citer, et vous connaissez vingt exemples semblables, où le ministère public, expliquant la passion par le motif qui l'animait, a adopté la justification qu'elle puisait, ou dans l'excès de la douleur, ou dans la nature des espérances, ou dans une infinité de détails accessoires; imitez sa sagesse, alors même qu'il l'oublie ; placez-vous à la même hauteur, alors qu'il en veut descendre. Ne séparez point le prétendu délit, de l'époque même qui l'aurait fait commettre, du mouvement général des esprits qui l'aurait inspiré. Puisque je viens de vous montrer que la plainte a pu s'exha'er jusqu'à la menace, sans cesser d'être innocente, que l'affliction a eu sa fureur toute respectable et toute sacrée, examinez froidement si ses regrets et la critique n'ont pas aussi leur amertume, leur exaspération excusable.

A quelle époque, à quelle occasion parut l'article incriminé. Je ne traite point la question de nécessité, elle ne m'appartient pas. Je conviendrai de tout. Je sais que Sparte même a laissé dormir ses lois. Trois volontés particulières venaient d'être substituées à la volonté générale; trois hommes à la loi. Presque du soir au lendemain, nous avons

passé de l'empire des institutions sous celui des ministres, en d'autres termes, de la liberté à la servitude. Je conçois qu'un changement, préparé de longue main et mené d'un progrès insensible, aurait trouvé une contradiction moins animée, et que ceux qu'on aurait pliés par degrés, ne se seraient pas redressés tout-à-coup avec un effort si violent; mais la transition a été brusque ; on a frappé avant d'avertir; on n'a pas conduit à l'exception, on y a précipité. Alors chacun a jeté son cri. Le temps a manqué pour rédiger une humble remontrance et étudier des doléances mesurées.

Sans doute, le coup mortel qui ravit un prince de la famille royale, pénètre plus avant dans l'ame, y cause de plus vifs déchiremens, et la douleur se déborde ensuite en mouvemens impétueux et terribles. Mais pourtant, qui ne comprendrait pas, qui ne supporterait pas, sur la perte de la liberté, une plainte animée et des regrets passionnés? Est-ce l'esclave du pouvoir? c'est elle qui le fortifie. Sont-ce les plus fidèles serviteurs de leur roi? c'est lui qui est venu la consacrer. Est-ce quelqu'un de vous, Messieurs les Jurés? mais c'est elle qui, la première, vous fit asseoir là, et remit notre sort entre vos mains. Parmi les juges dont le plus beau droit est de la maintenir, parmi les avocats dont le plus noble est de la défendre, parmi tous ceux qui nous entourent et qui sont Français, je n'en vois pas qui ne doive excuser toute l'amertume du langage qu'a pu dicter, à quelques-uns au moins, la suspension, sinon la ruine de cette liberté sentiment inné, non enseigné; naturel, non transmis; car, dans tous les siècles, l'arbitraire s'est vainement déguisé. Qu'il se soit couvert du prétexte de la nécessité; qu'il se soit rendu imposant par l'appareil de la force, sacré même par l'autorité de la religion : quand la voix de l'homme fut étouffée, l'instinct le repoussa sans cesse.

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Eh bien, un homme profondément épris de cette liberté, qui a aussi ses adorateurs comme le pouvoir, se voit tout-à

coup ravir son bien le plus cher; et, dans son espoir déçu, dans les efforts impuissans que d'autres tentent pour le retenir, dans l'élan d'un patriotique regret, il s'écrie:

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Nous vivons sous la tyrannie, la tyrannie a été mise en » délibération, c'est une nouveauté, le Gouvernement a » demandé l'arbitraire et il a obtenu l'absurde : » et autres exclamations pareilles. Quelle force peuvent-elles avoir ? Qu'étaient-elles au sein de l'orage et des passions tumultueuses qui retentissaient avec éclat? Vous y êtes transportés par la pensée. Je m'adresse encore à votre raison, si elle a pu demeurer paisible parmi tant de causes de perturbation, n'est-ce pas là seulement l'expression brusque, violente, exagérée d'un chagrin naturel?

D'ailleurs, ne nous arrêtons qu'à l'objet de l'accusation, à une phrase, celle qui, seule, pourrait atteindre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, qui annonce, en forme de sentence, que l'arbitraire législativement proclamé, n'est pas une loi. Quel est le véritable sens? conteste-t-il sérieusement l'initiative, la sanction, la coopération? l'auteur ne sait-il pas qu'avec l'accomplissement des formalités voulues, la loi pourra toujours être appelée la volonté de tous, dans l'intérêt de tous?

Sa faute serait d'avoir admis une distinction dans les lois ; est-il donc si coupable? Quoique l'expression du vœu général emporte toujours soumission, cependant elle ne semble pas toujours commander un respect égal. Il est des lois perpétuelles, il en est de temporaires; il est des lois fondamentales, il en est d'exceptionnelles; les unes sur lesquelles repose le bonheur des empires, les autres qui sont le signe de leur ébranlement; les unes qui rassurent, les autres qui effrayent.

Écoutez, Messieurs, je vous prie, à cet égard, une citation remarquable.

« L'instabilité des lois est le pronostic d'une chute pro

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» chaine des empires. En général, les lois ne sont pas lois si » elles n'ont quelque chose d'inviolable........ L'attache» ment aux lois et aux anciennes maximes, affermit la » société et rend les États immortels : on perd la vénéra» tion pour les lois quand on les voit si souvent changer : » C'est alors que les nations semblent chanceler comme troublées...... L'esprit de vertige les possède, et leur chute » est inévitable; c'est l'état d'un malade inquiet, qui ne » sait quel mouvement se donner..... On tombe dans cet état quand les lois son variables, sans consistance, c'est» à-dire, quand elles cessent d'étre lois. Il n'y a que les » révolutions capables de faire rentrer dans leur cours » ces puissances débordées. ( Bossuet, Polit. liv. 1, art. 4, » prop. 8.)

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A cette énergique prédiction, qui croyez-vous entendre ? est-ce encore un pamphlétaire égaré, qui fait de ces vérités une application indirecte au temps où nous vivons? est-ce au moins un de ces publicistes propagateurs de pernicieuses doctrines? Non, Messieurs, je m'appuie sur la plus respectable autorité, et je sanctifie une discussion toute profane par l'entremise de la parole sacrée. Le génie de l'Église s'est fait entendre lui-même, c'est Bossuet, dans le livre premier de sa Politique tirée de l'Écriture sainte. Vous voyez qu'il dit assez formellement que l'arbitraire législativement proclamé, n'est pas loi, et qu'il encourage ainsi l'éternelle protestation des peuples contre la puissance qui le veut introduire.

Le célèbre Nicole n'enseigne-t-il pas, dans son Traité de la Grandeur, « ་་ Que c'est à Dieu méme que tout homme » rend hommage, en obéissant au prince dépositaire d'une » autorité divine dans sa source; il craint de se dégrader, » d'offenser la raison, de déroger à la noblesse que tout

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étre, intelligent reçoit de l'auteur de la nature, en accor

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