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»dant à une volonté arbitraire le sacrifice qu'il ne doit qu'au commandement raisonnable et légitime?

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Il entre donc dans les notions que ces sublimes esprits ont données de la loi, qu'elle n'est considérée vraiment comme telle, qu'autant qu'elle a une existence fixe, un caractère de perpétuité, et que son exécution constante assure la fin d'utilité que le législateur s'est proposée. Ils refusent ce nom à ces remèdes momentanés, à ces effrois passagers qui viennent soulever plus de passions qu'ils n'en

arrêtent.

Où serait maintenant le si grand crime d'avoir traité une exception inouie comme les plus illustres apôtres de la foi chrétienne; d'avoir cru avec eux, que ce qui porte l'auguste qualification de loi, ne mérite pas toujours également nos hommages ; qu'il ne faut pas sans cesse se courber en aveugles devant un extérieur si imposant; qu'on peut admirer la Charte, et détester toute loi qui la viole, parce que la haine de l'exception est l'amour de la règle ? Autrement, ce qu'il y a de plus déplorable se légitimerait à la faveur du mot; car, enfin, une expérience de trente années vous a appris que tout indistinctement a pu ou pourra se faire avec les lois ou par les lois.

Ce qui cause ma surprise, Messieurs, c'est qu'on se récrie à ces périphrases de pouvoir absolu, de domination tyrannique, de puissance du pistolet! Qu'elles sont faibles en effet, que le sens en est borné, que l'expression en est commune quel froid commentaire, auprès de ce mot de création, qui a retenti du haut de la tribune, de ce chefd'œuvre de précision : l'arbitraire de confiance! Cette naïve et originale locution n'a-t-elle pas convié la franchise de tous?

D'ailleurs, à qui vraiment s'adresse ce morceau? est-il possible de s'y méprendre? Il est intitulé du despotisme

ministériel; il y est dit : Les agens qui le composent sous le nom de ministres. Le mot gouvernement n'y peut donc signifier autre chose que la réunion des pouvoirs intermédiaires, subordonnés, dépendans. L'injure frappe la foule des agens subalternes, et ne s'élève pas jusqu'à cette puissance royale que le principe du gouvernement représentatif isole dans une sphère supérieure où elle repose inaccessible et inviolable.

Serait-ce donc encore ici une question de susceptibilité ministérielle? Tout porte à le croire, puisque les termes du prospectus et ceux de l'article particulier en offrent les mêmes causes. Dans l'un on parle de la perfidie, de la corruption, de la bassesse de quelques hommes; dans l'autre on va jusqu'à laisser échapper une comparaison avec des chefs de bande. Mais si c'est là un outrage fait aux ministres, ce n'est ni une attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, ni une provocation à la désobéissance aux lois.

Il reviendra donc dans toutes les causes de cette nature, l'éternel débat sur la division des pouvoirs ; car en politique et en matière de pénalité qui s'y rattache, tout mal vient de la confusion qu'on tente sans cesse d'y introduire. C'est elle qui aveugle le législateur, au point de lui faire sanctionner ces envahissemens qui rompent l'équilibre, et ces exceptions qui anéantissent l'ordre; c'est elle qui nous saisit parfois d'un zèle si ombrageux, nous transporte d'une probité si passionnée et si fougueuse, que nous allons plaçant les criminalités là où elles ne doivent pas être, les agrandissant, les grossissant toujours. Prévenez, Messieurs, cette confusion funeste, divisez ce qu'on s'efforce de réunir.

Il est pénible, sans doute, de fatiguer votre attention par des principes élémentaires, si constans aujourd'hui et pourtant si négligés mais c'est l'attaque qui multiplie la

fense; il faut parer aux coups autant de fois qu'il y en a de portés, et se souvenir aussi souvent qu'il plaît d'oublier.

L'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, est celle qui leur est donnée par la constitution : le pouvoir exécutif, la suprématie de l'État, le commandement des forces de terre et de mer, en un mot les attributions que la Charte définit et qu'elle leur confère. Tout ce qui n'est pas expressément compris dans les divers articles dont j'épargne l'énumération, ne saurait être autorité constitutionnelle, soit du Roi, soit des Chambres.

Attaquer cette autorité, c'est ou contester l'existence ou combattre l'exercice de l'un de ces droits fondamentaux. Mais toute attaque n'est pas indistinctement punissable. Le législateur veut qu'elle soit formelle.

Quel est le sens précis de ce mot formelle, visible et directe?

c'est-à-dire

D'abord visible: elle paraîtra au premier regard, nul besoin d'un œil exercé pour la démêler, d'un commentaire ministériellement savant pour l'expliquer. Le législateur a proscrit l'ancienne méthode de l'insinuant et de l'indirect; il ne veut plus de ces interprétations laborieuses à l'aide desquelles on enfantait péniblement le délit.

Ensuite directe; le but où elle vise sera marqué. Le trait qu'elle lance ne sera pas un trait détourné. Le législateur rejette pareillement cette autre doctrine, qui plaçait à la même hauteur le pouvoir suprême et ses agens, couvrait leurs petits ressentimens d'une autorité sacrée, secourait les faiblesses et vengeait les blessures de leur amour-propre avec le privilége de l'inviolabilité.

Tels sont les principes incontestables, puisés aux sources les plus pures, confirmés par tous les témoignages publics. Séparez donc, Messieurs, ce qui ne doit pas être confondu; faites la part de ce qui est inviolable à jamais, de ce qui

est sans cesse vulnérable; mais surtout, l'impartialité l'exige, reportez-vous au moment de la crise politique et du mouvement convulsif qui l'a marquée. C'est là, uniquement, qu'il faut vous demander qui fut sage alors, qui fut modéré. Qui put l'être? qui de nous n'a pas entendu la voie des passions, et qui n'y a pas répondu ? Qui de ceux qui attaquèrent, de ceux qui résistèrent, de ceux qui demandèrent la loi, de ceux qui l'obtinrent? Ah! si la mémoire pouvait ressaisir tant de phrases, tant de discours échappés de part et d'autre, combien ne se reconnaîtraient plus à leur propre langage! Combien se désavoueraient eux-mêmes, et se rejetant sur l'entraînement général, y chercheraient leur justification! Nous l'admettrions, Messieurs, nous accorderions quelque chose à l'erreur commune.

Eh bien, à notre tour, nous venons vous dire, oui l'expression de nos regrets fut peut-être trop violente, mais l'emportement même la rend moins redoutable; celui qui veut le mal dissimule, celui qui le conçoit se tait. Le danger ne sera jamais dans de vaines clameurs, il est dans les suggestions habiles et perfides, dans le plan suivi, dans les sourdes menées : oui, nous avons parlé avec passion, mais la passion nous enveloppait de toutes parts, nous subjuguait; nous avons commis la faute du jour. Oui, notre plainte a été trop ardente; mais nous gémissions sur la perte du bien le plus cher, du droit le plus noble. Peut-on toujours se promettre d'étouffer sa voix, répondra-t-on d'un cri qui s'échappe ? Quelques exclamations sont-elles si coupables en présence même de l'objet qu'on se voit ravir? Le silence serait une vertu plus qu'humaine. Sur la croix du préteur Gavius s'écriait : Au moins, je suis citoyen romain!

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Vous connaissez maintenant, Messieurs, et ce qui nous condamne, et ce qui nous excuse; vous saurez tout balancer. Nous sommes entrés dans ce débat avec une grande franchise: elle était nécessaire pour nous y soutenir avec confiance.

Que de choses, en effet, capables de l'ébranler, si nous ne nous reposions pas sur vous! Car vous connaissez assez ce qui précède les grandes affaires de cette nature. Je ne sais quelles gens ont voulu nous effrayer de leurs sinistres prédictions. Ils parlaient de désignations particulières, d'instrumens passifs, de condescendances pusillanimes. Ils sont allés, Messieurs, le croiriez-vous, jusqu'à nous faire entendre à l'avance votre décision, en répandant des bruits avantcoureurs de certaines volontés. Nous leur avons imposé silence, et nous leur répétons: Qu'importe que l'autorité choisisse, la probité jugera. Qu'importe qu'une fausse opinion condamne, la justice absoudra. Qu'importe des désirs hautement manifestés, la conscience restera sourde; et alors, Messieurs, qu'elle va nous paraître grande et belle, cette institution, tout imparfaite qu'elle est encore! Elle reste debout quand tout fléchit, elle rassure quand tout effraye, parce qu'elle sait mettre des bornes à l'excès des précautions, et désarmer le législateur devenu trop menaçant. Qu'ils seront honorables à nos yeux, les hommes qui en auront consacré l'effet! Nous nous tournons vers eux avec l'espérance. Nous nous réfugions avec sécurité dans le sein de ceux qu'elle a amenés ici pour décider de notre sort. »

M. Gossuin demande la parole.

« MM. les jurés, dit-il, il m'est indispensable d'arrêter un instant votre attention sur l'article pour lequel je suis personnellement inculpé. Le ministère public en a tiré parti de manière à me prêter des intentions que je désavoue, et même un langage que je n'ai pas tenu. Je n'ai pas pu dire que le gouvernement actuel n'existe pas. Une telle assertion ne peut m'être imputée, à moins qu'on ne me suppose en état de démence. Ces gardes qui nous environnent, ces juges assis sur leur tribunal, et qui ont

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