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le pouvoir de nous condamner, ne démentent que trop une pareille assertion! Plus le régime dont je me suis plaint serait despotique, plus un pareil langage serait absurde; on ne pourrait me le prêter même à Constantinople: en effet, ne serait-il pas aussi dérisoire que cruel de faire dire au malheureux courbé sous le sabre du Mameluck : « Le gouvernement n'existe pas ! »>

Le crime dont on m'accuse doit donc se réduire à de simples réflexions morales. Mais ici, Messieurs, il est nécessaire de s'entendre; car, si nous parlons deux langues différentes, nous ne nous comprendrons pas. Qu'y a-t-il de commun entre la politique et la morale ? L'une a pour but de réussir, l'autre de bien faire; dans celle-ci c'est l'intention qui justifie, dans celle-là tout dépend du succès. Il existe donc deux puissances dans le monde, la politique et la morale. Messieurs, votre seule présence ici atteste l'existence de cette dernière puissance! C'est elle qui est appelée à balancer l'autre. Je n'ai pas prétendu dire que la puisance politique n'existait pas, je l'ai mise seulement en présence de la puissance morale qui doit lui servir de contre-poids.

Cette expression du Contrat social que j'ai citée, La puissance du pistolet, semble révolter quelques esprits. Ah! Messieurs, quand Rousseau écrivait ces lignes éloquentes, il était seul avec sa conscience! Puissent les agens du pouvoir écouter souvent de pareilles inspirations.

Je méprise les vices que fait contracter l'habitude du pouvoir; je déteste les crimes auxquels il conduit; mais je respecte ceux qui l'exercent, parce que je vois en eux mes semblables, et que l'entraînement du pouvoir est si fort que nul d'entre nous ne peut se flatter d'avance d'y

résister. Mais, Messieurs, quand le chef de l'État lui-même, éclairé par de longs malheurs, prend des garanties contre la faiblesse humaine, contre sa propre faiblesse, quel est l'audacieux qui ose renverser à la fois toutes ces garanties, et dire au Monarque : Vous n'en avez plus besoin ! Voilà bien le moment qu'il avait prévu arrivé, il est entouré par la séduction le langage des flatteurs s'est fait entendre. On lui conseille de se délivrer de tous les liens qui le gênent, et de goûter en repos toutes les douceurs du pouvoir absolu. L'homme ébranlé est prêt à céder, il oublie les conseils de la sagesse. Quel est le devoir de ses vrais amis en ce moment? il leur crie : Déliez-moi! Ah! qu'ils redoublent plutôt ses liens; qu'ils soient sourds à ses cris, à ses plaintes, à ses gémissemens, comme il devrait l'être au langage des flatteurs! Il y va de son salut, il y va du salut commun, Après avoir échappé au danger, il reconnaîtra un jour ses vrais amis, et il rendra grâce à leur fermeté, à leur violence même, de son propre salut et du salut public.

Gardez-vous de croire, Messieurs, que je veuille rassurer le pouvoir pour le surprendre, comme ces animaux perfides qui endorment leur victime avant de l'immoler. Qui, le Gouvernement court des dangers; mais c'est l'abus du pouvoir, et non l'esprit de révolte, qui les a suscités. Le peuple est la première victime des troubles qui l'agitent, il veut maintenir la loi fondamentale; ce n'est point lui, ce sont ceux qui veulent la renverser, ce sont les agens du pouvoir qui sont en révolte. Quatorze siècles de monarchie absolue, sont un terrible précédent pour nous. Sous un gouvernement où il n'existe d'autre loi que la volonté du maître, il semble que le peuple seul puisse se révolter. Si

l'on admet que le gouvernement ne doive pas être soumis à la loi comme le peuple, alors il n'y a plus de régime constitutionnel, il faut obéir et se taire; car toute discussion des actes de l'autorité est un crime sous un gouvernement absolu. Ce silence, Messieurs, serait le précurseur de grands orages! Nous avons voulu les prévenir, non pas dans l'intérêt des institutions, car elles leur survivront, mais dans celui des individus, car ils pourraient disparaître dans la tourmente. Je tâcherai toujours de m'interposer entre les passious du peuple qui s'attachent à l'individu, et celles des grands qui les portent à mépriser les principes: sûr de leur triomphe, je chercherai à éviter la perte de ceux qui les attaquent, car elle me paraît imminente; mais si elle n'opère qu'un déplacement d'individus, elle est inutile, et elle est indigne d'un grand peuple, d'un peuple généreux et éclairé, qui désormais peut arriver à la liberté avec calme, avec ordre et sans outrager l'humanité. »

M° Persil, défenseur de M. Etienne : « Trois écrits vous sont dénoncés, comme constituant le double délit d'attaque contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, et de provocation à la désobéissance aux lois. Ces écrits ont été réunis dans une seule accusation, par un motif que chacun de vous apercevra sans peine, mais qui n'est pas, nous le dirons avec franchise, celui de la vérité et de la justice. Ce motif, que tout révèle, nous impose à nous le devoir de distinguer ce qu'on s'est efforcé de confondre; non que nous redoutions la confusion, car votre conviction doit être parfaite, mais parce qu'il

faut rendre à chacun ce qui lui appartient, et ne faire peser sur la tête de chacun que ce qui est à lui.

Le premier de ces écrits est celui du 30 mars. On veut le réputer l'ouvrage des journalistes dont vous venez d'entendre la justification; il est complétement étranger à MM. Etienne, Mérilhou, etc., qui ne l'ont pas fait, qui ne l'ont pas signé, qui n'en ont pas eu connaissance, et pour lequel, sur leur honneur, ils attestent n'avoir fourni ni notes, ni renseignemens.

Le second écrit, que les gens de bonne foi s'étonnent de voir figurer dans le procès de la Souscription, est celui de la Bibliothèque historique, intitulé Despotisme ministériel. Cet article n'a aucun rapport avec celui des journaux, non plus qu'avec l'écrit du 31, nous n'avons donc pas à nous en occuper.

Le troisième écrit, qu'il faut isoler des deux autres, parce qu'il s'en fait distinguer par la forme, par le fond, par la qualité des signataires, qui l'avouent et qui ne se reprochent pas même encore de l'avoir mis au jour, est celui du 31 mars, Cet écrit est le seul que, dans l'intérêt du sieur Etienne, je doive justifier : je l'examinerai dans son origine, dans son but et dans ses effets.

La loi du 26 mars venait d'être adoptée; loi terrible, loi effrayante, qui confie la liberté des citoyens à la volonté de trois ministres, ou plutôt, comme l'un d'eux l'a franchement avoué, à leur pur arbitraire, à l'arbitraire dégagé de toute responsabilité.

Cette loi ne pouvait pas être exécutée, surtout dans les départemens, par les ministres eux-mêmes; il fallait se reposer sur des subalternes; de-là, les funestes effets

des haines particulières, du zèle excessif et peu éclairé ; de-là, les délations et tous leurs cortèges. Il était impossible, quelle que fût la modération avec laquelle cette loi fût exécutée, qu'elle n'atteignît pas des innocens. C'était une nouvelle classe d'infortunés, d'autant plus dignes d'intérêt, qu'ils n'avaient aucun moyen de faire juger leur innocence.

En France, la possibilité d'une injustice fait naître le désir de la réparer. A peine l'adoption de la loi fut-elle connue, que, dans un grand nombre de départemens, on proposa d'ouvrir des souscriptions pour secourir les malheureux qui pourraient être détenus : Quelles que soient, disait-on, la nature, la vérité ou la fausseté des faits qu'on leur impute, ils sont hommes et malheureux; ils doivent intéresser la pitié publique.

Ce cri de la pitié fut entendu à Paris. Des citoyens de toutes les classes proposaient leurs offrandes, et il ne s'agissait que d'en régulariser la perception ou l'emploi. A cet effet, des souscripteurs, parmi lesquels se trouvaient des députés, se réunirent le 29 mars. M. Étienne n'y était pas; on convint de nommer une Commission, dont on désigna sur-le-champ les membres : c'étaient neuf députés; et les six prévenus qui n'assistaient pas à la réunion, n'apprirent leur nomination que par le journal du 30, et l'avis qu'ils en reçurent dans la même journée. Ce point, qui est établi par l'instruction, est d'une haute importance; il prouve qu'ils n'ont pris nì pu prendre aucune part à tout ce qui s'est fait, soit le 29, soit dans la matinée du 30; que par conséquent on ne peut pas les accuser de complicité avec les journalistes éditeurs de l'écrit du 30.

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