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M. Étienne se trouva trop honoré du choix de ses concitoyens, pour ne pas accepter la mission qu'ils venaient de lui déférer. Qui de vous n'en eût fait autant? Il lit, dans le journal du 30, qu'une souscription est ouverte au profit des malheureux détenus; elle est placée sous la protection des noms les plus honorables. Quel danger pouvait-il courir? ce n'était pas lui qui avait conçu l'idée de la souscription; ce n'était pas lui qui l'avait organisée. On ne le chargeait que de distribuer les secours. Loin d'y voir un crime, ce n'était à ses yeux qu'un acte de bienfaisance.

Toutefois, certains journaux s'étaient plu à défigurer l'objet de la souscription; il fallait la présenter sous son véritable point de vue, et c'est ce qui détermina les commissaires à publier l'écrit du 31, qu'il faut enfin vous lire. (Ici M• Persil en donne lecture.)

A peine ce prospectus avait-il paru, que le ministère, qui n'aurait dû y voir que la générosité et l'humanité des Français, crut y trouver une censure amère de sa politique; censure que, contrairement aux principes du gouvernement constitutionnel, qu'on n'entend pas bien encore en France, il n'était pas d'humeur à supporter. Il donna donc ordre de poursuivre les signataires, je me trompe, ceux d'entre eux qui, par leur position, paraissaient plus faciles à faire condamner. L'écrit était signé par neuf députés et par les six prévenus; le fait était identique, la prévention devait les frapper tous : il a plu cependant à M. le procureur - général ( qui suivant nous, n'en avait pas le droit) de restreindre ses poursuites aux signataires non députés.

La plainte fut d'abord portée devant la chambre du

conseil du tribunal de première instance, qui, à l'unanimité, déclara qu'il n'y avait pas lieu à suivre. Nous vous lirions les termes de l'ordonnance, si déjà elle ne vous eût été fidèlement rapportée. Ainsi, le tribunal a décidé, non seulement qu'il n'y avait pas délit réel, mais qu'il n'y avait même pas lieu à prévention sur les deux chefs d'attaque contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, et de provocation à la désobéissance aux lois. Dans l'intérêt de la vérité, de la justice, le ministère public devait être satisfait.

Il en fut autrement. Le procureur-général forma opposition; et comme s'il avait craint de présenter sa demande à la chambre d'accusation de la Cour, qui seule, dans l'ordre naturel des choses, aurait dû en connaître, il ressuscita un décret de Bonaparte, tombé en désuétude dès sa naissance, et qui n'avait jamais été exécuté (1) : décret qui l'autorisait à réunir une autre chambre de la Cour à la chambre d'accusation.

On vous a dit que cette réunion n'avait été faite que dans l'intérêt des accusés ; vous allez en juger par l'événement. L'ordonnance de la chambre du conseil fut annulée, et nos cliens, acquittés à l'unanimité, et sur tous les chefs, par les premiers juges, furent renvoyés devant la Cour d'assises pour y être jugés, non-seulement sur les deux chefs énoncés à la plainte originaire et dans l'opposition de M. le procureur-général, mais encore sur un troisième chef, dont personne ne s'était douté

(1) M. le président a interrompu l'avocat pour lui faire remarquer que ce décret avait été mis à exécution, en 1818, dans l'affaire Doumerc.

jusqu'alors, celui de complicité dans la publication de l'écrit du 30 mars.

Il faut d'abord dégager la cause de ce troisième chef. M. l'avocat général l'a à peine indiqué. Nous suivrons d'autant mieux son exemple, qu'il suffit d'un seul mot pour l'expliquer.

Il consiste, suivant l'arrêt de renvoi, dans la complicité dont les signataires de l'écrit du 31 mars se seraient rendus coupables en donnant sciemment aux auteurs de l'écrit du 30 mars, des instructions pour commettre les délits à eux imputés.

D'après tous nos principes, c'est à l'accusateur à prouver la vérité de l'accusation. C'est à lui à établir comment les prévenus ont donné ces renseignemens, et en quoi ils consistent; or, l'on ne dit rien de semblable. Il y a complicité, parce que nous le soutenons: voilà tout l'argument.

Il nous suffirait de faire cette remarque pour démontrer le vide de l'accusation ; à notre tour nous pourrions dire: Vous ne prouvez pas que les prévenus aient donné des notes, des renseignemens: donc ils ne sont pas complices; donc, ce chef de prévention n'a jamais dû les atteindre.

Et d'ailleurs, comment était-il possible de se rendre complice des journalistes ? je ne connais que les imprimeurs qui pussent le devenir, encore faudrait-il qu'ils fussent de mauvaise foi. L'auteur lui-même de l'article, s'il était indiqué, ne pourrait pas être complice; il serait l'auteur principal du délit, et les journalistes seraient ses complices.

On dit que c'est en donnant des notes, que les pré

venus se seraient rendus complices. Quand la remise de ces notes serait vraie, le délit n'existerait pas pour cela. Celui qui donne des renseignemens à un journaliste sur un fait vrai ou faux, n'assume sur lui aucune responsabilité. C'est au journaliste à voir l'usage qu'il en peut faire.

Dans la cause, quels pourraient être ces renseignemens? Sur quoi pourraient-ils porter? Nous ne voyons que deux objets : l'existence de la souscription et la nomination des commissaires; toutes choses vraies, que les journalistes étaient maîtres de publier, et dont ils étaient seuls responsables.

Maintenant nous irons plus loin: non-seulement nous dirons que le fait, tel qu'il a été articulé, ne constitue pas un délit, qu'il n'est pas prouvé; mais nous établirons que l'assertion de l'arrêt de renvoi est fausse; que les prévenus, à aucune époque, n'ont fourni ni pu fournir ni notes ni renseignemens aux journalistes.

On se souvient que c'est le 29 mars que le premier écrit a été conçu et rédigé; que c'est dans la soirée qu'il a été imprimé, et que la publication qui en a eu lieu le lendemain, a seule fait connaître aux commissaires la mission qui leur était confiée. Ce point a été démontré aux débats, de l'aveu de M. l'avocat-général lui-même ; et dès-lors il a été établi que les prévenus n'avaient pu y coopérer.

Passons maintenant aux deux autres délits spécifiés dans l'arrêt de renvoi : ils résulteraient de l'écrit du 31 mars, le seul que nos cliens avouent, parce qu'ils n'ont pris' part qu'à celui-là. Mais, pour cet écrit, ils en acceptent toute la responsabilité; ils ne craignent pas les

interprétations, parce que, raisonnablement, il ne peut pas en présenter de coupables.

On a divisé l'examen qu'on en a fait, en deux parties. On a dit que le fait de la souscription, en lui-même, était coupable; que, joint au mode de publication, à la rédaction du prospectus, il constituait les deux délits d'attaque contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, et de provocation à la désobéissance aux lois. Nous allons suivre la même marche, et examiner successivement la souscription et la rédaction du prospectus.

Les souscriptions en faveur des malheureux sont protégées par l'autorité, et plus particulièrement par cette famille auguste dont nous sommes accoutumés à respecter les vertus. Celle-ci doit inspirer la même faveur que les autres. Comme elles, elle est conforme à la morale, à l'humanité et à la justice; elle n'est défendue par aucune loi, elle ne peut donc être criminelle.

L'usage des souscriptions est, pour ainsi dire, l'un des attributs des gouvernemens représentatifs. Voyez-les tous: voyez aux États-Unis, en Angleterre; chaque événement, nous avons presque dit chaque crime, y est suivi d'une souscription. Cet usage n'était pas inconnu en France, même sous le gouvernement absolu : on a vu, avant la révolution, des souscriptions au profit, non pas de suspects, mais au profit de condamnés, d'assassins, auxquelles les personnes les plus respectables ne craignaient pas de contribuer.

Pour ne pas abuser de vos momens, je n'en citerai qu'un exemple.

En 1777, les trois frères Degueyssar, nobles d'origine, avaient assassiné, de propos délibéré, un simple plé

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