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SUITE DES PLAIDOIRIES.

Arrét définitif..

AUDIENCE DU 1er JUILLET.

M Tripier, avocat de M. Gévaudan. « Le système de l'accusation, en ce qui concerne les signataires du prospectus, doit, je le pense, se concentrer désormais dans le fait et la publication de la souscription. Il est vrai que le ministère public a toujours présenté ce fait accompagné de deux autres qui, du moins d'après l'arrêt de renvoi, étaient destinés à arrêter vos regards, la rédaction même du prospectus, et la complicité des signataires du véritable prospectus avec les journalistes relativement à l'écrit inséré le 30 mars; mais je pense que le peu de solidité de ces deux chefs d'accusation, je dirai même la faiblesse avec laquelle ils ont été soutenus devant vous au nom de la société par le ministère public, m’autorise à penser qu'il serait désormais inutile de m'en occuper. Je me fixerai donc au premier. Ainsi, une seule question reste à traiter, un seul problème à résoudre : le fait de la pensée d'ouvrir une souscription et l'émission de cette pensée dans le public est-il par lui-même un fait criminel, un délit, lorsque d'ailleurs la rédaction du prospectus n'offre rien de repréhensible aux personnes même les plus susceptibles. Je devrais, dans l'ordre de la dis

cussion générale, Messieurs, approfondir cette question, qui m'avait été dévolue par le suffrage de mes collègues; mais, je le sens, elle est déjà presque épuisée par ceux qui m'ont précédé, et les solides raisonnemens qu'ils ont développés ne me laissent que peu d'efforts à faire. Certes, ce ne sera pas moi qui abuserai de la scrupuleuse attention que vous donnez aux débats. Ne craignez pas que je tombe dans des redites fastidieuses.

Ne redoutez pas non plus quelques-uns de ces écarts qui, dans la séance d'hier, nous ont affligés un moment; 'ils sont le résultat plutôt de l'erreur de la jeunesse, que du cri du cœur tous ceux qui, comme nous, se dévouent à la noble profession de parler en public, sont pénétrés du plus profond respect pour les lois.

Je m'étonne d'abord du système principal d'accusation produit par le ministère public; il a l'air d'attacher peu d'importance à la rédaction du prospectus du 31 mars, il semble en abandonner complétement la rédaction; et ́en effet, il était difficile d'y trouver une attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, une provocation à la désobéissance aux lois : le ministère public s'attache à la pensée même; il soupçonne ceux qui ont rédigé l'écrit du 31 mars, d'avoir été dirigés par un esprit d'opposition à la loi.

'La culpabilité ne réside donc plus que dans le fait même de la souscription, dans l'invitation faite à chacun suivant ses facultés, de concourir à la mesure exprimée dans le prospectus. Or, c'est là une accusation nouvelle. Ce n'était pas là le système de l'arrêt de prévention, qui, sans être plus fondé que celui qui lui succède, était du moins plus conforme à la loi pénale. On voulait trouver,

on cherchait péniblement, il est vrai, dans la rédaction de l'écrit du 31 mars, s'il n'y avait pas quelque chose à reprocher aux auteurs du prospectus. C'était si bien là l'esprit de la prévention, qu'on avait eu soin de signaler les alinéas dans lesquels on croyait rencontrer plus particulièrement un caractère repréhensible. S'il ne s'était agi que du fait lui-même, il était inutile de citer un alinéa plutôt que l'autre ; il suffisait de rappeler la pensée.

mars,

Pour apprécier sainement cette pensée, il faut isoler le fait de la souscription des deux écrits du 30 et du 31 il faut supposer que le prospectus a été rédigé en trois ou quatre lignes, en ces termes : « Tous ceux qui voudront souscrire pour venir au secours des personnes qui seront arrêtées en vertu de la loi du 26 mars, sont invités à porter leurs offrandes entre les mains de tels et tels; signé tels et tels. » Voilà comme il fallait procéder pour juger le fait en lui-même; or, est-il un seul individu qui, sur cette simple annonce, ait pu se sentir excité à désobéir aux lois? L'habileté du ministère public a senti que, pour donner à ce fait une apparence de culpabilité, il fallait le rapprocher d'écrits plus graves, plus repréhensibles, de l'écrit du 30 mars auquel le prospectus est étranger.

Déjà la question de la culpabilité du fait même de la souscription a été présentée aux barreaux, soit de la capitale, soit des provinces ; ces hommes recommandables, qui ont donné des gages au prince et à la patrie, ont de bonne foi pensé, comme nous, qu'il n'y avait rien de criminel dans ce fait.

A leur autorité, j'en ajouterai une plus importante, c'est l'opinion du Gouvernement. Vous êtes étonnés de

ma hardiesse à invoquer l'opinion du Gouvernement contre une accusation poursuivie en son nom; je m'explique M. l'avocat-général vous a dit que si nous invoquions devant vous un arrêt de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi contre un arrêt de Lyon qui déclare qu'il n'y a pas lieu à suivre, vous ne vous laisseriez pas surprendre; que la Cour de cassation n'avait pas eu à apprécier, comme la Cour royale de Lyon, le caractère de l'écrit; qu'elle avait seulement dit qu'il n'y avait pas lieu à casser l'arrêt de Lyon.

Cela est vrai; mais le Courrier, en rendant compte de cet écrit, en tirait des conséquences très-favorables à læ Souscription. Le Gouvernement sentit la nécessité d'y répondre, et fit insérer dans le Moniteur un article dont voici la teneur :

« Le Courrier, en rendant compte, dans sa feuille du 12 de ce mois, de l'arrêt rendu par la Cour de cassation sur le pourvoi formé par le ministère public envers l'arrêt par lequel la chambre d'accusation de la Cour royale de Lyon a déclaré qu'il n'y avait lieu de mettre en prévention les sieurs Menus, Targe et Chastaing, y a joint des réflexions sur lesquelles il ne sera pas inutile de faire quelques observations.

« Une pensée, dit-il, a d'abord saisi fortement tous les >> esprits sages...... Cette pensée a été que là où trois >> Cours royales, celles de Paris, de Lyon et de Grenoble, >> prononçaient de trois manières différentes sur le même » fait, il était bien difficile que de simples citoyens fussent » plus éclairés que la Cour royale de Lyon, et crussent, » en signant un acte de bienfaisance, commettre an

» délit, lorsque cette Cour n'a pas vu dans cet acte un >> délit. >>>

» Mais cette pensée qui, dit-on, a fortement saisi tous les esprits sages, porte absolument à faux; elle suppose un fait qui n'est pas.

» Les poursuites à Paris, à Lyon, à Grenoble n'ont pas été dirigées contre un acte de bienfaisance; on n'a pas recherché les signataires de la fameuse souscription, parce qu'ils avaient offert des secours au malheur; on n'a pas voulu sonder quelle pouvait avoir été leur intention secrète, et si, à l'égard de plusieurs d'entre eux, une pareille démarche n'avait pas un but coupable sous les apparences de l'humanité; car si la pensée de ces signataires avait été, lorsqu'ils ont souscrit en faveur de ceux qui pourraient être arrêtés en vertu de la loi du 26 mars, de faire la censure de cette loi, de la rendre odieuse, d'encourager les délits qu'elle a eu pour objet de prévenir, en leur assurant une prime d'indemnité ; certes, l'intention eût été criminelle, et le fait qui l'eût été aussi dans les résultats qu'on s'en serait promis, l'eût été par conséquent dans sa matérialité. Si nos lois pénales ne renfermaient pas de dispositions qui pussent s'appliquer à un fait ainsi caractérisé, il faudrait dire qu'il y a lacune dans notre législation, et qu'elle ne contient pas une garantie suffisante pour le maintien de l'ordre public.

» Mais, on le répète, ce n'est pas sur un fait de cette nature qu'ont été intentées les poursuites, soit à Paris, soit à Lyon, soit à Grenoble. Elles ont été dirigées contre le contenu des écrits qui, dans ces différentes villes, ont servi de préambule aux actes de souscription. Ces écrits, édigés en différens lieux, par différentes personnes, ne

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