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ment royal perpétué dans la dynastie régnante. Ce qu'ils ont fait, ils l'ont fait avec l'idée de servir leur patrie et le gouvernement. Qu'ils se soient'trompés, cela se peut; mais on ne saurait leur en faire un crime. Comme eux, comme nous, vous voulez le repos de la France. Ce n'est ni par des plaintes exagérées, ni par des poursuites inconsidérées, ni par des accusations téméraires, ni par des condamnations injustes, qu'on obtiendra ce repos si désiré, si nécessaire; c'est par la modération, par la sagesse, par la prudence, par l'impartialité, surtout, sur laquelle nous comptons. »

Me Darieux, défenseur de Me Odillon-Barrot, prend la parole après Me Tripier; et dans une plaidoirie improvisée, s'exprime à peu près en ces termes :

« Au point où la discussion est parvenue, nous sommes réduits, nous qui venons la terminer, à l'heureuse impuissance de rien ajouter à la convictiou qu'ont dû porter dans vos esprits les nombreux et éloquens défenseurs qui nous ont précédés. J'abandonne donc le plan que je m'étais d'abord tracé, et je me borne à quelques simples aperçus.

31 mars,

Les signataires du Prospectus publié sous la date du ne sont comptables que de leurs œuvres: on a réduit à l'absurde le chef de prévention fondé sur leur prétendue complicité dans la rédaction de l'article publié le 30 par les journaux.

Sont-ils coupables, pour avoir concouru à la souscription?

Le sont-ils, comme auteurs de l'écrit qui l'a rendue publique?

A leur égard, voilà toute la cause.

Le défenseur auquel je succède, vient de porter au plus haut degré de démonstration cette vérité morale, qu'on ne

saurait voir, que la raison se refuse à voir un délit, dans le fait, dans la pensée de la souscription.

Quoi qu'on fasse, on ne parviendra pas à altérer à ce point les notions primitives du bien et du mal, on ne transformera pas en crime un acte de pure bienfaisance.

S'il en pouvait être autrement, nous dirions au pouvoir: « Hâtez-vous de multiplier vos Cours de justice; convertissez en prisons tous vos édifices publics, ils ne suffiront pas aux millions de Français qui, se déclarant complices de fait ou d'intention, viennent au-devant des poursuites, et vous demandent des fers. Décimez enfin la représentation nationale elle-même, associez à notre destinée les cinquante députés qui nous ont précédés et conduits dans la route du crime: il est temps que le privilége cesse, du moins en cette

matière.

Mais non, Messsieurs, heureusement, pour l'honneur de notre France, nous n'en sommes point à ce degré de corruption morale.

Notre âge n'en offre qu'un exemple. L'époque qui le fournit est celle où tout était crime, hors le crime lui-même : c'est la loi de l'an 2, loi de sang, qui punissait de mort quiconque faiait parvenir des secours pécuniaires aux malheureux émigrés; et nous portons tous une trop haute estime au ministère public, pour lui supposer l'affreuse pensée d'avoir voulu emprunter les maximes de ces temps désastreux.

Le voilà donc réduit à chercher le délit dans la publicité donnée à la souscription: je vais le suivre rapidement dans ce dernier retranchement.

La publicité peut être envisagée sous deux aspects:

-En elle-même, d'une manière abstraite ;

Dans son mode, dans sa rédaction.

Mais d'abord, si la souscription est en soi un acte moral ou seulement indifférent, il est évident que la publicité qui lui est donnée participera de sa nature : en d'autres termes,

publier une bonne œuvre dans la vue de la généraliser, est aussi chose morale et digne d'éloges.

C'est là, Messieurs, une vérité qui prévaut sur tous les sophismes, et contre laquelle les arrêts eux-mêmes viendraient se briser. « Mais, dira-t-on, si la publicité considérée d'une manière abstraite, n'a pas d'autre moralité que celle de l'acte manifesté, la publicité, qui, dans l'espèce, a été donnée à la souscription, prend le caractère d'un véritable délit par son mode, par sa rédaction.

>> Ici, la souscription, acte indifférent ou même moral, a été le prétexte d'une attaque formelle contre l'autorité cc:8titutionnelle du Roi et des Chambres, et d'une provocation à la désobéissance aux lois.

31

» Ce double délit, nous le signalons dans le prospectus du

I mars. >>

Voilà l'objection, et, à vrai dire, quand la souscription en elle-même est dépouillée de toute criminalité, cette objection est à elle seule tout le système de la prévention.

Toutefois, M. l'avocat - général, après avoir attaqué avec beaucoup de véhémence la forme de l'article publié par les journaux, a été forcé de reconnaître que le prospectus, l'œuvre des souscripteurs, était moins repréhensible, et l'aveu lui est presque échappé que cet écrit, abstraction faite de la souscription, n'aurait pas motivé les poursuites du ministère public.

Je vais, Messieurs, par une courte analyse de l'écrit luimême, fortifier cette conviction naissante dans l'esprit de M. l'avocat-général.

Mais avant, je dois rappeler succinctement quelques principes de notre droit public, qui ont été mis hors de toute controverse dans le cours des débats, et qui nous guideront dans l'appréciation morale de l'écrit.

La critique des lois est dans le domaine des écrivains : c'est non-seulement un droit, mais le devoir de quiconque les juge

contraires au bien du pays, à la prospérité de l'État, à l'intérêt de la société.

Lors donc qu'on nous dit qu'il faut respecter les lois ; si parlà on entend prescrire la soumission aux lois, le précepte est vrai. La loi, même injuste, est un fait auquel toute volonté, tout pouvoir doit céder.

Que si, par respect à la loi, on entend un culte de puré foi, un sentiment approbatif, sans délibération; la maxime est fausse, anti-sociale.

Le législateur prescrit l'obéissance à ses actes, et rien de plus.

Autrement, plus de perfectibilité dans la législation. Les mauvaises lois sont irrévocables : le vœu d'un changement 'est un crime.

'On recule devant cette conséquence, et cependant elle est nécessaire : car le vœu d'un changement suppose un jugement porté sur la loi elle-même ; et sous le gouvernement représentatif, qu'il ne suffit pas de proclamer, mais qu'il faut enfin comprendre, le changement qui, tacite, mental, n'est point criminel, ne devient pas tel par sa manifestation.

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Vous voyez qu'en cette matière, je suis bien plus réservé que l'orateur (1) qui, hier, vous a exposé avec une dialectique si entraînante cette partie de notre droit public; je në veux de sa théorie que ce qui ne sera pas contesté par les esprits les plus circonspects, les plus timides, et cela suffit à

ma cause.

« Mais, dira-t-on, la critique des lois doit être décente, mésurée, loyale..... » Je suis loin de le méconnaître personne n'est plus que moi disposé à blâmer l'abus de ce droit précieux, qui, dans son légitime exercice, est la sauve-garde de nos libertés publiques.

t

(1) M. Devaux.

Mais l'abus tombe sous les lois répressives des délits de la presse, et ici encore rien n'est laissé à l'arbitraire.

Au cas présent, le ministère public voit dans le prospectus une attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres.

L'accusation ainsi qualifiée n'a rien de vague, elle est précise, les termes en sont empruntés de la loi elle-même, et sans doute, le ministère public ne leur donnera pas une valeur, un sens autre que celui que le législateur leur a assigné.

Or, à quels caractères a-t-il voulu qu'on reconnût le délit d'attaque formelle, etc......?

On vous l'a déjà dit, les termes de la loi portent avec eux leur définition; à moins d'abjurer les règles du langage, il est impossible de voir l'attaque FORMELLE d'une autorité ailleurs que là où cette autorité est explicitement déniée et combattue comme une usurpation.

Si le ministère public était rebelle à l'évidence, du moins cèderait-il à l'autorité du chef de la magistrature.

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« Il importe beaucoup, disait M. le garde-des-sceaux en » insistant sur le maintien du mot formelle dans la loi; il importe beaucoup d'avertir les magistrats et les jurés, qu'ici l'attaque contre l'autorité constitutionnelle du Roi » et des Chambres doit être FORMELLE et équivalente à une » provocation.

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Magistrats et Jurés (continue l'orateur), vous l'avez entendu, ce n'est plus nous, c'est le chef de la magistrature qui plaide devant vous la cause des prévenus.

Quoi qu'il en soit, l'attaque formelle ainsi définie, cherchons le corps du délit dans le prospectus du 31 mars. »

Mc Darrieux remet sous les yeux de MM, les jurés les divers passages du prospectus qui ont été l'objet de la critique de M. l'avocat-général; il prouve qu'aucun de ces passages n'a pu motiver la prévention.

Et poursuivant :

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