Page images
PDF
EPUB

la première fois, on voit apparaître ce nouveau chef d'accusation, auquel personne n'avait pensé jusques-là, sur lequel aucune instruction n'avait eu lieu et qui s'y trouve ainsi énoncé « Attendu que des pièces de l'instruction résulte pré>>vention suffisante contre Odillon - Barrot et autres, de » s'être rendus complices des deux délits résultant de l'é>> crit du 30 mars, en donnant sciemment aux auteurs de ces » délits des instructions pour les commettre. »

Je ne vous rappellerai pas tout ce que cette apparition subite a de singulier, et toutes les réflexions qu'elle fait naître. Mais n'a-t-on pas eu raison de vous dire que cette accusation supplémentaire avait été jetée là à tout hasard, et comme en désespoir de cause? Comment se fait-il, en effet, , que des deux magistrats exerçant les fonctions du ministère public et dont on reconnaît chaque jour le zèle et la perspicacité, aucun n'ait eu l'idée, le soupçon même de ce délit? On doit croire que c'est un point bien imperceptible, ou plutôt, il faut dire que ces magistrals ont sagement écarté une accusation de complicité qui est repoussée par tous les faits et tous les élémens du procès.

Jetons en effet, un coup-d'œil rapide sur l'ordre chronologique de ces faits et sur l'instruction écrite et verbale que nous rapprocherons ensuite de l'accusation.

Les pièces et les débats établissent que déjà, plusieurs jours avant le 30 mars, une souscription ayant le même objet, le même but, s'était formée à Nantes. Le Courrier l'avait annoncée dans son numéro du 26 mars en lui donnant la qualification d'assurance mutuelle.

[ocr errors]

A Paris, comme à Nantes et sur d'autres points de la France, un même sentiment de bienfaisance et de pitié avait réuni des citoyens de toutes les classes, de tous les rangs, de toutes les opinions: c'est ce qui est consigné dans le prospectus. La même idée d'une souscription de bienfaisance avait en même temps frappé les esprits, séduit tous

les cœurs, parce qu'en France surtout, lorsqu'il s'agit d'un élan noble et généreux, il est toujours unanime. Mais cette idée s'accrédita et se fortifia plus particulièrement dans la Chambre des députés ; et le 29 au soir, une réunion eut lieu chez M. Lafitte, l'un d'eux, afin de réaliser ce projet et d'organiser cette association. Ce fut le lendemain 30 que fut publié, dans le Constitutionnel et dans divers autres journaux, l'article incriminé. Voilà les dates dans toute leur exactitude.

Rappelez-vous maintenant, Messieurs, les dépositions des honorables députés que vous avez entendus. Ils sont souscripteurs, mais non signataires du prospectus, et, par conséquent, ils sont dégagés de toute espèce d'intérêt, même éloigné. Ils vous ont rendu compte des intentions et des motifs qui ont présidé à cette association, dans des termes auxquels la noblesse et la loyauté bien connues de leur caractère donnent encore plus de force et d'autorité : « Nous voulons conserver le Roi ( vous a dit l'un d'eux ), et pour le conserver, il faut faire aimer son gouvernement; et, pour le faire aimer, il faut adoucir autant qu'il est en nous les effets d'une loi d'exception, d'une loi qu'on a cru devoir accorder aux circonstances. » Tous ces honorables témoins vous ont en outre attesté un fait bien important et bien précieux à recueillir, c'est que le 29 au soir, dans la réunion qui eut lieu chez M. Lafitte, furent nommés des commissaires; que les uns furent pris parmi les députés, les autres dans d'autres classes de citoyens, et nommés, soit par tous ces dé putés réunis, soit par les députés commissaires, qui auraient été autorisés à s'adjoindre d'autres personnes de leur choix. Tous ont attesté enfin qu'aucun des prévenus n'avait assisté à cette réunion, et qu'elle n'était composée que de membres de la Chambre.

Ces dépositions concordent parfaitement avec celle de M. Baudouin, qui a déclaré, en outre, que muni de la pre

mière épreuve de la feuille du Constitutionnel, du 30 mars, il s'est transporté, le 29 au soir, chez M. Lafitte ; qu'il y est arrivé, pendant cette même réunion, à l'issue de laquellè un député lui remit la liste exacte des commissaires qu'il était venu chercher, et c'est alors que l'article a été imprimé ce même soir, et immédiatement.

D'un autre côté aussi, l'instruction et les pièces du procès constatent que le Censeur, qui n'inséra l'article que sur la première épreuve du Constitutionnel du 30, qui lui fut envoyée le 29, ne désigne les commissaires que par leurs professions, et non pas par leurs noms; tandis que le Constitutionnel du 30 les désigne parleurs noms. Ces noms ne peuvent donc avoir été connus que pendant cet intervalle, très-court, qui s'est écoulé entre le tirage de la première épreuve, et le tirage définitif de la feuille du 30; et précisément cet intervalle est rempli par la visite de M. Baudouin chez M. Lafitte. Il est donc maintenant démontré, par ce rapprochement des faits et de l'instruction, que les prévenus, ainsi qu'ils l'ont toujours déclaré, n'ont connu leur nomination que le 30, par la voie des journaux; qu'effectivement cette nomination a été faite à leur insu, le 29 au soir, dans la réunion des députés, tenue chez M. Lafitte, réunion à laquelle il est constant qu'ils n'ont pas assisté.

On pourrait-on placer désormais la complicité? Serait-ce dans une coopération à la rédaction de l'article? Mais alors on changerait absolument la question; car, il y a une grande différence entre concourir à la rédaction d'un article, et donner des instructions pour le rédiger les prévenus ne seraient plus de simples complices, mais bien les auteurs mêmes du délit ; et l'accusation ni les pièces ne les ont jamais signalés comme tels. L'acte d'accusation ne parle que de simples instructions; et quelles auraient été et quelles pouvaient être ces instructions, si ce n'est les noms exacts des commissaires nommés? Or, vous la connaissez mainte

nant, la source de ces renseignemens, et leur exactitude ne doit plus vous étonner; vous savez même à quel moment cette nomination a été faite, vous savez qu'elle a eu lieu le 29 au soir, dans une réunion de députés, à laquelle n'assistaient pas les prévenus, et que c'est par les députés même qu'elle a été communiquée officiellement au Constitutionnel. Comment donc les prévenus auraient-ils pu dire à d'autres ce qu'ils ignoraient eux-mêmes? Comment auraient-ils pu annoncer, le 29, ce qu'ils n'ont connu que le 30?

Placera-t-on le délit dans le fait même de la souscription, ou bien, subsidiairement encore, dans la simple publication qui en aurait été faite? Mais l'argument tiré, par M. l'avocatgénéral, de l'identité du but et des motifs des deux écrits du 30 et du 31 mars, ayant pour objet d'annoncer la même association, cet argument se rétorque contre l'accusation de complicité; car, la même identité, quant au fait en luimême, existe entre l'association projetée à Nantes et celle projetée à Paris : c'est une seule et même chose; elles sont toutes deux de la même nature. Or, l'association de Nantes, s'était formée long-temps avant celle de Paris : elle existait bien avant le 29 mars; et, dès le 26, elle a été annoncée, publiée, par le Courrier, dans la feuille de ce jour-là. Il faut donc reconnaître que les prévenus sont complétement étrangers, et à la formation de cette association, et à la publicité qui lui a été donnée, et à son organisation à Paris, et aux renseignemens transmis au Constitutionnel. Enfin, j'emprunterai, à l'un des orateurs qui ont déjà parlé, cette expression heureuse, qui est le résumé de toute la défense sur ce point: Ils ne sont nés à la souscription que le 30; comment auraient-ils pu provoquer, aider, faciliter un fait, ou la publication d'un fait, qu'ils n'ont connu que le 30, par la voie de ces mêmes journaux qui le publiaient? Ne peuvent-ils pas s'écrier, dans le langage si naïf et si vrai de

notre bon La Fontaine, « Comment l'aurais-je fait, si je » n'étais pas né? »

que le

Que reste-t-il donc de toute cette affaire qu'on vous a présentée d'abord avec de si noires couleurs? L'écrit du 31 mars vous a été lu; et, non content de discuter littéralement ses expressions pour établir qu'il ne contenait aucun délit, on en a recherché franchement le but, l'intention, les motifs, non pas dans des interprétations plus ou moins adroites, des inductions plus ou moins faciles, mais dans l'écrit en luimême débarrassé de tout commentaire; et c'est alors mot de bienfaisance est venu se placer naturellement dans toutes les bouches. Ce fut là notre premier cri, comme ce fut aussi votre première pensée, comme c'est encore maintenant votre seule et unique pensée sur tout ce procès. Ainsi, sont disparues ces images funestes et lugubres dont M. l'avocat-général avait pris plaisir à vous entourer: elles sont disparues, comme aux premiers rayons du jour s'évanouissent toutes ces sombres vapeurs qui trompaient nos yeux en dénaturant les objets.

Jetez maintenant vos regards sur le banc des prévenus. Vous y voyez un général que trente années de gloire et de succès recommandent à l'estime publique, et qui, par son caractère personnel, vous offre des garanties suffisantes de ses intentions. Et ne vous en offre-t-il pas encore par l'honorable alliance qu'il a contractée et qui réunit deux braves, qui seuls de tous nos guerriers, ont conquis la noble prime des plus glorieuses blessures, dont les corps mutilés sont comme empreints de toute la gloire de notre armée, et dont l'un surtout voit son nom inscrit en caractères brillans et ineffaçables dans toutes les pages de notre histoire militaire! A ces mots, vous avez tous reconnu celui que nos soldats comptent avec joie parmi leurs chefs, parmi nos maréchaux, et que la garde nationale s'enorgueillit de voir marcher à sa

« PreviousContinue »