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tête. Mais est-ce donc seulement sur cette communauté de succès et de revers, de bonne et de mauvaise fortune, que repose une si belle alliance? Non, elle a pour cause aussi cette franchise et cette loyauté vraiment chevaleresques qui leur sont communes à tous deux, et qui ne connaissent ni les détours de la politique, ni les manoeuvres de l'intrigue, ni les déguisemens étudiés d'une opposition séditieuse; et c'est là, pour vous, Messieurs, une garantie morale assez forte : vous ne pouvez voir, dans la conduite du général Pajol, qu'un noble et généreux élan dont il vous est facile, comme à nous, de vous rendre compte.

Hier, Messieurs les Jurés, votre cœur s'est ouvert aux plus douces impressions, des larmes ont coulé dans tout cet auditoire, lorsque l'on a entendu l'hommage touchant de notre estime, de notre amitié, des vœux que nous faisons tous pour l'un des prévenus, notre confrère. Mais reportez-vous, avec mon client, à l'époque où cette loi d'exception a été rendue; transportez-vous, avec lui, par la pensée, au fond de ces prisons qu'elle venait d'ouvrir : vous y verrez couler des larmes plus éloquentes encore et qui vous donneront le secret de toute la cause. Entendez, comme lui, les cris d'un malheureux qui demande une accusation et des juges, et à qui les ministres répondent : Non, tu resteras là tant qu'il nous conviendra, et cela peut nous convenir encore pendant trois mois! Non, tu resteras là, seul, en proie à ta douleur, à ton désespoir, privé des consolations de l'amitié, des secours de ta famille, de l'assistance d'un conseil! et, pendant ce temps, ces amis, cette famille éplorée invoquent en vain le bienfait de cette prison dont il leur est défendu de franchir le seuil!

Voilà le tableau qu'il faut se faire des suites d'une loi d'exception; voilà la généreuse impulsion à laquelle mon client a obéi; voilà les larmes dont il a voulu tarir la source! Le général Pajol, qui, pendant trente ans, a éprouvé toutes

les vicissitudes de la guerre, pouvait-il fermer son cœur à la pitié; lui qui, pendant trente ans, a défendu de tout son sang ses concitoyens contre les ennemis extérieurs, ne devait-il pas les défendre encore aujourd'hui contre les abus d'une loi qui accorde l'arbitraire à des ministres......., à des ministres dont la responsabilité n'est encore pour nous qu'un

vain mot?

L'histoire nous dit qu'à Athènes, un jeune enfant fut puni de mort pour avoir privé de la vue un oiseau : il avait manqué de pitié envers un être faible, chétif et sans défense. L'histoire, l'implacable histoire, dira aussi qu'en France, ẹn 1820, sous le règne des Bourbons, un général et ses honorables associés, solidaires de bienfaisance et de générosité, ont été mis en accusation pour avoir promis des secours à de malheureux détenus, à de simples suspects. Mais l'histoire n'ajoutera pas qu'ils auront été condamnés par un jury composé d'hommes, par un jury composé de Français : j'en ai pour garans la scrupuleuse attention que vous nous avez accordée et votre sévère impartialité. »

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Me Dupin, avocat de Me Mérilhou : « La discussion me paraît épuisée. J'attendrai, pour prendre la parole, que M. l'avocat-général ait répliqué.

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M. l'avocat général : « Messieurs, il faut que la cause de la vérité présente avec soi de bien grands avantages ; peut-être même faut-il qu'elle doive inspirer quelque courage, pour que nous ne craignions pas de rentrer surle-champ dans une lice où nous avons à combattre scul contre les efforts réunis et combinés de douze défenseurs qui se sont partagé les diverses parties d'un plan habilement conçu et non moins habilement exécuté.

Nous sommes bien loin, Messieurs, de nous dissimuler la difficulté de la tâche qui nous reste à accomplir devant

vous. Ne croyez pas, toutefois, que nous désertions un combat où les forces peuvent être inégales, mais où la conviction et le sentiment profond de nos devoirs nous tiendront lieu, nous l'espérons du moins, de tout ce qui pourrait nous manquer.

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Oui, Messieurs, nous vous parlerons encore avec la même conviction, nous vous parlerons encore du fond de l'ame, comme nous l'avons fait déjà, comme nous le faisons toujours, et comme, grâces au ciel, nous sommes bien certains de le faire dans tout le cours d'une carrière dont le premier devoir à nos yeux est la franchise et la loyauté.

Nous ne rentrerons pas dans de longs détails. Au point où en est parvenue la discussion, ils seraient superflus. Nous n'avons pour but que de rétablir les principes, tels que le texte de la loi et l'intérêt public exigent qu'ils soient appliqués et maintenus.

Nous devons nous occuper d'abord de ce qui vous a été dit relativement aux rédacteurs responsables des journaux et écrits périodiques. A leur égard, comme sur les autres points du procès, nous ne nous arrêterons qu'à ce qui tient au droit ; et au milieu des innombrables argumentations reproduites devant vous avec tant de nuances diverses, nous nous efforcerons de réduire tout à des masses autour desquelles la discussion pourra se concen-' trer avec plus d'exactitude et de clarté.

Une première objection nous a été faite. Il faut distinguer, nous a-t-on dit, entre la responsabilité civile et la responsabilité pénale. La première de ces deux sortes de responsabilité, celle qui donne lieu aux peines pécuniaires, peut résulter du seul fait matériel de la publi

cation opérée par le rédacteur responsable; mais la seconde, celle qui donne lieu à des peines corporelles, ne peut résulter du fait de la publication, que lorsqu'à ce fait se joint l'intention coupable qui seule constitue la criminalité quant à la personne qui a agi.

Nous répondons par un seul mot; mais il est tranchant: c'est le texte de la loi. L'art. 2 de la loi du 9 juin 1819 est ainsi conçu : « La responsabilité des auteurs ou édi» teurs indiqués dans la déclaration, s'étendra à tous » les articles insérés dans le journal ou écrit périodique, >> sans préjudice de la solidarité des auteurs ou rédac>>teurs desdits écrits. >>

Où donc est maintenant la base de cette distinction, toute nouvelle qu'on veut introduire ? La loi ne distingue pas.

La loi n'a pas dû distinguer. Déjà nous avons dit pourquoi. Il nous suffira de répéter, puisqu'on nous y force, que l'importance de l'action des journaux sur l'opinion publique, et la rapidité comme l'immense extension de leur publicité, ont nécessité, à leur égard, l'établissement d'une législation spéciale; que les rédacteurs responsables ont été institués précisément pour que les règles du droit commun ne leur fussent pas applicables, quant aux délits résultans des publications par eux faites; que, pour eux, et par cela seul qu'ils sont rédacteurs responsables, il y a, contre eux, preuve suffisante d'intention et de culpabilité, par cela seul qu'il y a, par eux, publication d'un article coupable. Nous répéterons, enfin, que ces conséquences, écrites en toutes lettres dans la loi, ne peuvent être éludées, ni raisonnablement criti

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quées par ceux qui se sont volontairement soumis à l'engagement dont elles découlent.

Nous ne nous arrêterons pas, vous le pensez bien, Messieurs, à cette autre distinction subsidiaire que l'on a appelée au secours de ceux des rédacteurs responsables qui ont publié le soir, ou deux jours après, lorsque les autres avaient publié le matin, ou deux jours auparavant. Est-ce que ces diverses publications, quels que soient les intervalles qui les ont séparées, n'ont pas toutes été volontaires? Et dès lors, comment distinguer entre elles? Après un jour, une heure, plusieurs jours même, si l'on veut, l'on pourrait donc impunément reproduire les publications les plus dangereuses, par cela seul qu'elles auraient été déjà faites ? Et que deviendrait la société? Et que deviendrait le texte de la loi que vous venez d'entendre ?

Passons sur-le-champ à la dernière objection relative aux rédacteurs responsables. Des députés, nous dit-on, ont composé l'écrit du 30 mars, ou l'ont connu, ou l'ont signé, ou ont signé une feuille en blanc, ou même n'ont pas signé (car vous avez vu, Messieurs, dans quel vague les débats, et même les plaidoiries, ont laissé ce point); des députés, en un mot, ont autorisé la publication de cet écrit par le crédit qui se rattache à leurs fonctions éminentes.

Nous l'avons dit encore, nous ne chercherons pas 'à ́éclaircir ce point de fait si obscurément articulé, on en conviendra du moins; nous ne le chercherons pas, parce que nous n'en avons pas besoin. Vous connaissez, en effet, le texte de la loi ; et c'est cependant toujours

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