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tels que ceux dont nous venons de parler étaient capables de quelques préventions, ce serait contre leurs affec tions mêmes qu'ils les tourneraient, et ce serait plutôt contre cette propension à la méfiance de soi-même, que le ministère public aurait à rassurer leurs consciences

timorées.

...On vous a parlé de piéges qui vous étaient tendus, de dangers que vous courriez! Mais, vous inspirer de pareilles craintes sur vous-mêmes, n'était-ce pas là vous tendre un piége? N'était-ce pas substituer dans vos ames le sentiment d'une fausse terreur, d'un faux honneur peut-être, au sentiment de la courageuse indépendance que vous devez conserver jusqu'au dernier moment?

Pour nous, Messieurs, bien certains que vous saurez vous maintenir au-dessus de toutes ces considérations, nous les rejetons comme ne pouvant s'appliquer à des hommes qui, comme vous, n'appartiennent à aucun parti, à des hommes pénétrés, comme vous l'êtes, du sentiment de vos devoirs. Ce seront ces devoirs que vons accomplirez. Vous interrogérez vos consciences, votre conviction, la vérité, l'évidence, que tous les talens réunis ne pourront jamais changer. Rien ne vous écartera de ce que vous devez à la société, de ce que vous devez à vous-mêmes. Vous vous souviendrez de votre serment. Vous répondrez sans haine; mais aussi vous répondrez sans crainte. >>

Me Dupin, avocat de Me Mérilhou. « MM. les jurés, je ne puis être de l'avis de M. l'avocat-général, lorsqu'il a la modestie de croire qu'il est entré en lice avec des forces inégales. Non, les forces ne sont point inégales pour le mi

nistère public, quand l'autorité de la vérité se joint, en lui, à l'autorité du magistrat.....

S'il ne s'agissait que du talent oratoire, chacun de nous serait prêt à lui céder la palme: mais il s'agit du salut de nos cliens, et la vérité des choses doit nécessairement l'emporter sur la pompe des rédactions.... Eloquio victi, re vincimus ipsa.

M. l'avocat-général revient à la charge; il faut donc lui résister encore : je le ferai, Messieurs, avec le sentiment le plus sincère d'estime pour sa personne et de respect pour le caractère public dont il est revêtu ; mais, en même temps, avec cette franchise de contradiction dont la vivacité, chez moi, tient toujours à l'impression profonde d'une intime conviction.

Je m'étonne d'abord de tant d'insistance. Quoi! ni la pureté des intentions, ni la générosité des motifs, ni l'innocence des faits, ni la considération personnelle dont les prévenus sont environnés ; ni l'intérêt si vif, excité en leur faveur par l'humanité, qui seule a présidé à leurs résolutions; au milieu de circonstances où le nombre de ceux qui sont malheureux, ou sur le point de l'être, fait de la pitié la divinité tutélaire de toutes les classes de la société (1); rien n'a pu désarmer l'accusation!

Des hommes de lettres, des généraux, des capitalistes, des pairs, des députés, des jurisconsultes; voilà les coupables! La science, la bravoure, la richesse, la dignité, l'éloquence se sont associées pour le crime: elles ont souscrit en commun pour le soulagement des détenus!

(1) « La vie de l'homme, dit Pausanias, est si chargée de vicissitudes, de traverses et de peines, que la miséricorde est la divinité qui mériterait d'avoir le plus de crédit. Tous les particuliers, toutes les nations du monde devraient lui offrir des sacrifices; parce que tous les particuliers, toutes les nations en ont également besoin. »

Pourquoi faut-il, Messieurs, que le deuil qu'inspire une telle accusation, s'accroisse encore pour nous de l'affligeante pensée qu'un membre de notre Ordre est au rang des accusés? Rien n'aura donc pu le préserver de ce malheur : ni son intégrité doublement éprouvée dans la carrière de la magistrature et dans celle du barreau; ni la fermeté de son caractère qui le tient également éloigné de l'insubordination et de la servilité; ni son talent employé d'abord à juger ses concitoyens, et consacré depuis à les défendre!

Dans cette occurrence du moins, le secours de l'amitié ne lui manquèra pas; celui qui défendit les autres avec tant de courage et de dévouement, ne restera pas indéfendu ; et si je dois m'énorgueillir, seul entre tous, d'avoir fixé son choix, il doit s'applaudir à son tour d'avoir vu tous nos confrères, également zélés pour sa cause, se montrer prêts à le défendre, et m'envier l'honorable mission de plaider pour lui.

Qu'ils me soutiennent donc par leurs vœux, dans cette lutte où l'honneur de notre Ordre et son indépendance se trouvent si éminemment intéressés. >>

Après cet exorde, Me Dupin fait remarquer les modifications que le ministère public lui-même a cru devoir apporter à son premier réquisitoire.

« M. l'avocat-général, dit-il, abandonne la complicité; et cependant il confond perpétuellement dans sa discussion et les écrits et les prévenus.

Il accorde que le fait de la souscription en soi, n'est pas criminel; il ne peut disconvenir que la rédaction en est modérée; et toutefois, au lieu de s'attacher au fait en lui-même, et de l'apprécier par l'intention que ses auteurs ont pris soin d'exprimer, il remplace la réalité par des conjectures, et méconnaît l'intention avouée, qui n'a rien que de louable, pour y substituer une intention supposée, qu'il criminalise.

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1

Je me propose, Messieurs, de reprendre successivement toutes les objections du ministère public; de montrer qu'elles n'infirment pas nos défenses, et qu'elles n'ont pas tiré le premier réquisitoire de l'état de faiblesse où l'a jeté la vive contradiction dont il est devenu l'objet.

J'écarte d'abord, et d'un seul mot, l'accusation de compliéité. Le ministère public l'abandonne, et de fait il lui serait bien impossible de la soutenir; il n'a aucune preuve qui l'établisse; les preuves les plus claires rapportées surabondamment par les prévenus, en détruisent tout-à-fait l'idée ; il faut donc la retrancher du procès et toutefois, il importe d'en tirer cette conséquence, que si le ministère public a formé cette accusation avec si pen de réflexion, qu'il ne peut pas même dire sur quel indíce il l'a fondée, il en résulte une grande défaveur pour l'accusation principale elle-même, puisque l'une et l'autre ont été conçues et dirigées dans le même esprit.

En abordant ainsi l'accusation principale, une première réflexion s'offre à la pensée.

Quel est donc ce crime d'un genre nouveau sur lequel les opinions se trouvent si étrangement divisées? D'un côté, je vois quelques accusateurs signaler deux crimes dans la souscription: de l'autre, les plus graves jurisconsultes des principales villes de France, qui affirment et signent que ces prétendus crimes n'existent pas; des Chambres d'accusation, des Cours d'assises qui jugent dans le même sens; et la Cour de cassation qui décide que cette manière de prononcer n'a que de conforme à la loi!

rien

et

Y-a-t-il donc plusieurs espèces de crime et de vertu ? Če qui est permis à Lyon, à Valence, à Grenoble, à Strasbourg, sera-t-il puni seulement sur les rives de la Seine? et verrons-nous une scandaleuse contradiction des arrêts en matière criminelle, remplacer la déplorable diversité des

anciennes coutumes en matière civile?

Non, Messieurs; la qualification des actions humaines n'est point ainsi livrée à l'arbitraire; elle tient à la nature et à l'essence des choses; il n'y a de crimes et de délits que dans les faits qui sont qualifiés tels par la loi; et il n'est au pouvoir de personne sur la terre de franchir ces limites, de mettre ses suppositions à la place de la réalité, et de donner à la bienfaisance les couleurs et les attributs de la sédition!

Il existe assez de délits réels, de crimes même restés im punis!.... N'en créons pas d'imaginaires, et déplorons la triste nécessité où nous sommes, de discuter une telle accusation....

Cette accusation doit se concentrer désormais sur le fait de la souscription en lui-même, et sur l'écrit du 31 mars.

Si j'en fais l'observation, ce n'est pas pour vous donner à penser qu'il y aurait quelque danger pour les souscripteurs à discuter, pour leur propre compte, l'article qui sert de texte à l'accusation contre les journalistes: la défense de ceux-ci vous a trop bien prouvé que cet article était facile à justifier. Mais les souscripteurs persistent à soutenir que cette rédaction leur est étrangère, parce que telle est la vérité. La discussion a porté principalement sur trois points 1o. Le fait de la souscription, en soi ;

2o. L'intention qui a présidé à la souscription;

3°. La forme dans laquelle cette souscription a été annoncée au public.

Et c'est de l'ensemble de ces trois objets, c'est-à-dire, du fait corrompu par l'intention, et empoisonné par les termes, que M. l'avocat général a fait résulter en masse la prétendue culpabilité des prévenus.

Avant tout, ce magistrat a cru devoir vous proposer ce qu'il appelle des principes sur la manière dont on doit, suivant lui, apprécier les deux délits d'attaque contre l'autorité du Roi et des Chambres, et de provocation à la désobéissance aux lois. Je dois donc, avant tout aussi, discuter

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