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mars, on a refusé aux détenus le secours d'un défenseur, quoique, cependant, la défense soit de droit naturel; les soins de la famille, en séparant ce que Dieu avait uni; en consacrant la liberté indéfinie de tenir les prisonniers au secret, sans communication possible avec leurs femmes et leurs enfans; plus malheureux en cela que les anciens esclaves et les negres de nos colonies, qui, même en cas de vente, ne pouvaient pas être séparés de leurs proches (1).

Enfin, les auteurs de la souscription se montrent encore singulièrement affectés des besoins qui peuvent venir assiéger une famille dont le chef est au secret; et l'abstinence forcée à laquelle est exposé le détenu lui-même, réduit à six sous par jour (2), lorsqu'il est privé de travail, et que le pain coûte quatre sous la livre!

Indépendamment de ces motifs généraux qui ont agi sur tous les souscripteurs, Me Mérilhou avait encore des raisons

sorores,

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De

(1) En lotissant les terres indivises, les co-partageans devaient procéder de manière, que les esclaves d'une même famille attachés à la glebe, ne fussent pas séparés. Voyez la loi première, au code Théodosien, tit. de Communi dividundo.—Quis enim ferat liberos à parentibus, à fratribus à viris conjuges segregari? Pietatis intuitus id non patitur, dit le jurisconsulte Scævola, dans la loi 41, § 2, ff. de legatis 3o. même dans les ventes judiciaires, on ne séparait pas les proches parens. Et in auctione fratres hostilis hasta non dividit. SENEC. 9, controv. 3. En telle sorte que, si la vente était résolue à l'égard de l'un, elle devait l'être également à l'égard de l'autre. Uno ex fratribus emptis redhibito, alterum quoque redhiberi oportet. Lois 34-40, ff. de ædilitio Edicto. Dans le CODE NOIR, quoique rédigé par les blancs, on trouve une disposition qui porte : « Ne pourront être saisis et vendus séparément, le » mari et la femme, et leurs enfans impubères, etc. » (Edit. de mars 1685, art. 47.)

celui

(2) Autrefois le pain du roi, c'est-à-dire, la ration que l'État fournissait aux prisonniers de la classe la plus vile, était de sept sous par jour. Le gouvernement suisse, quoique bien moins riche de France, alloue douze sous par jour à ses prisonniers. (Etat des prisons en Europe, par John Howard.)

que

particulières qui le portaient à entrer dans la souscription.

Il avait vu, en 1815, son père et son frère, mis en ŝurveillance par les mêmes hommes qui, en 1793, avaient conduit à l'échafaud l'un de ses oncles, et confisqué les biens d'un autre de ses proches, pour cause d'émigration.

Il se rappelait que, dans sa plus tendre enfance, il avait été mis en réclusion avec ses parens. Ainsi, c'est non-seulement par une impulsion de bienfaisance qui lui est naturelle, mais encore par ses souvenirs de famille, et par le sentiment des malheurs individuels, que les lois d'exception entraînent, dans tous les temps et sous tous les régimes, que Me Mérilhou s'est décidé à entrer dans la souscription en faveur des détenus.... Honneur à ceux qui vengent ainsi leur caste et leur famille!

Dans ces circonstances, que se proposent les auteurs de la souscription? Prétendent-ils, même indirectement, , que les Chambres et le Roi n'ont pas eu le droit de porter uné telle loi, ce qui serait effectivement attaquer l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres? Non, Messieurs, ils n'élèvent même un doute à ce sujet. Disent-ils aux cipas toyens, « N'obéissez pas à la loi du 26 mars : ce n'est une loi » que de nom; s'il se présente des gendarmes pour vous » arrêter sans un ordre de la justice, tuez-les; cela se fait » ainsi en Angleterre?» Si tel était le langage du prospectus, j'y verrais, en effet, une provocation formelle à la désobéissance aux lois. Mais, bien loin de-là, les souscripteurs partent de cette supposition, que la loi aura reu son exécution, et que les personnes pour lesquelles il s'agit de réclamer ou d'accorder des secours, seront de fait constituées prisonnières. C'est déjà ce qu'annonce le titre seul : Souscription pour le soulagement des personnes DÉTENUES EN VERTU DE LA LOI DU 26 MARS 1820.

C'est d'ailleurs ce que le fond même de la souscription met dans le plus grand jour.

En effet, quels sont les moyens qu'on annonce devoir employer pour le soulagement des détenus? Sera-ce de s'armer pour aller briser leurs fers? De séduire leurs geoliers pour, procurer leur évasion? Assurément non! ces coupables projets n'entrent point dans la pensée des souscripteurs : ils n'ont en vue que deux objets :

1o. L'autorité, disent-ils, peut avoir été surprise; dans cette hypothèse, « on fera valoir auprès de l'autorité les » réclamations des personnes ATTEINTES PAR LA LOI. »

2o. Les détenus ou leurs familles, peuvent être dans le besoin; on leur fera distribuer les secours que leur position exigera.

Or, l'emploi du premier moyen, réclamer auprès de l'autorité, n'a rien que de très-constitutionnel.

Le second, distribuer des secours, n'est qu'un acte de bienfaisance et d'humanité.

Ni l'un ni l'autre ne constituent donc les délits énoncés dans l'acte d'accusation.

Tous les deux sont même, à vrai dire, dans l'intérêt du gouvernement, puisqu'en diminuant la gravité des maux, ils diminuent la somme des mécontentemens (1).

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Ton âme le connut, ce noble et tendre zèle,
Howard! dont le nom seul console les prisons.

S'il ne peut les briser, il allège leurs fers.
Tantôt pour adoucir la loi trop rigoureuse,
Porte au pouvoir l'accent de leur voix douloureuse,
Et rompant leurs liens, pour des liens plus doux,
Dans les bras de l'épouse il remet son époux,
Le père à son enfant, l'enfant à ce qu'il aime.

Par lui l'homme s'élève au-dessus de lui-même.

Devant lui la mort fuit, la douleur se retire,,
Et l'ange affreux du mal le maudit et l'admire.
POÈME DE LA PITIÉ, ch. II.

Il est si vrai, du reste, que les auteurs de la souscription n'étaient conduits que par un pur sentiment de philanthropie, que, prévoyant le cas où il y aurait des fonds de reste, on annonce que, s'ils ne sont pas réclamés, ils seront appliqués à des actes de bienfaisance ou d'utilité publique.

Ils agissaient si peu dans les vues d'égoïsme qui caractérisent toujours l'esprit de parti, qu'ils l'ont hautement exprimé à la fin de l'acte du 31 mars, en disant : « Les » soussignés, mandataires des premiers souscripteurs, espèrent que tous les amis de l'ordre et des lois, quelles que » soient leurs opinions, se réuniront à eux, parce que l'ar-· >> bitraire menace également toutes les opinions, et qu'il est » de l'intérêt de tous, de soulager des maux dont chacun à » son tour peut se voir frapper.

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Plus haut, ils avaient déjà pris soin de rappeler, « qu'on » avait vu gémir dans les mêmes cachots, sous des cruautés » uniformes et en même temps, les partisans des doctrines » les plus opposées. » Ils avaient donc raison de s'écrier avec Delille:

Ah! que les deux partis écoutent la pitié!

En effet, Messieurs, qu'on se donne la peine de réfléchir sur les différentes réactions qui depuis trente ans ont désolé notre patrie : on verra que chaque parti, après avoir proscrit la faction opposée, s'est vu proscrit à son tour par ceux qu'il croyait avoir écrasés; les persécuteurs ont fini par être persécutés ; les bourreaux sont devenus victimes; c'est là surtout qu'on a vu l'abîme invoquer l'abîme !........ Aussi, toute l'expérience que j'ai pu tirer du spectacle de ces misères, m'a fortement persuadé que l'avantage de cette déplorable lutte, si long-temps prolongée, si souvent ensanglantée, ne pouvait désormais rester qu'au parti qui aurait la générosité d'oublier les torts réels du parti contraire, et surtout la bonne foi de ne pas lui supposer des

torts imaginaires; en un mot, à celui qui, devenu le plus puissant, saurait en même temps être le plus juste.

Mais j'en ai dit plus qu'il n'en faut, pour démontrer que les auteurs de la souscription n'ont pas eu les intentions criminelles que leur a supposées le ministère public: je me hâte de passer aux autres objections.

Elles portent principalement sur le mode de publication de l'écrit; c'est-à-dire sur la forme et la rédaction du prospectus.

Ah! Messieurs, quand l'accusateur lui-même est forcé de convenir qu'en soi le fait de la souscription est, non-seulement innocent, mais louable; quand il est démontré, comme je viens de le faire, que l'intention des souscripteurs a été pure, et n'a eu pour mobile que la bienfaisance; il faudrait une rédaction bien malheureuse, bien offensante, bien odieuse, pour que le crime qui n'est pas dans le fait, se trouvât uniquement dans la manière dont il fut annoncé. On a vu quelquefois

Ce qui fut blanc au fond, rendu noir par la forme;

mais il n'en saurait être ainsi dans l'espèce; et en suivant l'objection dans tous ses développemens, nous reconnaîtrons aisément que si l'écrit du 31 mars n'est pas exempt de cette chaleur qui anime toujours la parole de l'homme qui veut émouvoir son semblable, lui communiquer ses impressions, et le rendre sensible au malheur d'autrui; sa rédaction, toutefois, n'a point le caractère de criminalité qu'on lui prête.

Dans le prospectus, a dit M. l'avocat-général, on conteste évidemment au législateur le droit de faire la loi; car on élève à côté d'elle une autorité rivale; on met le ministère dans l'impossibilité d'en user sans se rendre odieux : on en appelle à l'opinion publique..... Comme s'il pouvait y avoir d'autre opinion publique que celle qui est exprimée par les trois branches du pouvoir!

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