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Tous répondent à l'appel, excepté MM. Gossuin et Joly (de Saint-Quentin).

M. l'avocat-général de Broë requiert qu'il soit procédé par défaut contre les deux absens.

Le greffier, par l'ordre de M. le président, donne lecture de l'arrêt de mise en prévention.

Après la lecture de cet arrêt, MM. Gossuin et Joly (de Saint-Quentin) sont appelés de nouveau. M. Gossuin se présente; M. Joly continue d'être absent.

M. de Broë conclut à ce que M. Joly soit déclaré coupable des délits qui lui sont imputés, et à ce qu'il lui soit fait application de la loi pénale.

Après une demi-heure de délibération, la Cour considère que M. Joly n'a pas même été interrogé sur les faits qui lui sont imputés. Elle ordonne que la procédure sera mise en état, à l'égard de ce prévenu.

On passe ensuite au procès des prévenus présens.

Les prévenus ont été ensuite appelés dans la chambre du conseil pour y exercer le droit de récusation que la loi leur accorde. Tous ont déclaré qu'ils n'avaient aucune récusation à exercer. Ils ont pensé que ceux de MM. les jurés sur lesquels pourraient tomber les récusations, ne leur offraient pas moins de garantíes que ceux qui seraient nécessairement appelés à prononcer sur la pré

vention.

Les prévenus et les jurés entrent dans la salle d'audience, et prennent place.

M. le président lit la formule du serment qui doit être prêté par les jurés.

M. Darrieux, avocat aux Conseils du Roi et à la

Cour de cassation, défenseur de M. Odillon-Barrot, son

confrère : « La Cour sait

judiciels à proposer. »

que nous avons des moyens pré

M. le président : « Ils ne peuvent être proposés qu'après la lecture de l'arrêt de mise en prévention. » Les jurés prêtent le serment requis.

Le greffier donne de nouveau lecture de l'arrêt de mise en prévention.

Immédiatement après, M. Darrieux prend les con

clusions suivantes :

« Il plaira à la Cour,

» Attendu que les faits qualifiés délits, dont les susnommés sont prévenus, sont non-seulement connexes, mais identiques avec celui pour lequel il a été fait des réserves par l'arrêt de renvoi contre diverses autres per

sonnes ;

» Attendu qu'il est de principe qu'en matière correctionnelle et criminelle les procédures doivent être instruites et jugées indivisiblement contre les auteurs et complices d'un délit;

>> Que ce principe est consacré, notamment par les articles 226 et 227 du Code d'instruction criminelle;

» Qu'en fait, l'écrit du 31 mars a été signé par quinze individus, que six seulement ont été renvoyés devant la Cour d'assises, et que la procédure n'est pas en état, à l'égard des autres, malgré leur déclaration, le fait constant de leur signature et leur réquisition formelle d'être poursuivis conjointement ;

» Attendu que leur présence est indispensable, tant dans l'intérêt de la justice que dans celui de tous les prévenus actuels :

ce que l'instruction ait

>>> Surseoir aux débats jusqu'à ce que

été complétée, à l'égard de toutes les parties.

» Ce 29 mai 1820. >>

(Suivent les signatures des prévenus, et celle de M. Coche, leur avoué.)

M. Darrieux s'exprime ensuite en ces termes :

<< Avant de justifier l'exception préjudicielle, je dois m'expliquer, et prévenir toute méprise sur les motifs qui déterminent les prévenus à la proposer.

Tout homme de bonne foi (et nous n'essaierons de désarmer ni la malveillance ni la passion ), tout homme de bien et de bonne foi les absoudra du flétrissant soupçon d'avoir voulu, par cet incident, éluder un jugement qu'ils redouteraient dans le trouble de leur conscience, ou par une défiance injurieuse pour les magistrats auxquels leur sort est commis.

Nous-mêmes, Messieurs, qu'il nous soit permis de le dire, nous qui venons les défendre avec le zèle et l'intérêt de l'amitié, nous ne serions pas leurs organes, s'ils n'avaient cédé, dans cette circonstance, à des considérations plus nobles et d'un ordre plus élevé.

Mais accusés, puisque enfin c'est la condition sous laquelle ils paraissent dans cette enceinte; accusés, ils n'oublient pas qu'ils sont Français et citoyens.

Ils ont vu, dans la procédure dont ils sont l'objet, une innovation étrange, une dérogation au droit commun, trop dangereuse par ses conséquences pour qu'ils consentent à la sanctionner par leur silence;

Et c'est moins dans le soin de leur défense personnelle que dans l'intérêt général, qu'il faut chercher les véritables motifs de leur détermination. >>

Après avoir exposé l'état de la procédure, M. Darrieux entre en discussion, et continue en ces termes :

<< Il est, Messieurs, des propositions qui se démontrent par leur seule énonciation;

Telle est celle-ci :

Là où la même action, commune à plusieurs, est imputée à crime ou délit, la condition de tous doit être égale la justice et l'humanité seraient révoltées d'une acception de personnes, d'un privilége en matière criminelle.

Il n'est donné à aucun peuple d'avoir une législation parfaite. Mais aussi, parmi les nations civilisées, il n'en est point d'assez dégradée pour méconnaître cette vérité morale, cet axiôme d'éternelle raison; il n'en est point qui ne l'ait ou explicitement ou virtuellement consacrée par ses lois fondamentales, et, grâce au ciel, nous occupons encore un rang assez élevé dans l'échelle de la civilisation pour ne pas mériter ce reproche.

D'après nos lois, la poursuite des crimes et délits n'est pas seulement un droit, mais un devoir du ministère public. Ce ne serait pas un moindre reproche à lui faire, de laisser impunie une offense à la société, que de troubler le repos des gens de bien par des poursuites inconsidérées, en rêvant le crime où il n'existe pas.

Mais si la paix publique est le but comme la limite de ce pouvoir terrible dont la société arme le magistrat, nous le demandons : ce pouvoir s'étend-il jusqu'à introduire des distinctions, scinder un fait, y fait, y voir pour les uns matière à poursuite, pour les autres un acte indifférent, lorsque ce fait, sa moralité et leurs auteurs sont

indivisibles et ne forment, si je puis m'exprimer ainsi, qu'une unité mathématique ?

Que sera-ce si le privilége créé pour les uns est un dommage pour les autres ?

Rappelons que l'accusation est qualifiée de provocation à la désobéissance aux lois et d'attaque formelle contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres ; Que, pour la justifier, on présente nos cliens :

D'abord, comme complices des rédacteurs de l'écrit du 30 mars;

Ensuite, comme auteurs et signataires de l'avis publié sous la date du lendemain 31 mars.

Sans parler encore de cette complicité, qui me fournira plus tard un argument nouveau à l'appui de l'incident préjudiciel, je ne considère ici que le chef de prévention qui leur est personnel et direct, celui puisé dans l'écrit du 31 mars.

Certes, on en conviendra j'espère, le délit n'est ni dans la souscription, ni dans la publicité qu'on lui a donnée, considérées en elles-mêmes et d'une manière abstraite; on ne désobéit pas aux lois, on n'attaque l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, en ouvrant publiquement une souscription pour le soulagement des détenus ou de leurs familles.

pas

Le délit, s'il en existe, sera dans l'intention plus ou moins manifestée par la forme de l'écrit qui décèlera un but coupable qu'on veut atteindre à l'aide d'une œuvre de bienfaisance.

En un mot, le délit sera, non dans le fait matériel, mais dans sa moralité.

Or, cette moralité n'est pas chose absolue, mais con

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