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jecturale et relative. Elle ne devient vérité de jugement que par une appréciation d'élémens divers que la conscience de MM. les jurés doit puiser dans l'instruction et les débats.

Ainsi le nombre, la qualité des prévenus, leurs antécédens, leur existence actuelle dans la société, leurs rapports mutuels, l'influence que certains d'entre eux ont pu exercer sur les autres par leur caractère ou leur éminence politique; enfin, et peut-être plus que tout cela encore, le débat oral, cette épreuve presque toujours décisive pour le crime ou l'innocence: voilà quels sont en cette matière, à charge ou à décharge, les élémens nécessaires de la conviction de MM. les jurés.

Que feriez-vous, Messieurs, en divisant l'accusation, en formant deux classes d'individus que la même destinée confond; en isolant quelques prévenus de ceux qui seraient leurs complices nécessaires ?

Vous priveriez ceux que le ministère public a, par exception, voués à la poursuite; vous les priveriez d'une portion notable de leurs moyens de défense naturelle et légale.

Je sais que lorsque quelques-uns des auteurs du fait incriminé se sont soustraits à l'action de la justice, la poursuite contre ceux qu'elle a saisis n'en doit pas être ralentie c'est une exception justifiée par la nécessité. Rien de semblable ici; les co-signataires de l'écrit n'ont pas fui à la nouvelle des recherches dont l'écrit était l'objet.

Mais ce serait dans nos fastes judiciaires le premier exemple d'un choix discrétionnaire entre des individus tous auteurs du même fait, tous, au même titre, inno

cens ou coupables, tous présens, et que le ministère public, selon son bon plaisir, chargerait ou absoudrait du poids de l'accusation.

Il est, dans cette affaire, une circonstance particulière, et qui fera mieux ressortir encore l'odieux et l'illégalité de ce système.

L'arrêt, après avoir déclaré la prévention contre les éditeurs responsables des journaux, pour l'insertion de l'écrit du 30 mars, atteint encore nos cliens comme complices de ce délit.

Ainsi donc, nous sommes devant vous, et pour justifier notre fait personnel, l'écrit du 31 mars; et pour nous défendre d'une prétendue complicité dans le fait d'autrui, l'écrit de la veille, 30. mars.

Nous n'anticipons pas sur la discussion au fond; il est à croire que le ministère public cherchera à établir cette prétendue complicité autrement que par de vagues allégations.

Mais en attendant que ces preuves nous apparaissent, retenez, Messieurs, cette réponse faite par Bidault dans l'instruction écrite:

« L'article du 30 mars a été envoyé au bureau du » Constitutionnel par environ cinquante députés: MM. La» fitte, Benjamin-Constant et autres. »,

Il est encore à remarquer que tous les autres journaux déclarent que l'article leur a été transmis par le Constitutionnel.

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Si donc l'assertion de Bidault se vérifie, nous sommes à la source les auteurs de l'écrit, les coupables, si l'on

veut, sont connus.

Le chef de la complicité tombe, à moins. qu'on ne

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suppose que nous, citoyens privés, avons fourni des instructions, non plus aux journalistes, mais à cinquante députés.

L'accusation contre les journalistes eux-mêmes est, sinon détruite, au moins bien affaiblie; le bons sens de Bidault vous l'a dit :

« Je ne crois pas, etc., que ces Messieurs-là aient >> eu en vue, dans cette souscription, d'attaquer cette » chose-là, parce que ces personnes-là connaissent les » lóis; ce sont des députés, ils doivent connaître leurs de>> voirs....»

Ce qui importe donc essentiellement à tous les préla déclaration de Bidault ne reste pas venus, c'est que

dans les termes d'une simple allégation.

Qu'on le mette donc en présence de ceux qu'il a signalés à la justice comme auteurs du prétendu délit; que Messieurs les députés paraissent au milieu de nous, ou pour démentir Bidault, ou pour reconnaître l'écrit comme leur ouvrage, et le venger des attaques du ministère public.

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Mais placer Bidault sous le glaive de la loi, le livrer immédiatement aux débats, lui, ses adhérens et leurs prétendus complices, alors qu'on couvrirait d'une sorte d'égide, ou plutôt qu'on refuserait le périlleux honneur de l'épreuve à ceux qui ne demandent qu'à la subir; à ceux qui d'un mot éclairciront tout, termineront tout, ou du moins changeront toute la face de l'affaire en assumant à eux seuls et le fait matériel et sa moralité....

Voilà, Messieurs, ce à quoi résistent invinciblement ma raison, la vôtre conception bizarre, inhumaine, et

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dont on chercherait vainement la sanction dans le Code d'un peuple civilisé.

Je prévois une objection: je me hâte de la devancer.

On dira que nul n'a le droit d'imposer au ministère public l'obligation d'étendre les poursuites à des individus que, dans sa sagesse, il a cru ne pas devoir comprendre dans l'accusation, parce qu'à lui seul appartient l'exercice libre et spontané de l'action publique ;

Qu'on le peut d'autant moins que son silence ou son inertie est un droit acquis à ceux contre lesquels il n'agit point.

Mais d'abord, Messieurs, l'objection ne pourrait nous venir que d'eux, et leur noble caractère nous assure qu'ils ne voudraient pas de l'impunité à un si haut prix.

Si nous sommes bien informés, déjà avant l'arrêt qui renvoie les prévenus devant vous, ils avaient eux-mêmes réclamé contre cette humiliante exception.

Depuis, les choses ont bien changé. L'arrêt atteint les uns sans absoudre les autres : il ne fait qu'établir entre tous un ordre chronologique, une sorte de préséance. Sur quinze signataires de l'écrit, six, les citoyens de condition privée, sont mis aujourd'hui en jugement. Les neuf autres, membres de la Chambre des députés, sont placés sous une réserve formelle, qui les avertit que plus ou moins prochainement ils seront accusés à leur tour.

Et on peut se demander laquelle des conditions, de la leur ou de celle de nos cliens, est la meilleure.

Et en effet, de deux choses l'une:

Ou ceux qui les précèdent sur ces bancs seraient condamnés, et la condamnation les atteindrait eux-mêmes,

du moins moralement, sans qu'ils eussent eu la faculté de se défendre ;

Ou bien nos cliens seraient renvoyés de l'accusation, et MM. les députés n'en resteraient pas moins sous le lien de la réserve; l'ajournement prendrait fin au moment plus ou moins opportun pour la reprise de la pour

suite.

Aussi, Messieurs, apprenons-nous qu'ils ne consentent point à subir cette prévention douteuse, mais toujours imminente, cette sorte d'interdit moral, peu compatible, ce me semble, avec le caractère public dont ils sont revêtus.

Ils ont présenté à la Cour, chambres assemblées, une requête dont voici la teneur :

(Me Darrieux donne lecture de cette requête.)

Vous jugerez, Messieurs, si cette circonstance seule, et indépendamment de la demande que nous en faisons nous-mêmes, ne suffit pas pour motiver le sursis à l'ouverture des débats.

Mais alors même que leur démarche n'aurait aucune influence sur votre délibération, les droits de nos cliens seraient entiers, et vous auriez à lès apprécier.

J'ai dit, et je crois avoir prouvé qu'ils étaient fondés à se plaindre qu'on eût soustrait à une instruction commune et simultanée quelques-uns des signataires de l'écrit du 31 mars.

J'ajoute maintenant que la réserve sous laquelle on a placé MM. les députés est un grief de plus pour les signataires constitués en prévention.

Si le ministère public s'était interdit sans retour toute

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