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ait été consultée; je dois déclarer, dans l'intérêt de cette Chambre, que je proteste contre l'illégalité de la procédure.......

M. le président: Renfermez-vous dans le rôle de témoin. Je vous déclare que, chargé par la loi de la faire exécuter, rien au monde ne pourra m'en empêcher.

M. Kératry: Je voulais seulement dire que, pour l'honneur de la Chambre à laquelle j'appartiens, j'aurais dû paraître ici comme accusé. Maintenant je vais parler comme témoin. La loi contre la liberté individuelle était rendue; nous la trouvions au moins rigoureuse. Pour en adoucir l'exécution, et non pour préparer des moyens de lui résister, nous résolûmes de faire une souscription. J'eus l'honneur d'être nommé commissaire; maintenant, je me ferais encore gloire de donner ma signature.

M. Odillon-Barrot: Je ne connais pas encore mon origine dans cette affaire. Il m'importerait cependant de la connaître; et c'est ce que j'attends du résultat des débats. Je voudrais apprendre, de l'honorable témoin', comment et par qui j'ai été nommé commissaire.

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M. Kératry: J'ai été nommé par des députés, mes pairs. Je présume qu'il en a été de même pour les commissaires non députés, et qu'ils ont été nommés par les premiers souscripteurs.

M. Odillon-Barrot: Par ces questions, je me propose surtout de bien faire ressortir cette circonstance qui est à la décharge de tous, savoir: que l'on n'a pas même pris le consentement de ceux qu'on a choisis pour membres du comité, preuve évidente que l'intention était pure, et qu'on ne se doutait même pas que l'autorité pût en prendre ombrage.

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M. Kératry: Je prie M. le président de me donner acte de la déclaration que j'ai faite en commençant.

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M. le président : La Cour ne peut pas donner acte à un témoin des déclarations qu'il fait. »

Tous les témoins étant entendus, M. l'avocat - général a la parole.

« Messieurs, dit-il, à l'ouverture de la session actuelle des deux Chambres législatives, l'auguste voix du monarque signalait à la. France une inquiétude vague, mais réelle, dont chacun de nous remarquait autour de soi les symptômes alarmans et trop certains. Déjà mesurant les dangers que l'avenir semblait annoncer, la sollicitude royale réclamait le concours des Chambres, pour conjurer le nouvel orage dont les signes funestes étaient apparus sur l'horizon.

Hélas! pourquoi faut-il que l'expression de cette noble sollicitude semble avoir été aussi la voix d'un sinistre pressentiment! Deux mois s'étaient écoulés à peine, et déjà le fils de saint Louis, l'espoir de la patrie, était tombé sous le fer d'un lâche assassin.

Et quel motif guidait la sombre et lâche fureur de ce bras parricide? Le meurtrier l'a déclaré, il avait soif du sang des Bourbons; il en voulait anéantir la race; et s'il frappa dans sa racine la royale tige, il l'a dit, c'était pour l'éteindre à jamais.

Il disait encore (pourquoi faut-il le répéter?) il disait que son crime ne manquerait pas d'admirateurs. Il osait même invoquer l'auguste nom de la patrie....

Étrange profanation, sans doute, détestable sacrilége, auquel la douleur et la consternation publique répondirent si bien !

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Mais, au milieu de l'affliction générale, de trop justes craintes pouvaient être conçues; la haine de la légitimité pouvait armer de nouveaux Louvels; l'esprit de révolte et d'anarchie semblait vouloir dévorer les destinées de la France, et le poignard menaçait les derniers débris de la monarchie.

Dans de si graves circonstances, le gouvernement du Roi pensa que la force des lois ordinaires pourrait se trouver insuffisante contre les dangers nouveaux qu'il dut prévoir. Responsable envers la société de sa conservation, il crut, pour la sauver, avoir besoin d'un pouvoir extraordinaire et temporaire.

Présentée aux deux Chambres, et solennellement discutée, la loi du 26 mars fut adoptée, sanctionnée et promulguée.

Elle porte que tout individu prévenu de complot ou de machinations contre la personne du Roi, la sûreté de l'État et les personnes de la famille royale, pourra, sans qu'il y ait nécessité de le traduire devant les tribunaux, être arrêté et détenu en vertu d'un ordre délibéré dans le conseil des ministres, et signé de trois ministres au moins.

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Elle porte, en outre, que, dans les trois mois au plus tard, le tapport sera fait au Conseil du Roi, et qu'après cette époque, le prévenu sera nécessairement, ou renvoyé devant les juges compétens, ou mis en liberté, en lui donnant connaissance, par écrit, des causes de son arrestation.

Cette loi était à peine inscrite au Bulletin des lois, que

déjà, et quatre jours seulement après sa promulgation, parut un écrit en forme d'annonce, ayant pour titre :

Souscription nationale en faveur des citoyens qui se» ront victimes de la mesure d'exception sur la liberté » individuelle. »

Cette pièce, dont vous avez entendu déjà la lecture, fut insérée le même jour dans six journaux différens, le Constitutionnel, la Renommée, le Censeur, l'Indépendant, l'Aristarque et le Courrier.

Sans parler encore du contexte de cet écrit, nous devons vous faire remarquer, dès à présent, qu'il désigne comme membres d'un Conseil central d'administration ou Comité devant être établi à Paris, MM. Lafitte, Casimir Périer, Lafayette, d'Argenson, Kératry, députés; Joly (de Saint-Quentin), manufacturier, Gévaudan, administrateur des messageries, Odillon-Barrot, avocat à la Cour de cassation, Pajol, lieutenant-général, Étienne, homme de lettres, Mérilhou, avocat à la Cour royale.

Deux jours après cette publication, deux recueils périodiques, la Bibliothèque historique et les Lettres normandes, publièrent de nouveau le même écrit.

Pour l'exactitude des faits, nous devons vous faire observer que les noms des membres du Comité ne sont pas répétés dans les Lettres normandes et dans le Censeur européen. On y lit seulement cette énonciation : « Le >> Comité sera composé de deux pairs, quatre députés, >> trois négocians et trois avocats. »

A l'insertion de l'écrit dont nous venons de parler, fut joint, dans la Bibliothèque historique, un article parti

culier intitulé: Despotisme ministériel, et dont il vous a aussi été donné connaissance. Cet article est également relatif à la loi du 26 mars.

Enfin, à la même époque, parut un écrit portant, en apparence du moins, la date du 31 mars, c'est-à-dire, du lendemain même de la publication de la Souscription dite nationale. Cet écrit est intitulé : « Souscription pour » le soulagement des personnes détenues en vertu de la » loi du 26 mars 1820. >>

Sansvous entretenir encore du contexte de cet écrit, nous devons également vous faire observer, dès ce moment, qu'il est signé précisément par les mêmes personnes qui, dans le premier écrit, sont nominativement indiquées comme composant le Comité central, et qui, dans le second écrit, se qualifient de Mandataires des premiers souscripteurs. Les signatures des trois autres députés paraissent jointes aux noms des premiers.

Les expressions de ces différens écrits, la nature de l'association qu'ils annonçaient, tout prouvait bien évidemment la fin qu'on s'était proposée, et ce ne fut que la crainte de la punition légale qui put porter les signataires et les publicateurs de ces écrits à désavouer un but qu'alors, sans doute, ils regardaient comme glorieux, celui de paralyser la loi du 26 mars.

Ce but, pourtant, est inconstitutionnel, et les moyens pris pour l'atteindre sont illégaux. Les écrits dont nous venons de vous parler ont donc dû exciter l'attention du ministère public.

Des plaintes ont été portées par lui contre les rédacteurs responsables des journaux et des recueils périodiques que nous avons eu l'honneur de vous indiquer, aussi bien que

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