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sa forme; qu'il a été suggéré; qu'il prouve la démence de son auteur; que les légataires sont incapables. Les demoiselles Larmanger vont plus loin: elles arguent de faux le testament public, comme le testament olographe: de là une action criminelle dirigée contre M. Lesage : elle est rejetée par la Cour spéciale du département de l'Orne. Quant à l'action civile, portée devant le tribunal d'Argentan, les héritiers y articulent 28 faits tendant à établir, et la faiblesse d'esprit de Leguerney, et la suggestion et captation pratiquées par les légataires : ceux-ci articulent des faits justificatifs et demandent, comme leurs adversaires, la vérification du testament olographe. En cet état, un jugement du 8 avril 1807 admet les deux parties à la preuve de leurs faits ; mais sur l'appel, ce jugement est infirmé par la Cour de Caen, le 23 avril 1807. Les motifs de l'arrêt sont que, si le testament public est valable, la vérification du testament olographe est frustratoire; que le testament public est revêtu de ses formalités et conforme à la loi; que le vœu de la loi a été rempli par la mention qu'il a été fuit lecture du testament en présence du testateur et des témoins; que les faits articulés par les héritiers ne sont pas pertinens et que quelques-uns sont contradictoires. En conséquence la Cour ordonne l'exécution du testament précité et l'envoi en possession des légataires. Les héritiers se pourvoient en cassation et proposent cinq moyens.

1. disent-ils, la mention que le testament a été écrit par le notaire, a été placée a été placée à la tête, disons mieux, en avant du testament; de là, un faux et une contravention à l'article 972 du C. N. Un faux le notaire dit, au passé, qu'il a écrit le

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testament; il ne l'avait pas encore écrit il était possible qu'il ne l'écrivît pas une contravention à la loi; la Cour de Cassation a toujours pensé que lorsque la loi commande impérieusement dans un acte, la mention de certaines formalités, cette mention doit être faite dans des termes qui ne puissent laisser aucun doute sur l'accomplissement des formalités. Jugeons d'après cette règle le testament dont s'agit. Encore une fois, c'est en avant de ce testament qu'il a été dit que Leguerney l'avait dicté, que M. Lesage l'avait écrit; qui pourrait donc affirmer, d'après une mention ainsi placée et qui n'est plus répétée, que le notaire a écrit tout le testament, qu'il en a écrit même un seul mot? Dira-t-on que, sur ce point, l'art. 972 du C. n'a prescrit qu'une seule chose, la mention des formalités essentielles; qu'il n'a point dit que cette mention doit, à peine de nullité, être placée dans telle ou telle partie de l'acte ? On répondra, 1o. que la lettre de la loi en manifeste l'esprit ; que ce n'est qu'après avoir détaillé les formalités des testamens, que l'art. précité en ordonne la mention; que le législateur a donc voulu que les formalités ne fussent mentionnées qu'après avoir été observées on répondra, 2°. que si veut la loi, si veut la raison; que l'énonciation, la preuve d'un fait, d'un acte, en supposent la préexistence; c'est d'après ce principe que la Cour s'est prononcée naguères (V. suprà, p. 103, et notre tome 3, p. 115), contre deux testamens, où la mention de la lecture avait été placée dans le corps de l'acte. La Cour ne s'est pas bornée à reconnaître que cette mention ne pouvait pas prouver la lecture des dis

positions ultérieures : elle a pensé que le testament entier était nul.

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2°. Le testament dont s'agit mentionne deux lectures dans la première, il n'est pas parlé des témoins, elle doit être considérée comme non écrite; la deuxième a un autre vice: il est dit que la lecture a été faite en présence du testateur : il eût fallu dire au testateur; le mot en présence, respectu du testateur n'est pas un équipollent si le législateur l'eut considéré comme tel, l'ayant employé pour les témoins, il l'eût appliqué au testateur; il eût dit en présence du testateur et des témoins. Il a eu recours à une autre expression, donc il a eu une autre idée; il a voulu que les testamens ces actes du premier ordre, fussent lus à leurs auteurs, c'est à dire, que la lecture leur fût adressée directement, de manière à fixer toute leur attention; de manière à garantir la transmission fidèle de leur dernière volonté. Quant aux témoins, ils n'ont guères à surveiller que le matériel du testament; il leur suffit de pouvoir déclarer qu'un individu a dicté un testament et qu'un notaire l'a écrit. Voilà pourquoi la loi s'est bornée à prescrire, à l'égard des témoins, que les testamens seraient lus en leur présence. Ajoutez que sur ce point le Code n'a pas innové; que l'ordonnance de 1735, la lettre écrite par M. Daguesseau le 30 septembre 1742, enfin, la déclaration du 7 août 1743, avaient aussi ordonné que les testamens seraient lus aux testateurs en présence des témoins.

3°. Le testament attaqué a été fait par un homme en démence ; il est donc nul. (Art. 901 du C. N.) Invoquera-t-on l'article 504, qui met hors de toute

espèce d'atteinte les actes d'un homme mort integri statûs? On répondra que c'est là, en effet, la règle générale, mais que tout de suite la loi y a apposé une exception; qu'elle a abandonné à l'agression des héritiers les actes qui établissent par eux-mêmes, sans le secours d'une preuve étrangère, l'état de démence de leur auteur; or, tel est le testament de Leguerney on y voit qu'il a légué à trois domestiques, en récompense de leurs bons et honnêtès services, la totalité de ses biens ; et Leguerney avait plus de 750,000 liv. de rente! et il avait des parens, réduits à une extrême indigence! Leguerney eût-il ainsi disposé, si son grand âge n'avait altéré ses facultés morales, si ses serviteurs n'avaient abusé de sa faiblesse pour extorquer une libéralité monstrueuse? (Ici les héritiers cherchent à prouver en point de fait, que le testament a été suggéré; en point de droit, que l'action en nullité des testamens pour fait de suggestion et de captation n'a point été abolie par le C. N.)

4. Les légataires sont incapables des domestiques ne peuvent recevoir de leurs maîtres des legs universels. Il est vrai, les ordonnances de 1539, de 1549 et 1735 n'avaient pas établi cette incapacité; mais l'ancienne jurisprudence l'a introduite. Les héritiers n'ont jamais réclamé en vain contre des dons excessifs, prodigués à des serviteurs. Il est vrai encore l'article gog du Code qui énumère les personnes que leur qualité rend incapables de recevoirne parle point des domestiques; mais 1°. de l'article 1023, qui dispose que le legs fait au domestique ne sera pas censé en compensation de ses gages, on doit induire que les domestiques sont incapables, si ce n'est de tous legs, du moins de legs impor

tans; mais 2°. on doit tirer la même induction de l'article 909; il serait monstrueux que l'incapacité, prononcée par cet article, contre les docteurs en médecine ou en chirurgie, les officiers de santé, les pharmaciens, les ministres du culte ne s'étendît pas jusques aux domestiques; il leur est bien plus facile qu'aux médecins, chirurgiens, etc., de suggérer des dispositions testamentaires; et leur état, leurs sentimens doivent inspirer bien moins de confiance.

5°. Supposez même la validité du testament, les légataires n'avaient pas droit à une possession qu'ils ne nous avaient pas demandée; leur possession n'a pas dû remonter jusques à l'ouverture de la succession. La Cour de Caen ne l'a ainsi jugé qu'en les considérant comme des légataires universels. Cette qualification ne leur apartient point: ils ne sont légataires qu'à titre universel, tenus de demander la delivrance (art. 1011 du C. N.). Le droit romain avait distingué entre les héritiers et les simples légataires. Au contraire, le Code (art. 1002) confondant ces deux qualités, a établi une classification nouvelle des dispositions testamentaires. Ces dispositions sont, ou universelles, ou à titre universel, ou à titre particulier. Le legs à titre universel est celui qui renferme une quote part des biens disponibles (art. 1010). Il y a lieu à accroissement au profit des légataires, lorsque le legs est fait à plusieurs conjointement (art. 1044). Cet article et le suivant donnent deux exemples de cette espèce de legs : le premier seul est afférent à la cause. Le legs est fait conjointement, lorsqu'il l'est par une seule et même disposition, et que le testateur n'a pas assigné la part de chacun des colégataires dans la chose léguée.

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