Page images
PDF
EPUB

mit toujours dans ses légations; M. de Cetto pour la Bavière; M. de Dreyer pour le Danemarck; de Maïardoz pour la Suisse : ambassadeurs et ministres furent invités à cette noble résidence où parut un moment Mouhib-effendi, ambassadeur extraordinaire de la Turquie, dans son costume national; puis le marquis de Ferrette portant fièrement son titre de l'ordre de Malte qu'il ne quittait pas plus que sa loge aux Italiens, sa résidence habituelle. On fit là des chasses au courre, au tir; l'empereur y prit plaisir avec l'ardeur d'un roi de la première race; toujours à cheval, il pressait le cerf toute une journée; les hommes le suivaient à cheval, les dames en calèche ; on y parla d'intrigues d'amour, de bonnes fortunes, de diplomatie; on prit toutes les habitudes de Louis XIV: les grands levers d'apparat, les bals et les fêtes; l'empereur voulut donner aux Russes une bonne idée de sa cour; il y eut plus d'une légende de bonne fortune pour l'empereur à Fontainebleau, comme cela se faisait aux temps de la vieille monarchie pour les fêtes royales de Marly et de Choisy-leRoi.

1

Cependant Napoléon ne perdait point de vue la direction politique de son gouvernement; depuis son retour de Tilsitt il avait décidé un voyage en Italie, pour revoir ce royaume abandonné au vice-roi

Voici du genre Louis XV, seulement avec moins d'esprit et de bonne compa¬ gnie: « Une dame belle, spirituelle, de la compagnie des princesses, attira les regards de l'empereur. Il y eut d'abord quelques billets doux d'échangés; enfin, un soir, l'empereur m'ordonna de porter une nouvelle lettre. Dans le palais de Fontainebleau est un jardin intérieur appelé le jardin de Diane, ou LL. MM, seules avaient accès. Ce jardin est entouré des quatre côtés par des bâtiments. A gauche, la chapelle avec sa galerie sombre et son architecture gothique; à droite, la grande galerie, autant que je puis m'en souvenir. Le bâtiment du milieu contenait les appartements de LL. MM.; enfin, en face et fermant ce carré, de grandes arcades derrière lesquelles étaient des bâtiments destinés à diverses personnes attachées soit aux princes, soit à la maison impériale. Madame de B....., la dame que l'empereur avait remarqué, logeait dans un appartement situé derrière ces arcades, au rez-de-chaussée. S. M. me prévint que je trouverais une fenêtre ouverte, par laquelle j'entrerais avec précaution; que dans les ténèbres je remettrais son billet à une personne qui me le demanderait. Cette obscurité était nécessaire, parce que la fenêtro ouverte derrière les arcades, mais sur le jardin, aurait pu être remarquée s'il y eût eu de la lumière. Ne connaissant pas l'intérieur de ces appartements, j'arrivai et j'entrai par la fenêtre; croyant alors marcher de plain-pied, je fis une chute bruyante, occa sionnée par une haute marche qui était dans l'embrasure de la croisée. Au bruit que je fis en tombant, j'entendis pousser un cri et une porte se fermer brusquement. Je m'étais légèrement blessé au genou, au coude et à la tête. » (Mémoires du valet de chambre Constant.)

après le sacre de Milan; de vastes terres étaient réunies; Venise et l'Adriatique obéissaient à son sceptre; il voulait examiner par luimême la véritable nature de ces conquêtes, et le parti qu'on pourrait en tirer, soit pour la défense territoriale, soit pour le commerce extérieur. L'empereur méditait des modifications essentielles dans la base de la constitution d'Italie : les pouvoirs lui paraissaient mal combinés, le gouvernement trouvait des résistances; il voulait formuler une constitution de telle nature qu'elle pût prêter aide à son système sans jamais l'embarrasser dans sa marche; songeant à imprimer plus de stabilité et d'unité à la forme même de l'administration du royaume, déjà il avait donné l'adoption au prince Eugène qui gouvernait avec un dévouement remarquable : nul ne pouvait disputer l'amour qu'il portait à son père adoptif; Napoléon désirait constater par sa présence que l'Italie, unie au système français, n'en serait jamais détachée.

Dans cette pensée, le 16 novembre au matin, Napoléon s'élança dans sa voiture de voyage, et prit la direction de Milan; les Alpes furent traversées sur la nouvelle route du Simplon que son génie avait improvisée. A Milan, ce fut une pompe indicible: le vice-roi s'agenouilla devant son père adoptif et son protecteur, lui baisa la main avec enthousiasme; les acclamations furent grandes, l'ivresse fut au comble, et le Te Deum entonné dans la cathédrale de marbre de Saint-Ambroise. Napoléon répondit, toujours en italien : « que Milan était la capitale chérie de son royaume; il la saluait avec l'orgueil de Charlemagne. » Il traça de sa main des arcs de triomphe, des monuments qui devaient décorer cette grande cité. Réunissant autour de lui les conseils législatifs, il leur parla un langage sévère; ils devaient conquérir par leur dévouement une patrie

Paris, 17 novembre 1807.

« S. M. est partie hier, 16, à quatre heures du matin, pour passer quelques jours Milan et à Venise. Elle sera de retour dans les premiers jours de décembre.

» Pendant l'absence de S. M., le conseil des ministres et le conseil d'État seront, dit-on, présidés par S. A. S. l'architrésorier de l'empire.

» Le cortège de l'empereur est uniquement composé de deux voitures. On dit que S. M. n'est accompagnée que du grand-duc de Berg et du prince de Neufchâtel. On assure cependant que les ministres d'Italie qui résident auprès de S. M. doivent la suivre presque immédiatement.

» On annonce aussi le prochain départ de S. exc. Mgr. de Champagny, ministre des relations extérieures.

» S. exc. le ministre secrétaire d'État est arrivé lundi soir à Paris.

qu'ils avaient trop souvent perdue par leurs divisions intestines; l'Italie ne devait jamais se séparer de la France; ils formaient deux peuples divers, mais unis d'intérêts, qui devaient mutuellement se soutenir dans la conquête de leur indépendance 1.

Durant ce séjour à Milan, Napoléon développa l'institution de l'ordre de la couronne de fer, symbole de l'Italie; Napoléon s'en déclarait le grand maître, et le prince Eugène en était le premier grand officier; afin que son nom et sa lignée se révélassent partout, il nomma l'aîné de la famille Beauharnais prince de Venise, et princesse de Bologne sa gracieuse fille, qui vint le caresser de ses bras, et offrir son front à ses baisers 2. Enfin, M. de Melzi, le chancelier du royaume, l'homme dévoué aux intérêts de l'empereur, fut nommé duc de Lodi, en souvenir de celui qui, le premier, lui porta les clefs de Milan sur le champ de bataille de Lodi 3.

'Discours de Napoléon aux trois colléges réunis à Milan, le 20 décembre 1807, « MM. les possidenti, dotti et commercianti,

» Je vous vois avec plaisir environner mon trône.

» De retour après trois ans d'absence, je me plais à remarquer les progrès qu'ont faits mes peuples; mais que de choses il reste encore à faire pour effacer les fautes de nos pères et vous rendre dignes des destins que je vous prépare!

» Les divisions intestines de nos ancêtres, leur misérable égoïsme de ville, préparèrent la perte de tous nos droits. La patrie fut déshéritée de son rang et de sa di¬ gnité, elle qui dans des siècles plus éloignés avait porté si loin l'honneur de ses armes at l'éclat de ses vertus. Cet éclat, ces vertus, je fais consister ma gloire à les conquérir. » Citoyens d'Italie, j'ai beaucoup fait pour vous; je ferai plus encore. Mais de votre côté, unis de cœur comme vous l'êtes d'intérêt avec mes peuples de France, considérez-les comme des frères aînés. Voyez constamment la source de notre prospérité, la garantie de nos institutions, celle de notre indépendance, dans l'union de cette couronne de fer avec ma couronne impériale.»

2

Décrets dates de Milan, le 20 décembre 1807.

<< Voulant donner une preuve particulière de notre satisfaction à notre bonne ville de Venise,

» Nous avons conféré et conférons par ces présentes lettres patentes, à notre bienaimé fils le prince Eugène Napoléon, notre héritier présomptif à la couronne d'Italie, le titre de prince de Venise. »

« Voulant donner une preuve particulière de notre satisfaction à notre bonne ville de Bologne,

» Nous avons conféré et conférons par les présentes le titre de princesse de Bologne à notre bien-aimée petite-fille la princesse Joséphine. »

3

Daté de Milan, 20 décembre 1807.

• Voulant reconnaître les services que le sieur Melzi, chancelier, garde des sceaux de notre royaume d'Italie, nous a rendus dans toutes les circonstances, dans l'admi◄

Napoléon voulut saluer Venise, la cité des mers. Son cortège impérial le suivit jusque dans cette ville désolée, dont les palais sont vides et les canaux silencieux. Venise se para de ses habits de fête; elle renouvela pour l'empereur des Français les pompes de ses doges; le Bucentaure d'or remua ses mille rames et pavoisa ses mâts épais; la basilique de Saint-Marc, dépouillée de ses ornements, fit entendre sa grosse cloche qui retentit jusqu'au Lido; les gondoliers oublièrent les chants du Tasse et de Godefroid, pour réciter les hymnes en l'honneur de Napoléon. Mais Venise était frappée de mort; elle ressemblait à ces terres d'où la mer s'éloigne, à ces rivages désolés où furent jadis des villes qui, comme Carthage, ne sont plus que ruines. Venise pouvait-elle saluer Napoléon, lorsque le décret de Berlin lui enlevait toutes ses ressources?

A Milan encore, quand l'Italie l'entourait de fêtes, le souverain lançait un autre décret plus effrayant pour le commerce du monde : le coup portait sur les neutres; le pavillon ne fut plus respecté ; dès qu'ils avaient subi la visite d'un navire anglais, les neutres se trouvaient dénationalisés; ils n'avaient plus ni droits ni priviléges; placé en dehors de toute protection, le pavillon qui subissait l'odieuse visite était de bonne prise, et, par ce seul décret, tout le commerce fut mis en interdit. Malheureuse Italie, avec tes villes de Gênes, de Livourne, de Venise, qu'allais-tu devenir quand le commerce du monde était arraché à tes comptoirs, à tes ports, à tes vastes lazarets; quand l'étranger ne pouvait plus jeter sur tes arts l'or de ses loisirs 1?

nistration publique où il a déployé, pour le bien de nos peuples et de notre couronne, les plus hauts talents et la plus sévère intégrité;

» Nous souvenant qu'il fut le premier Italien qui nous porta, sur le champ de bataille de Lodi, les clefs et les vœux de notre bonne ville de Milan;

>> Nous avons résolu de lui conférer le titre de duc de Lodi, pour être possédé par lui ou par ses héritiers masculins, soit naturels, soit adoptifs, par ordre de primogé niture, entendant que le cas d'adoption ayant lieu par le titulaire et ses descendants, elle sera soumise à notre approbation ou à celle de nos successeurs. »

Le texte du décret prohibitif de Milan est incroyable comme système d'économie politique.

<< En notre palais impérial de Milan, le 17 décembre 1807.

» Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, et protecteur de la confédération du Rhin.

>> Vu les dispositions arrêtées par le gouvernement britannique, en date du 11 novembre dernier, qui assujettissent les bâtiments des puissances neutres, amies et même alliées de l'Angleterre, non-seulement à une visite par les croiseurs anglais,

Dans ses courses du Milanais à travers l'Adriatique, Napoléon eut un souvenir; lorsqu'il faisait des rois, lorqu'il plaçait toute sa famille sur des trônes, en parquant les peuples sous des lois arbitraires, Napoléon se rappela qu'il avait un frère, le plus capable, le plus habile de tous, et qui lui avait rendu des services éminents au 18 brumaire; une querelle de famille les avait séparés, un mouvement

mais encore à une station obligée en Angleterre et à une imposition arbitraire de tant pour cent sur leur chargement, qui doit être réglée par la législation anglaise;

» Considérant que, par ces actes, le gouvernement anglais a dénationalisé les bâtiments de toutes les nations de l'Europe; qu'il n'est au pouvoir d'aucun gouvernement de transiger sur son indépendance et sur ses droits, tous les souverains de l'Europe étent solidaires de la souveraineté et de l'indépendance de leur pavillon; que, si par une faiblesse inexcusable, et qui serait une tache ineffaçable aux yeux de la postérité, on laissait passer en principe et consacrer par l'usage une parcille tyrannic, les Anglais en prendraient acte pour l'établir en droit, comme ils ont profité de la tolérance des gouvernements pour établir l'infâme principe que le pavillon ne couvre pas la marchandise, et pour donner à leurs droits de blocus une extension arbitraire et attentatoire à la souveraineté de tous les États,

>> Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:

» 1. Tout bâtiment, de quelque nation qu'il soit, qui aura souffert la visite d'un vaisseau anglais, ou se sera soumis à un voyage en Angleterre, ou aura payé une im¬ position quelconque au gouvernement anglais, est par cela seul déclaré dénationalisé, a perdu la garantie de son pavillon, et est devenu propriété anglaise.

» 2. Soit que lesdits bâtiments ainsi dénationalisés par les mesures arbitraires du gouvernement anglais, entre dans nos ports ou dans ceux de nos alliés, soit qu'ils tombent au pouvoir de nos vaisseaux de guerre ou de nos corsaires, ils sont déclarés de bonne et valable prise.

» 3. Les iles Britanniques sont déclarées en état de blocus sur mer comme sur terre. Tout bâtiment, de quelque nation qu'il soit, quel que soit son chargement, expédié des ports d'Angleterre ou des colonies anglaises, ou des pays occupés par des troupes anglaises, ou allant en Angleterre, ou dans les colonies anglaises ou dans les pays occupés par les troupes anglaises, est de bonne prise, comme contrevenant au présent décret; il sera capturé par nos vaisseaux de guerre ou par nos corsaires, et adjugé au capteur.

» 4. Ces mesures, qui ne sont qu'une juste réciprocité pour le système barbare adopté par le gouvernement anglais, qui assimile sa législation à celle d'Alger, cesserent d'avoir leur effet pour toutes les nations qui sauraient obliger le gouvernement anglais à respecter leur pavillon. Elles continueront d'être en vigueur pendant tout le temps que ce gouvernement ne reviendra pas aux principes du droit des gens, qui règle les relations des États civilisés dans l'état de guerre. Les dispositions du présent décret seront abrogées et nulles par le fait dès que le gouvernement anglais sera revenu aux principes du droit des gens, qui sont aussi ceux de la justice et de l'honneur.

»> 5. Tous nos ministres sont chargés de l'exécution du présent décret, qui sera inséré au bulletin des lois.

» Signé : NAPOLÉON. »

« PreviousContinue »