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monie 100 grenadiers se précipitèrent dans la citadelle au moment de la distribution des vivres, et la bonne foi de la garnison fut trompée à Barcelone, à Figuières, à Saint-Sébastien, on employa des stratagèmes indignes des lois de la guerre, lorsque surtout il s'agit d'une nation en pleine paix, et jusque-là notre alliée fidèle. On essayait ainsi la patience des Espagnols; il ne faut pas abuser du caractère d'un peuple; il se tait pendant un temps, il éclate violemment ensuite 1.

Voici les stratagèmes employés par les Français pour s'emparer de Pampelune: Tous les jours les portes de la citadelle étaient ouvertes à des soldats français de corvée, qui venaient chercher la distribution des vivres. Le général Darmagnac était logé dans une maison de la ville qui faisait face à la porte principale de la citadelle. Dans la nuit du 16 au 17 février, 100 grenadiers furent cachés dans cette maison; les hommes de corvée, qui furent choisis parmi les voltigeurs les plus déterminés, portaient leurs sabres sous leurs capotes; quelques-uns, feignant de jouer, s'arrêtèrent sur le pont-levis afin qu'on ne pût pas le fermer. A un signal convenu les uns se jetèrent sur le faisceau d'armes de la garde espagnole, les autres mirent le sabre à la main; alors les grenadiers cachés dans la maison du général Darmagnac en sortirent précipitamment, et s'emparèrent de la porte de la citadelle.

Pendant ce temps le général Duhesme se rendait maître aussi par ruse de Barcelone. Il avait fait demander au capitaine général espagnol que les troupes françaises gardassent, conjointement avec la garnison, les portes principales; le général espagnol ne crut pas devoir refuser une telle proposition, et une partie des troupes françaises entrèrent dans Barcelone. Une compagnie de voltigeurs fut placée à la porte principale de la citadelle, au lieu de 20 hommes. Le 28 février, le général Duhesme annonça qu'il passerait le lendemain une revue générale de ses troupes; un bataillon des velites de la garde italienne, sous le général Lecchi, s'appuyait à la palissade d'entrée de la citadelle; le général, après avoir fait l'inspection, s'avança vers cette porte, comme pour visiter l'intérieur, accompagné des officiers de son état-major et de quelques ordonnances; les deux gardes française et espagnole se mirent sous les armes pour rendre les honneurs. Pendant que le général Lecchi, resté sur le pontlevis, feignait de donner quelques ordres au capitaine des voltigeurs français de garde, le bataillon des vélites défila, couvert par le ravelin qui défend la porte, et enleva la première sentinelle espagnole. Le général Lecchi, pénétrant alors dans l'intérieur, fut suivi par les vélites; puis quatre autres bataillons entrèrent après et achevèrent l'invasion de la place.

A Figuières, le colonel Pio, commandant 800 hommes que le général Duhesme avait laissés, voulut s'emparer du fort San-Fernando par la mème ruse qu'à Barcelone. Mais le commandant espagnol, qui s'en aperçut, fit baisser le pont-levis. Toutefois, le colonel Pio obtint, deux jours après, de renfermer 200 conscrits dans la place, et au lieu de ceux-ci, il envoya 200 soldats d'élite, qui lui assurèrent la possession du

fort.

Dans les premiers jours de mars, le général Thouvenot fit demander au gouverneur de Saint-Sébastien la permission de faire entrer dans la place les hôpitaux du corps d'armée, et quelques dépôts de cavalerie. Le gouverneur, ayant consulté le ministère

Au commencement de janvier, l'Espagne voyait près de 80,000 Français répartis sur son territoire, maîtres des places fortes du royaume comme point d'appui, de manière à pouvoir agir avec sécurité dans les opérations d'une campagne. Ainsi le rusé, le puissant empereur était arrivé à ses fins; il démoralisait le gouvernement espagnol, en le privant de ses ressorts militaires; la Romana était envoyé dans le Holstein, les corps disséminés dans toutes les provinces; c'était comme une surprise. Mais le peuple de la Péninsule a un instinct profond de ce qui convient à son honneur national, de ce qui le blesse ou de ce qui l'exalte; les populations de la Catalogne, de la Biscaye, de la Navarre, de Vittoria à Valladolid, partout enfin où les troupes françaises avaient pénétré, s'aperçurent bientôt que ces prétendus alliés avaient des desseins de conquête et d'invasion, car ils blessaient toutes les lois de l'alliance, tous les principes de nation à nation. Que venaient donc faire ces étrangers? Qui leur avait ouvert les portes de l'Espagne? N'était-ce pas le prince de la Paix, Godoï; nouveau comte Julien, il avait appelé les Mores? Les Français, sans respect pour les principes et les coutumes catholiques, transformaient les couvents en casernes, les presbytères en écuries. Ce traître Godoï avait livré les flottes, les armées, et maintenant il vendait à bons deniers comptants le peuple espagnol, ce noble peuple, à des étrangers sans foi et sans croyance. Une fermentation commençait parmi les masses: une nation marche vite quand son honneur est blessé. L'Espagne préparait une immense lutte.

A Madrid même, la cour n'était pas sans inquiétudes sur le caractère menaçant que prenait l'invasion française; le traité de Fontainebleau, qui partageait le Portugal avait sans doute autorisé l'entréc d'un corps auxiliaire en Espagne, mais ce corps ne devait se composer que de 27,000 hommes; et au cas où les Anglais auraient des forces en Portugal, on l'élèverait à 40,000; c'était tout et rien au delà. Et encore était-il stipulé que le roi d'Espagne pourrait commander, en personne, toute l'armée d'invasion, alors même que Murat viendrait comme lieutenant de l'empereur. Au lieu de 40,000 hommes on en avait envoyé plus de 80,000; ces corps auxiliaires, au lieu de

espagnol, reçut pour réponse qu'il n'y avait pas d'inconvénient; le général français une fois dans la place, l'occupa bientôt militairement, ainsi que le château de Sant Cruz, qui en est la citadelle.

pénétrer du côté du Portugal, s'étaient étendus sur toute la ligne de l'Ebre; à ce moment même, ils occupaient par surprise les quatre places principales du nord de l'Espagne. Il y avait donc là un dessein hostile, inexplicable, ou peut-être trop bien expliqué par la chute des Bourbons de Naples et le décret qui déclarait la maison de Bragance indigne du trône voulait-on dépouiller le roi d'Espagne de son royaume et éteindre la race des Bourbons? Une grande perplexité existait partout; le prince de la Paix voyait bien qu'il fallait rendre compte au peuple de sa politique; un parti restait à prendre, et les conseils intimes de Godoï et de Charles IV se réunirent pour arrêter un plan de conduite qui ne manquait pas d'une certaine intelligence. Le prince de la Paix désirait d'abord que des explications fussent demandées au cabinet de Paris; Isquierdo, qui avait signé avec Duroc le traité de Fontainebleau, fut désigné pour cette nouvelle mission. afin de solliciter l'interprétation simple et naturelle de ce traité; il devait s'adresser directement à l'empereur pour obtenir satisfaction de la conduite des généraux français dans la Péninsule : si la condescendance du roi avait été à ce point d'autoriser l'occupation d'une ou deux places fortes, elle ne pouvait aller au delà sans exciter les inquiétudes de la nation. Isquierdo alla prendre également les instructions de Charles IV, qui lui dit avec son ton de familiarité habituelle : « Manuel est ton protecteur; fais ce qu'il t'a dit, par ce moyen tu me serviras. » Le conseiller Isquierdo partit en toute hâte, tandis que le prince de la Paix, réuni à la reine d'Etrurie, au roi des Espagnes et à Marie-Louise, délibérait sur les résolutions définitives à prendre dans la crise qui menaçait le favori bien-aimé.

Don Manuel Godoï n'avait jamais cessé d'être en rapport avec l'Angleterre, au temps même où il était le plus rapproché de Napoléon; les agents de M. Canning s'étaient multipliés depuis un mois à Aranjuez et à Madrid; les uns travaillaient le peuple, les autres la cour; l'Angleterre favorisait parmi les masses l'idée d'une abdication de Charles IV au profit du prince des Asturies, Fernand; les Anglais insinuaient à don Manuel Godoï le projet que déjà M. Canning avait réalisé pour le Portugal, c'est-à-dire la retraite du roi dans les possessions d'outre-mer, afin de séparer l'Amérique espagnole de la métropole: le Mexique était une terre aussi brillante, aussi fertile que

1 « Manuel es tu protector; tras quando te diga; por medio suo debes servir me. »

l'Espagne; les possessions du nouveau monde étaient les beaux diamants de la couronne catholique; l'abandon de la Péninsule ne devait pas coûter à Charles IV après tant de troubles et d'agitations. Cette idée souriait au prince de la Paix, d'autant qu'il craignait tôt ou tard les vengeances du peuple contre sa fortune et sa personne; don Juan de Portugal était parti pour le Brésil, don Carlos IV irait habiter Mexico, la Venise de l'Amérique sur ses dix-sept lacs; le plan commercial de l'Angleterre pourrait trouver son application, elle protégerait l'Espagne d'outre-mer et l'inonderait de ses marchandises. En tous les cas, la retraite provisoire de Charles IV, dans l'Andalousie, ne pouvait souffrir le moindre obstacle; on mettrait la Sierra-Morena, le Guadalquivir, le Tage, entre les Bourbons et l'armée Française; là on verrait si on pouvait se défendre avec l'aide des Anglais, ou bien si l'on passerait en Amérique, selon le désir de M. Canning.

Ce qui déterminait don Manuel Godoï à cette résolution, c'est que la mission d'Isquierdo à Paris ne prenait pas une tournure favorable; le conseiller intime du prince de la Paix avait trouvé l'empereur des Français dans des dispositions inflexibles contre la maison de Bourbon. Tout était changé depuis la signature du traité de Fontainebleau pour le partage du Portugal. L'empereur savait que son armée était en pleine possession des forteresses du nord de l'Espagne; il disposait de près de 100,000 hommes répartis entre Lisbonne et Valladolid; puisque le Portugal était tombé dans ses mains, il fit entendre à Isquierdo que rien n'était plus simple que de modifier les articles du traité de Fontainebleau: on donnerait à l'Espagne le Portugal tout entier, cela lui manquait comme complément de territoire; l'armée française briserait la séparation qui existait entre les deux peuples. Or, en compensation d'un si beau lot donné à l'Espagne, Napoléon lui demandait une part de conquête pour la France au delà des Pyrénées; on prendrait l'Ebre pour limite; ce fleuve serait la séparation des deux royaumes; on tirerait un cordeau depuis Bilbao jusqu'à Tortose en passant par Vittoria, Tudela, Saragosse, Mequinenza; c'était la frontière de l'ancien empire de Charlemagne, son successeur la désirait comme complément à son vaste système; on devait donc formuler un nouveau traité dans le sens des volontés de l'empereur.

Lorsque la cour reçut ces dépêches d'Isquierdo, elle se confirma dans sa résolution d'une retraite précipitée derrière la Sierra-Morena,

pour se mettre à l'abri d'un coup de main des ordres furent expédiés aux troupes; on choisit Séville pour siége futur du gouvernement; des envoyés seraient expédiés à Londres pour solliciter conseil et appui au cas où l'on serait forcé de prendre une résolution semblable à celle de la famille de Bragance. Le roi Charles IV écrivit aux chefs des gardes du corps, aux suisses de sa maison, aux régiments wallons qui avaient leurs quartiers à Madrid, pour les appeler à Aranjuez, afin d'entourer sa personne. En Espagne, tout se fait avec solennité et gravité, la royauté ne se remue qu'avec un appareil immense; de pareils ordres devaient exciter une inquiétude générale, c'était de l'activité au milieu d'une cour immobile, le mouvement dans le repos, le réveil dans la sieste; le peuple murmura donc tout haut. Il y eut d'indicibles rumeurs dans la multitude, on menaça d'une sédition. Cette sédition avait des causes profondes.

Le prince des Asturies, depuis son procès criminel de San Lorenzo, avait tenu une conduite plus réservée; le chanoine Escoïquiz, le duc de l'Infantado, l'un et l'autre exilés ne l'aidaient plus de leurs conseils ardents. La reine d'Etrurie avait même essayé un rapprochement entre don Manuel Godoï et le prince; il était question d'un mariage de famille; ils s'étaient serré la main, et Fernand dit à Manuel : << On m'avait trompé sur toi : je vois, tu es un bon serviteur. » Le prince des Asturies n'en restait pas moins le chef des mécontents; le peuple a toujours besoin de formuler les griefs et de les personnifier en un homme qui devient l'objet de son amour ou de sa haine; pour lui tout est passion; or don Fernand était son ami naturel, son protecteur; don Manuel Godoï, son ennemi. Ajoutez à cette circonstance les instructions venues d'Angleterre, quelque argent jeté parmi des hommes ardents, et l'on s'expliquera les scènes qui se préparent au vaste palais d'Aranjuez. Dans la journée du 18 mars, la fermentation s'accrut à Madrid, la cité du peuple; on voyait les casernes de la Puerta del Sol s'agiter d'une façon étrange; les officiers parlaient entre eux à haute voix contre Manuel Godoï; les soldats espagnols abandonnaient leur caractère grave et silencieux pour se communiquer leurs griefs contre le favori; une multitude de peuple moines, alguazils, muletiers d'Oviedo, Asturiens aux membres forts, à la démarche fière, Aragonais à la culotte de velours noir, à la crépine pendante, se mêlaient dans les rangs des soldats on se demandait ce qu'il était avenu au seigneur roi; tout le monde savait que les

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