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conditionnels, subordonnés à de secrètes protestations'. Y avait-il liberté dans une ville étrangère sous la domination de la force? Don Joseph-Napoléon 2, pâle imitateur de Philippe V, cherchait à pacifier l'Espagne; son esprit conciliant et sans portée avait voulu fondre les ministres de Charles IV et les conseillers de Ferdinand VII dans un commun gouvernement, et ce fut de cette manière qu'il composa son conseil. On vit donc réunis simultanément don Pedro Cevallos 3,

Protestations de la grandesse, 18 juin 1808.

2 On verra un peu d'ostentation dans la première formule du décret de Joseph en Espagne.

Don Joseph-Napoléon, etc.

« Espagnols, en entrant sur le territoire de la nation dont la Providence m'a confié le gouvernement, je dois vous manifester mes sentiments.

>> En montant sur le trône, je compte sur des âmes généreuses qui me secondent pour faire recouvrer à cette nation son antique splendeur : la constitution que vous allez jurer d'observer assure l'exercice de notre sainte religion, la liberté civile et politique; elle établit une représentation nationale, fait revivre vos anciennes cortès mieux organisées; institue un sénat, qui, devenant le garant de la liberté individuelle, et le soutien du trône dans les circonstances les plus critiques, sera encore l'asile bonorable et la récompense des plus éminents services rendus à l'État.

>> Les tribunaux, organes de la loi, impassibles comme elle, jugeront librement, et dans l'indépendance de tout autre pouvoir.

» Le mérite et la vertu seront les seuls titres pour obtenir des emplois publics. >> Si mes désirs ne me font pas illusion, votre agriculture et votre commerce fleuriront, délivrés pour toujours des entraves qui s'opposaient à leur prospérité.

>> Voulant régner par les lois, je serai le premier à donner l'exemple du respect qu'on leur doit.

>> J'entre au milieu de vous avec la plus grande confiance, entouré d'hommes recommandables qui ne m'ont rien caché de ce qu'ils ont cru utile à vos intérêts.

>> D'aveugles passions, des bruits mensongers, les intrigues de l'ennemi commun du continent, qui ne désire que la séparation des Indes et de l'Espagne, ont précipité quelques-uns de vous dans la plus affreuse anarchie : mon cœur se déchire à cet aspect, mais ce mal, quelque grand qu'il soit, peut cesser en un instant.

>> Espagnols! réunissez-vous tous environnez mon trône; faites que les dissensions intérieures ne m'enlèvent pas un temps que je voudrais employer à faire votre bonheur, et ne m'ôtent pas les moyens de l'opérer. Je vous estime assez pour croire que vous ferez vos efforts pour obtenir et mériter cette félicité, qui est le plus cher de

mes vœux.

» Vittoria, le 12 juillet 1808.

» MOI LE ROI. »

S. M. catholique (Joseph) vient de faire les nominations suivantes : Don Louis Mariano de Urquijo, ministre secrétaire d'État;

Don Pedro Cevallos, ministre des affaires étrangères;

Don Miguel Jose de Azanza, ministre des Indes;
L'amiral don Jose Mazaredo, ministre de la marine;
Le général don Gonzalo Offaril, ministre de la guerre;
Don Gaspard-Melchior de Jovellanos, ministre de l'intérieur;

si dévoué à Ferdinand VII et son secrétaire d'État; Urquijo, le conseiller intime du prince de la paix; don Jose de Azanza, l'ami personnel de Charles IV. Joseph-Napoléon confirma les capitaines des gardes qui portaient les beaux noms du duc del Parque, de l'Infantado et de Castel-Franco; on vit parmi ses grands officiers le duc de Hijar, de Castel-Florida, et ce Soto-Mayor dont le nom est si retentissant et si espagnol dans sa fierté et sa hauteur castillane. Cette réunion des vieux titres de Castille n'était qu'une auréole mensongère que don Joseph voulait imprimer autour de sa récente couronne; la junte de Bayonne se considérait en pays étranger et captive.

En tous les cas, la grandesse n'était pas l'énergique Espagne; le paysan, c'était la nation, et le peuple voulait se délivrer des maudits Français; Joseph-Napoléon n'était pas son roi national. Et pourtant, à l'imitation de son frère l'empereur, en pénétrant sur le territoire, il faisait des proclamations solennelles, comme si depuis des siècles sa race gouvernait les Espagnes. L'insurrection grondait autour de lui, et don Joseph parlait aux Espagnols un langage pacificateur; était-ce ignorance du caractère de ce peuple et de cette énergie qui se déployait chez les masses indignées? l'empereur connaissait mal l'Espagne et sa fierté nationale; il confondait les moines espagnols avec le clergé italien doux et assoupli. Toutes les fois que Napoléon, dans ses actes publics, s'exprima sur l'Espagne, sur ces moines, sur ces paysans, fières races qui se sacrifiaient pour la patrie, il le fit avec mépris; il ne croyait pas que ces masses pussent résister à quelques coups de canon de sa

Le comte de Cabarrus, ministre des finances;

Don Sébastien Pinuela, ministre de la justice;

Le duc del Parque, grand d'Espagne, capitaine des gardes du corps;

Le duc de Saint-Germain, grand d'Espagne, capitaine des gardes du corps;
Le duc de l'Infantado, colonel des gardes espagnoles, colonel des gardes;

Le prince de Castelfranco, colonel des gardes wallonnes, colonel des gardes;
Le marquis d'Ariza, grand chambellan;

Le duc de Hijar, grand maître des cérémonies;

Le comte de Fernand-Nunès, grand veneur;

Le comte de Santa-Colonna, chambellan (tous les quatre grand d'Espagne); Les chambellans ci-après ont été désignés pour suivre S. M. dans son voyage : Le comte d'Orgaz, grand d'Espagne.

Le marquis de Santa-Crux, id.

Le duc d'Ofuna, id.

Le comte de Castel-Florida, id.

Le duc de Soto-Mayor, id.

garde.L'empereur, esprit de gouvernement, ne comprenait rien en dehors de la force régulière de l'administration; il croyait aux armées, mais il ne croyait pas au peuple armé; il appelait cela de la canaille; il ne savait pas qu'en Espagne le moine, c'est le paysan robuste, le démocrate aux bras nerveux; il avait mal étudié cette nation qui passa six siècles à se délivrer des Mores.

Don Joseph-Napoléon marchait sur Burgos, précédé du beau corps d'armée de Bessières, le seul qui fût composé de régiments d'élite, tandis que Murat, troublé par les récentes instructions transmises par le général Savary, tombait gravement malade; le vote de la junte espagnole avec l'élévation de Joseph l'avaient blessé; il était triste de se voir arracher la couronne d'Espagne, une de ses folles prétentions. Murat menait vie de roi au Buen-Retiro et dans les belles résidences de la Casa del Campo; il ne ménageait ni son temps, ni ses plaisirs; chevalier brillant, il se trouvait au milieu d'un peuple au beau sang de Castille et se livrait avec beaucoup d'ostentation aux douceurs de la puissance. L'empereur, depuis longtemps à Bayonne, savait tout, et, sans lui retirer le commandement, il avait confié des pleins pouvoirs au général Savary, chargé de préparer la police et le gouvernement de Madrid au moment où l'on allait recevoir don Joseph-Napoléon. Par ses instructions, le général Savary devait surveiller et rectifier les opérations militaires commandées par Murat, afin d'amener la pacification plus active de l'Espagne; Savary était bien audessous d'une tâche de cette importance; quand il s'agissait d'observer et de faire la police, il y était très-apte; personne n'était plus capable que lui de cette besogne d'examen; mais confier à un général secondaire la direction d'un mouvement politique et militaire tout à la fois, c'était une faute. Napoléon préféra souvent le dévouement aux lumières. Que fit alors le général Savary? Au lieu de se pénétrer du véritable esprit des populations, il remplit Madrid de pamphlets en l'honneur de la majesté impériale; il fit faire des brochures espagnoles contre la dynastie qui tombait 1, et attaqua Fernand que le peuple adorait. On se moqua dans Madrid de ces brochures, on lui répondit par des placards en langue populaire et

1

« Il a paru, disait la Gazette de Madrid, un écrit qui a fait la plus grande sensation dans cette capitale. Il a pour titre : El Dictamen que formara la posterida sobre los asuntos de Espagna; por un Espagnol imparcial; avec cette épigraphe :

« Quando en una monarquia carecen de teson los Xefes, el Estado se resiente

castillane; Joseph-Napoléon y fut mal traité; on lui appliqua plus d'une expression ordurière si fréquente dans les chants des muletiers d'Oviedo et de la Sierra-Morena : « L'Espagne, disait-on, dans un de ces chants populaires, ne pouvait pas reconnaître un roi qui ne savait pas dire carajo 1.

Alors fut récité dans toute la Péninsule le remarquable catéchisme de l'insurrection, écrit dans une forme religieuse et populaire; on entretenait les femmes, les enfants, les vieillards dans les sentiments de cette irritation profonde contre les Français; ces Français étaient pour eux les Mores, les étrangers, les oppresseurs de la patrie 2, les

de tal modo que es inevitable su decadencia. » (Empressas politicas de Saavedra Empr. 28.)

» Jugement sur les affaires d'Espagne, tel que le portera la postérité, par un Espagnol impartial.

>> Lorsque dans une monarchie les chefs manquent d'énergie, l'État s'en ressent tellement que sa décadence est inévitable. »

Voici ces vers, un peu trop licencieux pour être reproduits :

En la plaza hai un cartel,
Que nos dice en castellano,
Que Joseph, rey Italiano,
Urida à Madrid su dosel.
Y à leer ese cartel,
Dice una maja à su majo;
Manolo Ponlo mas abajo,
Que me cago en esa ley,
Que no queremos aqui rey
Que no sabe decir carajo.

J'ai dit que Napoléon ne connaissait pas l'Espagne. Il existe une instruction envoyée, dit-on, par l'empereur à Murat. Je la donne, mais dans ma conviction elle est apocryphe et faite après coup. Napoléon méprisait trop l'insurrection espagnole pour s'exprimer ainsi, et ses actions seraient au moins le contraire de ses paroles.

« M. le grand-duc de Berg, je crains que vous ne me trompiez sur la situation de l'Espagne, et que vous ne vous trompiez vous-même. L'affaire du 20 mars a singuliè rement compliqué les événements.

»Ne croyez pas que vous attaquiez une nation désarmée et que vous n'avez que des troupes à montrer pour soumettre l'Espagne. La révolution du 20 mars prouve qu'il y a de l'énergie chez les Espagnols. Vous avez à faire à un peuple neuf : il aura tout le courage, il aura tout l'enthousiasme que l'on rencontre chez les hommes que n'ont point usé les passions politiques.

>> L'aristocratie et le clergé sont les maîtres de l'Espagne; s'ils craignent pour leurs priviléges et pour leur existence, ils feront contre nous des levées en masse qui pourraient éterniser la guerre ; j'ai des partisans, si je me présente en conquérant, je n'en aurai plus.

» Le prince de la Paix est détesté, parce qu'on l'accuse d'avoir livré l'Espagne à la

hérétiques, les méchants, les antechrist. « Dites-moi, mon enfant, qui êtes-vous?-Espagnol. - Que veut dire Espagnol? - Homme de bien. Combien a-t-il d'obligations à remplir et quelles sontelles? Trois être chrétien, catholique, apostolique et romain;

France; voilà le grief qui a servi à l'usurpation de Ferdinand : le parti populaire est le plus faible.

» Le prince des Asturies n'a aucune des qualités qui sont nécessaires au chef d'une nation; cela n'empêchera pas que, pour nous l'opposer, on n'en fasse un héros. Je ne veux pas qu'on use de violence envers les personnages de cette famille : il n'est jamais utile de se rendre odieux et d'enflammer les haines. L'Espagne a plus de cent mille hommes sous les armes. C'est plus qu'il n'en faut pour soutenir avec avantage une guerre intérieure: divisés sur plusieurs points, ils peuvent servir de soulèvement total à la monarchie entière.

>> Je vous présente l'ensemble des obstacles qui sont inévitables, il en est d'autres que vous sentirez : l'Angleterre ne laissera pas échapper cette occasion de multiplier nos embarras, elle expédie journellement des avis aux forces qu'elle tient sur les côtes du Portugal et dans la Méditerranée; elle fait des enrôlements de Siciliens et de Portugais.

» La famille n'ayant pas quitté l'Espagne pour aller s'établir aux Indes, il n'y a qu'une révolution qui puisse changer l'état de ce pays : c'est peut-être celui de l'Europe qui y est le moins préparé. Les gens qui voient les vices monstrueux de ce gouvernement et l'anarchie qui a pris la place de l'autorité légale font le plus petit nombre, le plus grand nombre profite de ces vices et de cette anarchie.

>> Dans l'intérêt de mon empire, je puis faire beaucoup de bien à l'Espagne. Quels sont les meilleurs moyens à prendre?

>> Irai-je à Madrid? Exercerai-je l'acte d'un grand protectorat en prononçant entre le père et le fils? Il me semble difficile de faire régner Charles IV. Son gouvernement et son favori sont tellement dépopularisés, qu'ils ne se soutiendraient pas trois mois.

>> Ferdinand est l'ennemi de la France, c'est pour cela qu'on l'a fait roi. Le placer sur le trône serait servir les factions qui depuis vingt-cinq ans veulent l'anéantissement de la France. Une alliance de famille serait un bien faible lien : la reine Élisabeth et d'autres princesses françaises ont péri misérablement, lorsqu'on a pu les immoler impunément à d'autres vengeances. Je pense qu'il ne faut rien précipiter, qu'il convient de prendre conseil des événements qui vont suivre. Il faudra fortifier les corps d'armée qui se tiendront sur les frontières du Portugal et attendre.

>> Je n'approuve pas le parti qu'a pris V. A. I. de s'emparer aussi précipitamment de Madrid, il fallait tenir l'armée à dix lieues de la capitale. Vous n'aviez pas l'assurance que le peuple et la magistrature allaient reconnaître Ferdinand sans contestation. Le prince de la Paix doit avoir dans les emplois publics des partisans, il y a d'ailleurs un attachement d'habitude au vieux roi, qui pourrait produire des résultats. Votre entrée à Madrid, en inquiétant les Espagnols, a puissamment servi Ferdinand. J'ai donné ordre à Savary d'aller auprès du vieux roi voir ce qui s'y passe: il se concertera avec V. A. I. J'aviserai ultérieurement au parti qui sera à prendre; en attendant, voici ce que je juge convenable de vous prescrire ;

» Vous ne m'engagerez à une entrevue en Espagne avec Ferdinand que si vous jugez la situation des choses telle que je doive le reconnaître comme roi d'Espagne.

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