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abdiquer ce droit de critique et d'examen qui appartient à l'histoire : je suis trop fier de ma nationalité pour ne pas la conserver pure et libre dans mes rapports même avec les intelligences diplomatiques qui dirigent le sort du monde.

J'arrive à une époque plus rapprochée de nous; je vais là trouver des événements que tous nous avons touchés, et des noms propres qui tiennent encore aux affaires publiques de notre pays. Une haute discrétion est ici commandée ; je n'écris pas un pamphlet, je n'aime pas ces biographies passionnées qui se plaisent à détruire les réputations et les hommes, triste travail de démolition qui semble dominer les générations actuelles. Hélas! dans des temps 'si agités, qui n'a pas commis de fautes? Quel est le nom propre qui peut se poser comme affranchi de toute faiblesse et de toute erreur?

Je vais parcourir le temps de la grande splendeur de l'empire; c'est le dernier et beau reflet de l'histoire de Napoléon. J'éprouve un serrement de cœur indicible quand je touche ainsi l'apogée resplendissante de la destinée d'un homme et d'une œuvre; à côté du progrès la décadence, après les joies le deuil; serait-ce la loi fatale, la malédiction que Dieu a écrite au front de l'humanité ?

Paris, 1er septembre 1840.

CHAPITRE II.

STATISTIQUE ET LÉGISLATION DE L'Empire FRANÇAIS.

Territoire. Départements réunis.- Départements anciens.- Divisions militaires. -Préfectures. Cours d'appel. — Archevêchés et évêchés. — Système administratif. Les communes. Royaume d'Italie. La vice-royauté. - Milan. -Venise. Gouvernements généraux de l'empire dans les provinces réunies.— Fiefs dans la Dalmatie, le Frioul et la haute Italie. — Les Sept-Iles. - Législation générale. Centralisation. Lois politiques et judiciaires.

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1807.

Lorsque la postérité, attentive aux grandes choses, portera ses regards sur l'empire français, après le traité de Tilsitt, elle admirera surtout le vaste ensemble de cette administration publique. Les conquêtes de l'empereur paraîtront moins prodigieuses que la puissante création d'un gouvernement fort s'étendant uniformément sur une masse immense de territoires et de peuples. Jamais autorité ne fut plus respectée et ne s'exerça avec plus d'unité et d'ensemble: le système des départements, conception révolutionnaire d'une grande énergie, fut couronné par la création des préfets sous le consulat ; les divisions militaires et les cours d'appel embrassaient des démarcations plus étendues, et tout désormais dut marcher sous la seule impulsion de l'empereur, la pensée dominante de cette étonnante machine politique.

Le puissant édifice de l'empire, après la pacification européenne, comptait cent dix départements, sans y comprendre les colonies, alors exposées à tous les coups de l'Angleterre. La révolution avait légué à l'empereur, comme un témoignage de ses victoires, les frontières du Rhin, la Belgique et le Piémont; Bonaparte, premier consul, trouva ces conquêtes accomplies, et la flatterie pour le souverain ne doit point effacer les services rendus par les fières armées démocratiques avant le 18 brumaire. Napoléon avait juré, à son sacre, de maintenir dans leur intégralité les territoires qu'il avait reçus des

mains de la république, et il avait alors tenu largement sa parole, car une multitude de départements réunis s'étaient groupés autour de l'ancienne France. A l'extrémité nord, les Deux-Nèthes, enchâs sant une partie de la Hollande, avaient pour frontière Breda et Bergen-op-Zoom; Malines en formait le chef-lieu avec son bel évêché des vieux temps. A ses côtés s'étendait le département de l'Escaut, com

'Je prends ici la statistique qui fut publiée par le ministre de l'intérieur en 1807; plus tard les départements s'agrandirent de toute la Toscane, de Rome, de la Ho!lande et des villes hanséatiques. D'après cette statistique, les anciennes provinces et généralités de la France, les colonies françaises, les divers pays réunis à la France, formaient 122 départements, savoir :

Provence, territoire d'Avignon et comtat Venaissin, quatre : Basses-Alpes,
Bouches-du-Rhône, Var, Vaucluse.

Dauphiné, trois : Hautes-Alpes, Drôme, Isère.
Franche-Comté, trois : Doubs, Jura, Haute-Saône.
Alsace, deux : Haut-Rhin, Bas-Rhin.

Lorraine, Trois-Évêchés et Barrois, quatre: Meurthe, Meuse, Moselle, Vosges.
Champagne, principauté de Sedan, Bouillon, Philippeville, Marienbourg,
Givet et Charlemont, quatre: Ardennes, Aube, Marne, Haute-Marne.

Deux Flandres, Hainaut, Cambrésis, Artois, Boulonais, Calaisis, Ardrésis, deux Nord, Pas-de-Calais.

Ile-de-France, Paris, Soissonnais, Beauvoisis, Amiénois, Vexin français, Gâtinais, six: Aisne, Oise, Seine, Seine-et-Oise, Somme, Seine-et-Marne, Normandie et Perche, cinq Calvados, Eure, Marche, Orne, Seine-Infé

rieure.

Bretagne, cinq: Côtes-du-Nord, Finistère, Ille-et-Vilaine, Loire-Inférieure, Morbihan.

Haut et Bas-Maine, Anjou, Touraine et Saumurois, quatre: Indre-et-Loire, Mayenne, Mayenne-et-Loire, Sarthe.

Poitou et partie des Marches communes, trois : Deux-Sèvres, Vendée, Vienne.

Loiret.

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Orléanais, Blaisois et pays Chartrain, trois: Eure-et-Loir, Loir-et-Cher,

Berry, deux: Indre, Cher.

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Nivernois, un : Nièvre.

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Bourgogne, Auxerrois et Sénonois, Bresse, Bugey et Valmorey, Dombes, quatre Ain, Côte-d'Or, Yonne, Saône-et-Loire.

Lyonnais, Forez et Beaujolais, deux : Loire, Rhône.

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Bourbonnais, un : Allier.

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Marche, Dorat, Haut et Bas-Limousin, trois: Corrèze, Creuze, Haute-Vienne, Angoumois, un : Charente.

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Aunis et Saintonge, un: Charente-Inférieure.

1

Périgord, un: Dordogne.

Bordelais, Bazadais, Agénois, Condomois, Armagnac, Chalosse, pays de Marsan et Landes, quatre : Gironde, Landes, Lot-et-Garonne, Gers.

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Quercy, un: Lot.

posé d'une partie de la Belgique ; Gand, la grande ville des ouvriers, était sa capitale; il avait dans sa dépendance Anvers, avec son arsenal et son port, que l'empereur réservait à de si hautes destinées, et Audenaerde, population manufacturière des Pays-Bas. Le département de la Lys comptait Bruges, aussi antique que Gand dans l'histoire des corporations et des métiers. Bruxelles était le siége de la Dyle comprenant des villes actives, Louvain, Jemmapes, que les chroniques ont célébré. A ses côtés était la Meuse-Inférieure avec Maestricht; le département de la Roer, si remarquable par Aix-laChapelle, la cité de Charlemagne; l'Ourthe, où se voient Liége, vieillie et enfumée, fière de son hôtel de ville et de ses souvenirs des évêques; les eaux de Spa, renommées alors pour les cures merveilleuses, repos chéri des dames de l'empire. Le département de Jemmapes avait pour métropole Mons; Sambre-et-Meuse, de grande mémoire au temps de la république, comptait Namur; Namur sur la Meuse, si retentissante par le siége soutenu sous Louis XIV et célébré par Boileau. Puis venaient le département des Forêts, englobé dans le vieux duché de Luxembourg; Rhin-et-Moselle, avec Coblentz, la plus gaie des villes du Rhin; le Mont - Tonnerre, qui comptait Mayence, Spire, Worms, et les vignobles dorés du Johannisberg.

Tous ces départements étaient au nord ou sur la frontière allemande;

Rouergue, un Aveyron.

Basque et Béarn, un: Basses-Pyrénées.

Bigorre et Quatre-Vallées, un : Hautes-Pyrénées.

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Languedoc, Comminges, Nébouzan et Rivière-Verdun, sept: Ardèche, Aude,
Gard, Haute-Garonne, Hérault, Lozère, Tarn.
Couserans et Foix, un : Ariége.

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Roussillon, un: Pyrénées-Orientales.

Belay, Haute et Basse-Auvergne, trois : Cantal, Haute-Loire, Puy-de-Dôme.
Corse et ile de Capraja, deux : Golo, Liamone.

Savoie, comté de Nice, territoire de Genève, trois: Mont-Blanc, Alpes-
Maritimes, Léman.

Partie du Hainaut et de la Flandre ci-devant autrichienne, Brabant, pays de Liége, neuf Dyle, Escaut, Forêts, Jemmapes, Lys, Meuse-Inférieure, DeuxNèthes, Ourthe, Sambre-et-Meuse.

Rive gauche du Rhin, quatre : Roër, Sarre, Rhin-et-Moselle, Mont-Tonnerre, Piémont et territoire de la ci-devant république ligurienne, huit : Apennins, Doire, Gênes, Marengo, Montenotte, Pô, Sésia, Stura.

Les colonies françaises.

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au midi, l'empire avait acquis des pays non moins remarquables par leur situation et leurs produits, ils formaient comme des frontières fortifiées au cas d'une invasion. Autour du magnifique lac de Genève, au pied des glaciers, se groupaient les départements du Léman, avec son sol fertile, ses coteaux de vignobles et ses vallées de pâturages; à ses côtés le département du Mont-Blanc et Chambéry, Saint-Jean de Maurienne, Moutiers, et la route du Mont-Cenis, tant de fois glorieusement traversée. La Doire embrassait une partie du Piémont; le préfet résidait à Ivrée, où s'étaient faits les préparatifs de Marengo; la Sésia formait les frontières du royaume d'Italie, la préfecture était à Verceil. En s'étendant plus au loin on trouvait le département de la Méditerranée jusqu'à Livourne si commerçante, l'Ombrone se glorifiait de Sienne, sa métropole, remplie des chefs-d'œuvre des arts municipaux de l'Italie, de ses horloges et de ses tours; les Apennins, avec Chiavare, Gênes éclatante de marbres, brillait riche souveraine dans son beau territoire; puis le département de Montenotte avec Savone; la Stura, dont Coni était le chef-lieu; les Alpes-Maritimes; le Pô, qui comptait Turin, capitale régulière et un peu monotone; les départements jetés sur le littoral de la Toscane avec Livourne, pays aux délicieux amphithéâtres, quand le voyageur les aperçoit sur le bateau qui fend les eaux du canal de Piombino.

Ainsi étaient les territoires réunis à l'empire, tous soumis à une commune administration; la vieille France, comme la nouvelle, était placée sous un même niveau. Le consul, puis l'empereur, avait organisé de grandes hiérarchies se formulant chacune dans un ordre d'idées pour le gouvernement de la société : la première embrassait la pensée de guerre, qui dominait toutes les autres dans la tête du chef de l'État; la France fut partagée en vingt-huit divisions militaires, adaptées sous plus d'un rapport, aux anciens gouvernements des provinces. Napoléon s'était aperçu que le système des départements était trop morcelé ; si une époque pacifique avait succédé à ces temps de levées actives d'impôts et de conscrits, peut-être l'empereur eût-il réuni plusieurs départements dans un seul, afin d'obtenir le double résultat de centralisation et d'économie. Les divisions militaires étaient habituellement confiées à des généraux fatigués du service actif, ou quelquefois en disgrâce'; cependant, lorsque les campagnes s'ouvraient, la plupart de ces généraux avides de guerre et de gloire, se précipitant

Les documents du ministère de la guerre portent le nombre des divisions en 1807

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