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sur les expéditions des actes émanés des autorités administratives. Le conseil d'État est un véritable tribunal qui procède en vertu des formes judiciaires; ses avis ont force de loi, et, lorsqu'ils sont approuvés par l'empereur, ils dominent l'esprit et la tendance de la législation.

Le corps législatif, sous la présidence de M. de Fontanes, déploya plus d'activité encore que le conseil d'État et le sénat. L'empereur avait ouvert la session par une de ces harangues qui remuaient les masses, en annonçant les choses accomplies pour la France. Plusieurs projets de lois furent présentés pour établir l'ordre, que l'empereur voulait fortement constituer; M. de Fontanes, dans une élégante et respectueuse réponse, avait remercié le prince des honneurs qu'il faisait au corps législatif en l'associant à ses puissantes méditations; et, après l'exposé brillant et un peu mensonger du ministre de l'intérieur sur la situation de l'empire, le corps législatif commença ses travaux qui embrassèrent une session considérable. Si l'acte émané directement de l'empereur portait le nom de décret, si la volonté du sénat prenait le titre de sénatus-consulte, si les interprétations du conseil d'État s'intitulaient avis, tous les actes du corps législatif avaient le titre de lois; or, cette session s'ouvrit par des dispositions du plus haut intérêt. Durant le gouvernement directorial, la pénurie de l'argent l'avait fait considérer comme marchandise, de sorte que l'intérêt n'avait point de limites fixes; les conventions pouvaient le porter à des taux usuraires; il y eut des stipulations à 20 et 30 pour cent, sous prétexte de favoriser la circulation. Une telle liberté dans les stipulations favorisait l'usure; une loi en fixa donc le taux à 5 pour cent (le vieux denier vingt des anciennes ordonnances), et en matière commerciale à 6 pour cent. Rien ne put être stipulé au delà dans les conventions privées ou publiques; les tribunaux durent poursuivre, comme usure, tout ce qui s'écartait de cette règle générale. En même temps, le système hypothécaire reçut des interprétations et un développement; l'écrit sous seing privé ne put grever la propriété par hypothèque; il n'était pas assez solennel, et il fallait un jugement pour constater le titre; toute inscription dut désormais indiquer l'époque de l'exigibilité. Des lois plus importantes fixèrent les priviléges du trésor sur les biens des comptables; législation à part, code inflexible, qui mettait le trésor au rang des créanciers les plus privilégiés tel était le système adopté par la révolution française; le fisc

était le créancier le plus sacré, on le plaçait au-dessus même des mineurs et des femmes.

Un système général de douanes fut également voté par le corps législatif qui s'associa complétement aux idées prohibitives de l'empereur; puis, dans l'enthousiasme qu'inspirait le souverain; le corps législatif confirma le nom de Napoléon, inscrit en lettres d'or sur le frontispice du code civil, qui était pourtant l'œuvre de la république consulaire. Le code de commerce, discuté dans cette session, adopté avec quelques amendements plus en rapport avec les besoins et les nécessités des transactions mercantiles, dut être promulgué le premier janvier de l'année 1808. Toutes ces dispositions étaient votées au scrutin secret; nulle résistance ne vint du corps législatif, et un de ses actes témoigne hautement du progrès des idées gouvernementales. Il fut décidé « que, lorsque plusieurs arrêts de la cour de cassation, rendus dans un sens différent, forceraient à l'interprétation de la loi, cette explication aurait lieu par le conseil d'État. » On allait droit ainsi à une réaction absolue contre les doctrines de l'assemblée constituante; celle-ci avait appelé le corps législatif à interpréter la loi ; Napoléon ne voulut point subir l'application d'un tel principe; la souveraineté ne pouvait se déplacer : il fut donc dit que l'empereur, en conseil d'État, prononcerait sur le sens d'une disposition législative.

La session fut encore profitable à la régularité du système administratif. Une loi organisa la cour des comptes, institution ancienne, souveraine et gardienne en matière de finances; la cour des comptes, œuvre de l'architrésorier, M. Lebrun, porta cette empreinte de sage retenue qui marquait tous les actes émanés de l'architrésorier. La cour se divisa en trois catégories présidents, maîtres et référendaires; les traitements furent fixés ou répartis selon le travail, et l'inamovibilité donnée, comme pour la magistrature, après cinq ans d'exercice; les agents du trésor durent reconnaître la juridiction de la cour des comptes, dans la vérification de tous les actes qui tenaient à l'administration des finances. Le corps législatif promulgua une loi sur le desséchement des marais; de grandes facilités furent données à la propriété pour rendre à la culture le sol de plusieurs départements presque toujours inondés; le défrichement des landes et des marais était tout à la fois une opération d'hygiène publique et d'agriculture. Un système d'extinction de la mendicité fut adopté par le

corps législatif, à l'imitation des États-Unis et de l'Angleterre; on établit en principe: « que la société doit un asile et du travail à ceux qui souffrent ; » la mendicité est une injure à la civilisation; elle lui offre le spectacle hideux de ses misères; nul ne doit mourir de faim, tous doivent travailler; ce double principe amena le système des dépôts de mendicité, sortes de maisons de travail ouvertes à la truanderie; on porta des dispositions pénales contre ceux qui, méprisant l'asile gratuit que la société leur offre, préféraient le vagabondage et la misère paresseuse.

Ces actes de législation réfléchie furent appuyés par les décrets personnels de l'empereur, dont l'activité donnait une juste impulsion à toutes les pensées d'administration publique; Napoléon, de son palais de Saint-Cloud, promulguait un décret sur l'organisation des théâtres ; chose curieuse à noter, les deux actes qui règlent la

'Le décret sur les théâtres est daté du 8 août 1807.

« Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin.

» Sur le rapport de notre ministre de l'intérieur, notre conseil d'État entendu, nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

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» Article 1er. Aucune représentation à bénéfice ne pourra avoir lieu que sur le théâtre même dont l'administration ou les entrepreneurs auront accordé le bénéfice de ladite représentation. Les acteurs de nos théâtres impériaux ne pourront jamais paraître dans ces représentations que sur le théâtre auquel ils appartiennent.

» Art. 2. Les préfets, sous-préfets et maires sont tenus de ne pas souffrir que, sous aucun prétexte, les acteurs des quatre grands théâtres de la capitale qui auront obtenu un congé pour aller dans les départements, y prolongent leur séjour au delà du temps fixé par leur congé; en cas de contravention, les directeurs des spectacles seront condamnés à verser à la caisse des pauvres le montant de la recette des représentations qui auront eu lieu après l'expiration du congé.

» Art. 3. Aucune nouvelle salle de spectacle ne pourra être construite, aucun déplacement d'une troupe d'une salle dans une autre ne pourra avoir lieu dans notre bonne ville de Paris, sans une autorisation donnée par nous, sur le rapport de notre ministre de l'intérieur.

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Titre Ile. Du nombre des théâtres, et des règles auxquelles ils sont assujettis. Art. 4. Le maximun du nombre des théâtres de notre bonne ville de Paris est fixé à huit. En conséquence, sont seuls autorisés à ouvrir, afficher et représenter, indépendamment des quatre grands théâtres mentionnés dans l'article 1er du règlement de notre ministre de l'intérieur, en date du 25 avril dernier, les entrepreneurs ou administrateurs des quatre théâtres suivants : 1o le théâtre de la Gaieté, établi en 1760; celui de l'Ambigu-Comique, établi en 1772, boulevard du Temple, lesquels joueront concurremment des pièces du même genre désignées aux paragraphes 3 et 4 de l'article 3 du règlement de notre ministre de l'intérieur; 2o le théâtre des Variétés, boulevard Montmartre, établi en 1777, et le théâtre du Vaudeville, établi en 1792

forme et les conditions des spectacles publics furent conçus le lendemain de batailles : le premier après Friedland, le dernier à Moscou. Serait-ce que Napoléon, se posant toujours en scène en face de la postérité aimait à reporter ses idées sur ces représentations du théâtre où il serait un jour traîné lui-même? Peut-être aussi la source de ces idées n'était-elle pas si haute; sculement il voulait constater qu'attentif aux petites et aux grandes choses, au milieu des camps, il pensait même à des comédiens. Voici ce que décida l'empereur : le nombre des théâtres était trop grand à Paris; la libre concurrence ayant créé des abus, il en résultait une sorte de confusion dans les sociétés d'argent qui constituaient les théâtres; des faillites nombreuses compromettaient les fortunes privées; or l'empereur ne s'arrêtait pas devant les considérations de droits acquis, quand ils blessaient sa pensée; il réduisit donc les théâtres comme il avait réduit les journaux, et tout cela par un simple acte de police: le décret n'admit que quatre grands théâtres impériaux : l'Opéra, qui prit pompeusement le titre d'Académie impériale de musique; les Français, alors si retentissants, le théâtre de l'Impératrice, qui passait sous la direction de M. Duval; l'Opéra-Comique, la scène des beaux chanteurs et des musiciens à la mode. Ces grands théâtres recevaient un privilége concédé pour un temps; le décret admettait comme théâtres secondaires la Gaieté et l'Ambigu-Comique, pour y jouer des pièces de genre limité; les Variétés et le Vaudeville se sauvaient également du naufrage par leur antiquité scénique; tous les théâtres nouveaux étaient supprimés sans aucune indemnisation; on ne reconnaissait que les priviléges antérieurs à la révolution française. II

lesquels joueront des pièces du même genre désignées aux paragraphes 3 et 4 de l'article 3 du règlement de notre ministre de l'intérieur.

» Art. 5. Tous les théâtres non autorisés par l'article précédent seront fermés avant le 15 août. En conséquence, on ne pourra représenter aucune pièce sur d'autres théâtres dans notre bonne ville de Paris, que ceux ci-dessus désignés, sous aucun prétexte, ni y admettre le public, même gratuitement, faire aucune affiche, distribuer aucun billet, imprimé ou à la main, sous les peines portées par les lois et règlements de police.

» Art. 6. Le règlement susdaté, fait par notre ministre de l'intérieur, est approuvé, pour être exécuté dans toutes les dispositions auxquelles il n'est pas dérogé par le présent décret.

» Art. 7. Nos ministres de l'intérieur et de la police générale sont chargés de l'exécution du présent décret. » Signé : NAPOLÉON. »

y eut des murmures; les volontés de Napoléon s'étaient manifestées, et il fallut obéir.

Cette période active est féconde en actes de gouvernement. Napoléon organise tout; il a promis de donner au clergé une grande existence, et partout il fonde des bourses dans les séminaires pour l'éducation des prêtres, et dix mille succursales sont établies dans les départements; comme l'ardeur de son esprit ne peut plus s'exercer sur un champ de bataille, il l'applique à la force et à l'éclat de son gouvernement; il veut que la vie soit communiquée sur tous les points de l'empire; les préfets sont les instruments les plus forts, les plus souvent employés, parce qu'ils unissent tout à la fois un caractère civil et militaire; ils exècutent avec intelligence et dévouement; toujours agenouillés devant l'image de Napoléon, ils le représentent partout, ne pensent et ne vivent que par lui; les préfets s'occupent moins du peuple qu'ils ont à gouverner que des instructions qu'ils reçoivent du ministre, organe de l'empereur; ils en étudient les moindres inspirations: ceux qui les exécutent le plus vite et le plus fortement sont récompensés : qu'ils donnent beaucoup de conscrits et d'impôts, et ils ont bien rempli leur devoir. La justice et l'administration publique sont également sous la main du maître; rien n'échappe à sa dictature; il veut régner sur les consciences par l'épiscopat, sur la justice par les tribunaux, sur l'Europe par les armées, sur les intérêts par l'administration.

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