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flotte hollandaise, aux escadres de Brest et de Rochefort, étaient formidables; l'Angleterre ne pouvait souffrir cette réunion: commençant alors un système nouveau de sécurité, elle prenait en dépôt les flottes des nations neutres jusqu'à la conclusion de la paix, sous prétexte que l'ennemi pouvait s'en emparer; principe fatal, sans doute, mais que commandait la sûreté du gouvernement britannique. L'empereur des Français, pour arriver à ses grands et glorieux résultats, n'en appelait-il pas souvent à la violence? L'état de guerre, quand il est poussé à ses dernières extrémités, impose ces nécessités; le salut public est une divinité terrible!

Dans le parlement, l'expédition de Copenhague fut le sujet de vives attaques, cela devait être : l'opposition des whigs invoqua le droit des gens et le privilége des neutres; M. Canning et lord Castlereagh, expliquant par des communications diplomatiques le danger de l'Angleterre, prirent sur eux la responsabilité de ces mesures de violence; ils avouèrent hautement les fermes résolutions des généraux britanniques, l'amiral Gambier, lord Cathcart et sir Arthur Wellesley; ils demandèrent que leur conduite fût approuvée par le parlement avec éclat « Ce qu'ils avaient fait était commandé par le salut de l'Angleterre ; le pavillon était menacé, il fallait le sauver. » — « Mieux valait, s'écria lord Erskine, laisser la flotte aux mains des Français que de donner un tel exemple au monde. » « D'ailleurs, qui vous a dit, ajouta Hutchinson, que les Français avaient un tel dessein? Pensez à la triste impression que cet événement produira sur l'empereur Alexandre! » M. Canning justifia hautement l'expédition contre Copenhague par le grand principe de la sûreté de l'Angleterre. Alors le comte de Galloway se leva dans la chambre des lords pour proposer l'adresse Milords, dit-il, écoutez les faits: bientôt après que le traité de Tilsitt eut fait connaître que la Russie abandonnait la cause qu'elle avait défendue, les ministres de S. M. furent informés d'une manière positive de l'intention où étaient nos ennemis d'obliger les cours de Copenhague et de Lisbonne à renforcer de leurs vaisseaux la coalition qui devait être formée contre nous. Les ministres s'occupèrent sans retard, et avec une activité qui leur fait honneur, des moyens de s'opposer à l'exécution de ce projet. Vos seigneuries savent qu'à l'égard du Danemarck, on s'est trouvé dans le cas de recourir à la force des armes; les sentiments hostiles, manifestés à plusieurs reprises par la cour de Copenhague, rendaient inutile toute autre

manière de procéder. J'avoue que la position des vaisseaux danois au centre de la capitale devait causer des malheurs dont l'humanité gémissait d'avance; mais il est glorieux pour nos officiers et pour nos soldats d'avoir fait tout ce qui leur était possible pour les adoucir. Le résultat de cette expédition vous a mis à portée, milords, d'en apprécier l'importance et de reconnaître la vérité des prédictions faites par le gouvernement. Des matériaux d'équipement dont l'arsenal danois était encombré, des munitions navales achetées par des agents français, une flotte que l'on allait équiper et mettre en état de sortir, sont aujourd'hui dans nos ports et garantissent l'indépendance de la Grande-Bretagne 1. Je conclus que le devoir indispensable de S. M.

Voici, d'après un document authentique, les navires et canons pris par l'Angle

terre:

Vingt vaisseaux de ligne :

Le Christian VII, le Waldemar et le Neptune, de quatre-vingts canons; la Norwége, de soixante-huit; le Danemarck, de soixante et quatorze; le Prince-Royal et le Prince-Héréditaire, de soixante et quatorze; la Princesse-Royale-Marie, la Justice, le Trekoner, le Skold, Odin, Princesse-Sophie-Frédérique et la Fionie, tous de soixante et quatorze; le Prince-Christian-Frédéric et la Princesse-Caroline, de soixante; Seiren, la Princesse-Louise-Auguste et le Dithmarschen, chacun de soixante-quatre, et le Mars, de soixante et quatorze.

Seize frégates (les frégates avaient, outre leurs eanons, des obus et des caronades): La Perle, de trente-huit; la Rola, de trente-quatre; l'Iris, de quarante-deux; Freja et Harsfruen, de quarante; la Naïade, de trente-six; Frederickswaern, de trente; le Triton, de vingt-huit; la Vénus, de trente-huit; Fredericksteen, de vingtquatre; le Petit-Bell, Fylla et la Diane, de vingt; l'Elbe, l'Eider et Glücksstadt, de douze.

Neuf bricks:

Le Facteur, Fasna et Fehmern, de quatorze canons; Sarpen et Niedelven, de dixhuit; Glommen, Longen, le Dauphin et le Poisson volant, de vingt.

Un schooner : Oernen, de dix canons.

Dix-huit chaloupes du roi :

Sawnen, Segeskyew et Rogebuen, de dix canons; Makrelen, de huit; Maagen, de dix; Vildanden, de huit; Egeliykke, de six; les Deux-Frères, Odderen, Snegler, Stavner, le Jeune-Jacob, le Jeune-Jean, Dvik, Henri, Speculazemer, Andreas et Aalborg Vare, tous de six canons.

Douze barques canonnières :

Odensée, Christiansand, Nykiobing, Langesund, Naskow, Arendal, Viborg, Aalborg, Stege et Fleusbourg, de dix canons; Stavurn et Vardohuns, de six.

Six chaloupes canonnières :

Elseneur, Roskilde, Corsær, Præsto, Verdinborg et Frederiksund, de six canons. Huit chaloupes de pilote :

Terner, Allart, Gremstadt, Telegrafen, Laurriger, Hoger et Veddeloberen, de six canons; Svalier, de deux.

était d'empêcher que les vaisseaux portugais et danois ne tombassent au pouvoir de nos ennemis. >>

L'adresse votée à une majorité immense, les mêmes principes furent exposés dans un manifeste adressé aux cours du continent par le cabinet de Londres: les journaux français avaient excité l'indignation du monde contre l'expédition de Copenhague, car Napoléon s'aperçut que le coup portait ferme et empêchait ses desseins; il avait donc proclamé la fatale violation des neutres par l'Angleterre, qu'il accusait aux yeux de l'Europe. Le cabinet Canning et Castlereagh dut ainsi se justifier, en invoquant le droit de défense, le plus sacré de tous. « Si le Danemarck était neutre, il avait perdu ce privilége du jour où il voulait servir d'appui à la marine française; Napoléon était maître à Copenhague, tout se faisait en Danemarck par sa volonté; l'Angleterre n'ignorait pas les conventions secrètes de Tilsitt cette flotte, que l'on voulait protéger avec le grand mot de neutralité, n'était, à vrai dire, qu'un auxiliaire de la France; il était convenu qu'elle serait mise à la disposition du chef de ce gouvernement, et c'est pourquoi la vigilance de la Grande-Bretagne s'était réveillée pour frapper un coup décisif, autorisé par un droit de juste défense. Au reste, la flotte n'était qu'en dépôt; on la resti tuerait lorsque le Danemarck, proclamant son indépendance réelle, rentrerait dans le droit commun.

M. Canning mit un soin infini à justifier son cabinet: «S. M., disait-il, doit à l'Europe d'exposer franchement les motifs qui lui ont prescrit ses dernières opérations dans la Baltique. S. M. avait différé

Telle fut la flotte amenée par l'expédition anglaise, ou bien coulée à bas par un feu de dix jours. Copenhague était défendue par des ouvrages avancés.

La batterie flottante no 1 avait vingt-quatre canons: la frégate qui ne pouvait pas couler, Hielperer, avait seize canons; la frégate de défense, Saint-Thomas, vingtdeux canons.

On peut encore ajouter aux forces de la marine la batterie Sextus de quarante-deus canons de trente-six et deux mortiers de cent cinquante; la batterie Trekroner de neuf canons de trente-six et cinquante-neuf de vingt-quatre, et trois mortiers de cent cinquante; la batterie Provestenen, assise sur trois vaisseaux rasés, de 39 canons de 24.

Le total des canons de défense s'élevait donc à deux mille cent quatre-vingt-trois, les caronades à deux cent deux, les obus à deux cent vingt-deux. Les trois fortes batteries avaient 199 canons de gros calibre et 5 mortiers. Le nombre des vaisseaux de guerre, tant grands que petits, qu'on pouvait mettre en mer, était de quatre-vingttrois, outre ceux qui n'étaient pas encore montés, et encore sur le chantier.

de faire cet exposé, parce qu'elle avait l'espérance de conclure avec la cour de Danemarck des arrangements plus désirables; arrangements pour lesquels S. M. était disposée à faire de grands sacrifices et qu'elle n'a jamais perdus de vue, même depuis le commencement des hostilités. Le roi, profondément affligé d'avoir vu s'évanouir l'espoir qu'il avait conçu, trouve cependant des motifs de consolation dans la pensée que tout a été fait, de son côté, pour obtenir d'autres résul tats. Et tandis que S. M. déplore la cruelle nécessité qui l'a forcée de recourir à des actes d'hostilité contre une nation avec laquelle il était vivement à désirer d'établir des relations d'intérêt commun et d'alliance, S. M. est persuadée qu'aux yeux de l'Europe et du monde, sa conduite sera justifiée par le devoir impérieux et indispensable de pourvoir à temps à la sûreté de son peuple. S. M. avait été informée de la manière la plus positive de la résolution où était le chef actuel de la France d'occuper avec une force militaire le territoire du Holstein, à l'effet de fermer à la Grande-Bretagne les canaux ordinaires de ses communications avec le continent; d'engager ou de forcer la cour de Danemarck à fermer également le passage du Sund au commerce et à la navigation de l'Angleterre, et de s'assurer ainsi de la marine danoise pour opérer des débarquements sur le territoire britannique. Persuadée de l'authenticité des sources dans lesquelles cette nouvelle avait été puisée, S. M. la voyait confirmer de plus en plus par les déclarations notoires et réitérées de l'ennemi, par l'occupation récente des villes et territoires des autres États neutres, ainsi que par les préparatifs faits pour rassembler des forces hostiles sur les frontières du territoire continental de S. M. danoise. Le roi, malgré la certitude de ses informations, se serait abstenu volontiers d'agir en conséquence jusqu'à ce que le projet de l'ennemi, découvert aux yeux du monde entier, rendit universellement manifeste la nécessité indispensable de prendre les armes. S. M. n'y a point eu recours aussi longtemps que l'imminence des dangers a pu être révoquée en doute, et que l'on a conservé l'espoir que le Danemarck aurait les moyens ou la volonté de résister. Après, on a dû agir. »

Ce manifeste, œuvre de M. Canning, était surtout destiné à éclairer l'opinion publique en Europe sur les desseins de la Grande-Bretagne. Il se faisait en ce moment parmi les cabinets une révolution remar◄ quable que les hommes d'État suivaient avec une sollicitude attentive; toute l'Europe marchait contre Napoléon en 1805, lors de la campagne

d'Austerlitz, et, par un de ces coups de fortune que le génie savait préparer, ces mêmes cabinets semblaient s'unir à Napoléon pour assurer le triomphe de ses projets. Toutefois on se fût trompé sur l'esprit et la tendance réelle de ce mouvement, si l'on n'avait aperçu que les cabinets subissaient par répugnance plutôt que par dévouement volontaire les idées napoléoniennes sur le monde. En Russie, après le traité de Tilsitt, l'empereur Alexandre revit Saint-Pétersbourg, conservant dans son âme enthousiaste un sentiment d'admiration pour cet homme prodigieux caressé par la destinée, auquel il avait pressé la main sur le Niémen. Mais le czar était le seul peut-être de sa famille qui éprouvât cet entraînement pour le chef de la nation française; toute la cour, et particulièrement les impératrices, gardèrent une indicible répugnance pour ces parvenus de la gloire, ces héroïques enfants qu'une révolution immense avait créés sur le continent; ces sentiments, on les dissimulait à peine, et lorsque le général Savary fut envoyé en mission auprès d'Alexandre comme ambassadeur extraor dinaire, il put s'apercevoir de cet esprit qui dominait dans les sociétés élégantes de Saint-Pétersbourg et de Moscou 1.

Napoléon avait recommandé à son aide de camp de caresser toutes les fibres les plus sensibles de l'orgueil russe, de donner une juste et grande opinion de la France et de son empereur. « Étudiez bien, lui avait dit Napoléon, l'esprit de ce peuple, et montrez la nécessité d'une alliance intime entre la France et la Russie, contre l'ennemi commun, l'Angleterre. » Le système continental fut l'objet d'une instruction secrète que Napoléon donna au général Savary; il voulut en faire connaître la portée commerciale: le nouvel ambassadeur avait plus de formes que d'étendue dans l'esprit; quel que fût son dévouement aveugle pour l'empereur et les illusions qu'il pouvait se faire, il s'aperçut, dès le premier moment, combien la vieille Russie échappait à tout système d'alliance permanente avec Napoléon, le dictateur de la révolution française 2; la légation fut comblée de politesses et de

'Note du général Savary.

2 L'empereur ne dissimulait pas l'existence d'un parti anglais en Russie:

« Il reste encore à la cour de Russie un petit parti anglais, parmi lequel on remarque la famille des Strogonoff, M. Czartorisky et M. de Novosilzoff. Les principaux chefs du parti français sont le prince de Kourakin, et les comtes de Romanzof et de Tolstoy. On sait aussi que les Nariskin ont un penchant décidé pour la France. >> Le général Savary écrivait de Saint-Pétersbourg, 6 septembre 1807 :

« M. le comte de Romanzoff, ministre du commerce, n'a point accepté le poste

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