Page images
PDF
EPUB

des confessions, qu'il faut renvoyer à d'autres heures. Quand le prêtre est près de monter à l'autel, on lit une courte méthode pour assister dignement au saint sacrifice; on chante ensuite des hymnes et des cantiques jusqu'aux temps de la communion, où l'on récite à voix haute les actes qui doivent la précéder et la suivre ; après quoi vient la prédication, qui ne manque jamais ces jours-là, et qui se fait à la porte de l'église, afin qu'elle soit entendue de ceux qui n'ont pu trouver place en dedans. Ainsi, avant qu'on se retire, il est toujours deux à trois heures après midi, et tout n'est pas fini. Il faut ensuite terminer ou plutôt prévenir les querelles, accorder les dif férens, consoler les affligés, soulager les infirmes et les nécessiteux, examiner les empêchemens de mariage, répondre aux doutes ou aux scrupules de ce bon peuple, à qui la seule ombre du péché fait peur.

C'est un tout autre travail aux grandes fêtes. Il en est pour lesquelles il faut se préparer huit jours d'avance, sans quoi l'on ne pourrait contenter qu'une très-petite partie de ceux qui veulent faire leurs dévotions. Quelque éloignés que ces fervens néophytes soient de leurs églises, ils abandonnent tout pour s'y rendre ces jours-là; ils laissent à leurs voisins la garde de leur maison, et partent avec toute leur famille. Il y en a qui demeurent les huit jours entiers, et quelquefois davantage. Ils ne se retirent jamais, qu'ils ne soient au bout de leurs petites provisions. Les plus aisés fournissent aux besoins des pauvres : il y a des endroits où on les nourrit à frais communs. Chaque jour on fait sur le mystère du jour un sermon, qui est suivi de prières et de différens exercices de piété. On chante des cantiques, on fait de saintes lectures, on dispose les catéchumènes au baptême. Les confessions sont en si grand nombre , que missionnaires, après y avoir donné tout le jour et une bonne partie de la nuit, ont souvent peine à s'en réserver une heure où, dans l'accablement de la fatigue et du sommeil, ils puissent réciter leur bréviaire. Lorsqu'ils se rencontrent deux ou trois en

les

semble, ils célèbrent solennellement le saint sacri fice. Il n'est pas possible d'exprimer quelle est la joie et la dévotion qu'ont alors ces bons peuples. Les gentils même y accourent en foule; ils y marquent le même respect que les fidèles. La majesté de nos cérémonies les ravit d'admiration, et l'on ne célèbre aucune fête avec cet appareil, qu'elle ne soit suivie de la conversion de plusieurs idolâtres. C'est aussi dans ces jours de solennité que s'administre le baptê me, au moins principalement; car il est peu de jours où il ne s'en fasse quelques-uns: mais dans ces grandes fêtes, il y a d'ordinaire à Aour deux ou trois cents catéchumènes qui le reçoivent avec la plus grande solennité (1). Dans le Marava, le nombre en a monté jusqu'à cinq cents dans un jour, et quelquefois davantage.

Le vénérable père Jean de Britto, portugais de nation, fils d'un vice-roi du Bresil, et moins distingué par sa naissance que par ses travaux et ses vertus apostoliques, fut l'un des plus célèbres missionnaires du Maduré, auquel il se consacra de préférence, comme à la partie la plus laborieuse de la vigne du Seigneur (2). Toute la suite de sa vie répondit à ces prémices, et fut enfin couronnée de la palme du martyre. Benoît XIV a ordonné expressément qu'on travaillât à sa canonisation; ce qui peut suffire, sans autre apologie, pour faire apprécier le libelle scandaleux qu'on avait répandu à dessein de l'empêcher. Toutes les vertus qui font les saints et les apôtres, brillèrent sans interruption dans la vie de cet illustre missionnaire; un courage invincible, une patience victorieuse de tous les obstacles, une sévérité pour lui-même, qui lui faisait ajouter les macérations de toute espèce à la dureté d'une mission où la nature est déjà sacrifiée tout entière; une charité pour Dieu et pour le prochain, une soif du salut des ames, qui lui fit affronter la mort presque tous les jours de sa vie, et ne fut satisfaite que par

(1) Lettr. Edif. du P. Bouchet, t. xix, p. 60. (2) Vie du P. de Britto.

l'entière effusion de son sang, qu'il regarda comme sa plus précieuse récompense.

Avec ces vertus et des talens tout divins, l'esprit de conseil, un discernement exquis, l'onction de la parole, et tout l'ascendant de la persuasion, il n'est pas étonnant qu'il ait converti plus de vingt mille idolâtres dans la mission de Maduré proprement dite; et dans le Marava, compris d'ordinaire sous le même nom, aussi-bien que les royaumes de Tanjaour, de Gingi et de Maissour, il donna le baptême à huit mille catéchumènes dans l'espace de quinze mois. Le détail de ses autres succès serait infini, sur-tout à l'égard de la mission de Maissour dont il fut le créateur, qui fut dans toute son intégrité son œuvre propre, et qui fit constamment ses plus chères délices: il n'y recueillit pas moins de croix que de fruits, et c'est par là qu'elle lui devint la plus chère.

Il y fut arrêté une première fois plusieurs années avant sa mort, et enchaîné dans un cachot à une grosse poutre. On le battit à plusieurs reprises de verges et de chaînes de fer; on lui fit subir le tourment de l'eau, c'est-à-dire, qu'attaché au bout d'une corde, on le précipita plusieurs fois de suite au fond d'un étang, où on le retenait chaque fois jusqu'à l'instant où il aurait été suffoqué. Sa constance, on le croira sans peine de sa mâle vertu, fut inébranlable, quoiqu'on le tentât sans cesse par les promesses les plus séduisantes et par la menace du dernier supplice, à quoi il ne répondait que par ces mots: Hé quand done aurai-je le bonheur de m'immoler entièrement pour mon Dieu? Mais ce qu'il y a d'incroyable, et qui n'est pas moins constant, c'est que six néophytes quil' accompagnaient, et partageaient ses tourmens par une force contre nature dans le caractère mou de l'Inde, marquèrent un courage si extraordinaire, que leurs compatriotes idolâtres ne cessaient de crier, dans les transports de leur admiration, que des hommes si généreusement attachés à leur religion ne méritaient pas la mort. En effet, le tyran céda aux cris de la multitude, et ces confesseurs furent mis en liberté aux

[ocr errors]

acclamations générales; il n'y eut d'affligés que ceux qu'on dérobait à la mort.

Quelques années après, un prince, nommé Teriadeven, héritier légitime des anciens souverains de Marava, et par une de ces révolutions qui sont si communes dans l'Inde, Teriadeven réduit au gouvernement d'une province de ce royaume, fit inviter avec instance le père de Britto à le venir trouver. Ce prince venait d'être guéri subitement d'une maladie mortelle par le moyen d'un catéchiste qui avait récité un évangile sur lui, et il voulait entendre le prédicateur d'une religion si merveilleuse. L'homme apostolique sentit toute l'importance d'une pareille entrevue, et se rendit aux empressemens du prince. Il célébra sous ses yeux la fête de l'Epiphanie dans une assemblée nombreuse de fidèles accourus de tous ces cantons, et il conféra le baptême à deux cents catéchumènes. Le prince frappé de la majesté des cérémonies, des exhortations touchantes du pasteur, et de la dévotion des néophytes, demanda sur le champ à être de leur nombre. Mais Teriadeven avait cinq femmes, sans compter les concubines. Vous ignorez, prince, lui dit le missionnaire, quelle est la pureté de vie que demande la sainteté du christianisme. Il est ordonné aux chrétiens de n'avoir qu'une femme, et vous en avez un grand nombre. Est-ce là tout ce qui vous arrête, reprit le prince? L'obstacle sera bientôt levé. Il fait à l'instant venir toutes ses femmes, en choisit une pour unique épouse, déclare aux autres qu'il doit la vie au Dieu des chrétiens; qu'en reconnaissance, il lui a consacré le reste de ses jours, veut obéir à toutes ses lois, et n'avoir plus qu'une seule femme; qu'au reste, il aura le plus grand soin d'elles toutes, et qu'il les traitera comme ses propres sœurs. Après un sacrifice de cette nature, il n'y avait plus à douter de ses dispositions pour le baptême, qu'il reçut en effet dès qu'il fut suffisamment instruit. Il l'honora constamment par les œuvres dignes d'un chrétien, et par une magnanimité à confesser la foi, digne de la manière dont il l'avait embrassée. Mais la plus jeune de

ses femmes, et la plus piquée du divorce, après avoir inutilement épuisé, pour le fléchir, ses larmes et ses artifices, ne garda plus de mesure contre l'homme apostolique à qui elle attribuait sa répudiation. Elle était nièce de l'usurpateur qui occupait le trône de Marava, et lui communiqua toute sa fureur contre le saint missionnaire, qu'elle lui représenta comme le plus détestable magicien qui pût infecter l'orient. Il fut arrêté avec un brame converti, nommé Jean, le catéchiste Moutapen, et deux jeunes chrétiens, dont le plus âgé n'avait pas quatorze ans. Loin de prendre la fuite à la vue des brutalités qu'on exerçait sur le pasteur, ces héroïques enfans coururent embrasser le saint dans les chaînes, et il fut impossible de les en séparer. Les satellites voyant toutes leurs menaces et leurs coups inutiles, garrottèrent enfin ces victimes innocentes, et les associèrent ainsi au martyre de leur maître.

Nous passerons sous silence la longue suite des outrages et des barbaries qui préludèrent au coup de la mort, et qui furent incomparablement plus difficiles à supporter; mais on ne doit pas laisser ignorer le zèle généreux que fit éclater à cette occasion le prince Teriadeven. Dès qu'il eut appris le traitement cruel du père de Britto, il se rendit à la cour, afin de lui sauver la vie. Le prince régnant ne se montra pas seulement inexorable; mais irrité contre l'illustre solliciteur, il lui reprocha qu'il soutenait la secte abominable d'un infame étranger, et lui ordonna d'adorer sur le champ quelques idoles qui se trouvaient là. A Dieu ne plaise, répliqua Teriadeven, que je me rende coupable d'une impiété et d'une ingratitude si monstrueuse! Non, je ne trahirai jamais, pour de vaines idoles, le Dieu qui m'a tiré des portes de la mort. Le tyran frémit de fureur: mais il n'était pas sûr pour lui d'attenter à la personne de Teriadeven; c'était à lui qu'appartenait véritablement la couronne, et bien des seigneurs, ainsi que la meilleure partie du peuple, lui étaient extrêmement attachés.

L'usurpateur tourna tout son ressentiment contre

le

« PreviousContinue »