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eette église, à un homme qui s'est cru plus éclairé qu'elle, qui s'est montré jusqu'à la mort plus attaché à son propre sens qu'aux constitutions des papes, aux décisions du chef et des membres du corps apostolique, à l'enseignement de toutes les églises.

Il est assez inutile de parler des ouvrages qu'a composés ce docteur au nombre de cent trente-cinq, grands ou petits, presque tous anonymes, et presque tous condamnés. Malheureuse fécondité, malgré les talens qu'ils marquent en tout genre, puisqu'ils ne tendent qu'à favoriser le jansénisme! Temps au moins perdu, si la secte est conséquente, puisqu'ils ne militeraient que pour un fantôme!

Le père Quesnel succéda au docteur Arnaud dans la papauté jansénienne. Et qu'on n'imagine pas que ce titre soit une invention de ses adversaires; c'était le nom que donnaient réellement au grand Arnaud, au moins les directeurs des monastères de Port-Royal, comme on peut le voir dans le relevé des raisons alléguées par les religieuses de ces communautés, pour se défendre de signer le formulaire. Par modestie sans doute, il se restreignit au nom de père abbé qu'on lui donnait communément dans le parti, et par respect pour sa mémoire, son successeur s'en tint au nom de père prieur qu'il avait déjà lorsqu'il n'était qu'en second.

Mais cessons de peiner les ames pienses et catholiques, par le récit continu de tant de scandales; au moins donnons-leur quelque relâche, et tâchons de leur faire trouver quelque sujet d'édification jusque dans les égaremens de l'esprit humain. C'est l'opiniâtreté, et non pas précisément l'erreur, qui fait les hérésies. Rien donc de plus propre à lever, ou du moins à diminuer le scandale de l'opiniâtreté jansénienne, que la docilité des ames droites, dont la mysticité, ou l'imagination trop vive, reproduisit alors une sorte de quiétisme."

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LIVRE QUATRE-VINGT-DEUXIÈME.

Depuis le renouvellement du Quiétisme en 1694, jusqu'au pontificat de Clément XI en 1700.

LA révolte contre les décisions de l'église scandalisait depuis trop long-temps, pour que la Providence ne suspendît pas le torrent de la séduction, ou du moins ne confondît pas les séducteurs et les rebelles par quelque exemple frappant et respectable d'une conduite opposée à la leur. Les nouveaux disciples de Molinos, qui, sans l'avouer pour maître, s'élevèrent en France sur la fin du siècle dernier, se trouvaient, par rapport à la note d'hérésie, dans les mêmes circonstances que ceux de Jansénius. Les deux sectes avaient été pareillement condamnées par le pape et les évêques; et s'il y avait quelque différence, c'est que la condamnation du prélat flamand s'était faite avec beaucoup plus de solennité que celle du docteur aragonais; qu'elle avait été réitérée réaggravée, confirmée en toutes les manières. Voyons à présent quelle fut la conduite de leurs partisans respectifs, sans toutefois revenir sur le chapitre fastidieux du parti, qui n'est que trop connu.

Les premiers vestiges du quiétisme français furent découverts dans un livre du père la Combe, barna

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bite, intitulé Analyse de l'oraison mentale, où l'on ne put méconnaître le caractère du molinisme, quoique l'auteur n'y allât point jusqu'aux abominations de Molinos. Ce mystique outré eut une élève qui passa bientôt son maître, qui de sa fille en Dieu, devint en peu de temps sa mère et son oracle. C'était, s'il est besoin de la nommer, la fameuse dame Guyon, qui fit des livres à son tour, donna le Moyen court et très-facile de faire oraison, et l'Explication du Cantique des cantiques. Les ouvrages du directeur et de la pénitente, dès qu'ils eurent vu le grand jour, furent condamnés par l'archevêque de Paris, tant pour le ridicule qu'ils donnaient à la piété, en rendant la contemplation commune aux enfans même de quatre ans, que pour l'atteinte qu'ils portaient à des vérités essentielles de la religion, et à l'intégrité des mœurs dont elles sont la base. Ces contemplatifs abusés se prétendaient affranchis de toute pénitence extérieure, de tout exercice de piété, de toutes les règles, de tous les moyens même les plus capables de contribuer au salut.

Quels que soient ces écarts, c'est peu de chose en comparaison de ce que renfermaient les manuscrits de la nouvelle illuminée, et sur-tout celui qui est intitulé les Torrens. Elle y enseigne que la clef de tout l'intérieur est l'abandon parfait, qui ne réserve rien, ni mort, ni vie, ni perfection, ni salut, ni paradis, ni enfer; que l'ame vaut si peu, que ce n'est pas la peine qu'elle s'inquiète si elle se perdra ou ne se perdra point; que Dieu ôte quelquefois à l'ame parfaite toute grâce, tout don, toute vertu, et pour toujours, en sorte qu'elle devient un objet d'horreur pour tout le monde; que la fidélité de cette ame consiste pour lors à se laisser écraser et pourrir, sans chercher à éviter la corruption; que dès qu'elle commence ainsi à ne plus sentir son infeetion, et à y demeurer contente, sans espérance ni pouvoir d'en jamais sortir, dès là aussi commence l'anéantissement, en quoi consiste la vraie perfection; qu'au lieu d'avoir encore horreur de sa misère extrême, et de craindre, comme autrefois, de la

porter à la sainte communion, elle y va comme à une table ordinaire; qu'elle n'a point de peine qu'elle est même ravie que Dieu ne la regarde plus, et qu'il donne toutes ses grâces à d'autres; en un mot, qu'elle est tellement perdue en Dieu, qu'il n'y a plus en elle ni remords, ni conscience. Ce n'est là qu'une petite partie de ce qui est contenu dans le livre des Torrens, dont un extrait plus long ne serait pas supportable. Voilà néanmoins l'état visible d'une ame abandonnée de Dieu, livrée au désordre, absolument endurcie dans le crime, et voilà ce qu'on donnait pour l'état le plus sublime où la grâce pût élever une ame. Les autres manuscrits de madame Guyon sont au moins remplis d'extravagances.

et

Quant à l'Explication de l'Apocalypse, écueil fameux par tant de naufrages, dont elle ne fut point effrayée, son moindre égarement, c'est d'y faire la prophétesse. Elle y conte des visions de telle nature, qu'on ne pourrait les rapporter sans salir l'imagination. Cependant elle proteste, sans que sa conduite l'ait jamais démentie, qu'il ne lui restait après cela que des pensées aussi pures que le ciel qui les lui inspirait. A l'exemple de sainte Thérèse, à qui son directeur la comparait, elle écrivit encore par obéissance l'histoire de sa propre vie : là, nouvelles révélations et nouvelles impiétés, ou plutôt nouvelles extravagances. Elle voyait clair dans le fond des ames; elle avait sur elles, aussi-bien que sur les corps, une autorité miraculeuse. Ce que je lierai, disait-elle, sera lié, et ce que je délierai sera délié je suis cette pierre fichée par la croix sainte, et rejetée par les architectes. Elle était parvenue à un tel point de perfection, qu'elle ne pouvait plus prier les saints, pas même la sainte Vierge. Elle était si remplie de grâces pour elle et pour les autres, qu'elle courait à tout moment un danger prochain d'étouffer. Il fallait promptement la délacer, et si on ne l'eût fait un jour, elle en serait morte sur le champ. Cependant le remède le plus efficace était de s'asseoir en silence à ses côtés. Alors du réservoir divin de son cœur, il se faisait un dé

gorgement qui la dégageait avec suavité; et ses acolytes, enfans de sagesse, recevaient de leur mère la mesure d'aliment qui convenait à chacun d'eux.

Ce qu'il y a de plus étrange, ce qui doit paraître dans l'ordre moral un phénomène égal aux plus grands prodiges de l'ordre physique, c'est que cette femme inconcevable, malgré des écrits dictés en apparence par un libertinage outré, n'a jamais donné le moindre sujet de soupçonner ses moeurs; c'est que par un prodige encore moins concevable, et non moins incontestable, elle ait concu et mis au jour tant d'extravagances, douée d'autant d'esprit que jamais femme en ait montré. Tous ceux qui l'ont connue assurent qu'il est difficile d'en avoir davantage, et que personne ne parlait mieux des choses de piété. Un trait unique, savoir, la haute estime où elle fut auprès de l'un des plus beaux génies du plus beau de nos siècles, forme ici une preuve qui n'en laisse point d'autres à désirer. Aussi gens de bien qu'éclairés, ceux qui la préconisaient, et qui ne revinrent de leurs préventions qu'avec beaucoup de peine, la mettaient au nombre de ces mystiques vraiment habiles, mais incapables d'instruire les autres, et qui ont plus péché dans les termes que dans les sentimens. En effet, tout le monde se convainquit, avec le temps, qu'elle était trompée la première, et qu'elle n'avait jamais songé à tromper

personne.

Quel que fût le mérite de ceux à qui les charmes de son esprit imposaient, elle ne laissait pas d'être suspecte à des personnages d'une grande célébrité (1). Le bruit de ces soupçons lui étant parvenu, elle communiqua sa peine à l'abbé de Fénélon, en qui elle avait une confiance particulière. Ce n'était pas la seule personne d'un rang et d'un mérite distingué, avec qui elle eût des rapports intéressans, elle inspira le même intérêt aux personnes les plus illustres de son temps, et jouit d'une vraie considé

(1) Mém. hist. et dogm. t. iv, p. 25 et suiv.

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