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et qui en avaient induit plusieurs à se relâcher des bonnes dispositions qu'ils marquaient auparavant. Ils allèrent en foule chercher la liberté de professer l'erreur dans la principauté d'Orange, qui, par un article du traité, avait été rendue au roi Guillaume d'Angleterre charmé de les recevoir dans ce petit état presque dépeuplé : mais le roi très-chrétien leur fit défense, sous peine de la vie, de s'y aller établir avec ordre, sous la même peine, à ceux qui s'y étaient déjà retirés, de revenir chez eux dans le terme de six mois.

Attentif à tout ce qui regardait le maintien, l'avancement et la dignité de la religion, Louis avait donné deux ans auparavant l'édit à jamais mémorable de 1695, sur les remontrances du clergé, portant que les ordonnances de nos rois, au sujet de la juridiction ecclésiastique, n'étaient pas également observées dans toutes les cours de justice, et que depuis leur publication il était encore survenu bien des difficultés insolubles. Le monarque donna au mois d'Avril de cette année, en cinquante acticles, une déclaration capable de rétablir à jamais le calme et l'harmonie entre les deux juridictions, si la jalousie en pareille matière pouvait connaître des bornes. Elle s'étend à la résidence et à la visite épiscopale, aux monitoires et aux décrets ecclésiastiques de toute espèce, à la publication des actes juridiques, aux appels comme d'abus, aux procédures criminelles, aux cas privilégiés, à l'exécution des sentences, aux prérogatives de la hiérarchie et à la conservation de ses biens, à l'administration des hôpitaux, aux comptes des fabriques, aux revenus des bénéfices incompatibles, à l'honoraire des ministres sacrés, aux prières publiques, aux prédications et aux confessions quant à l'ordre extérieur, et de même à la doctrine, aux officiaux, aux théologaux, aux curés et aux vicaires, à l'érection des cures, aux écoles des paroisses, aux décimateurs, aux religieux, aux religieuses, et à tout ce qui intéresse la discipline régulière. En un mot, il ne tint pas à la sage prévoyance du monarque, que la concorde et l'harmonie entre les deux juri

dictions ne fussent rétablies dans toute leur étendue: Si les passions humaines continuèrent encore à les troubler, au moins les troubles et les abus diminuèrent-ils considérablement.

Pendant que le monarque s'occupait ainsi de tout ce qui intéressait l'ordre ecclésiastique et civil de ses états, cinq prélats des plus distingués du royaume, messieurs de Paris, de Rheims, de Meaux, d'Arras et d'Amiens, portant leur sollicitude, jusqu'au centre de la catholicité, sur les productions du sacré collége, écrivirent au pape pour lui déférer un livre posthume du cardinal Sfondrati sur la prédestination, quoiqu'il eût été imprimé à Rome avec la permission du saint office. Il n'est pas hors de propos d'observer que ce cardinal avait écrit contre les quatre articles statués par le clergé de France dans l'assemblée de 1682; il faut avertir aussi que son livre mettait en avant des propositions très-singulières. On y voit, entr'autres choses, que le sort des enfans morts sans baptême est heureux, comme les ayant préservés d'offenser Dieu par eux-mêmes, et que Dieu, en les privant de la félicité surnaturelle, ne les a pas privés pour cela de toute sorte de félicité.

C'était là saper par les fondemens tout l'édifice du jansénisme, aussi-bien que celui du calvinisme et du lutheranisme par rapport à la grâce, puisque les partisans de toutes ces hérésies, pour sauver la divine justice, qui dans leurs principes punit de l'enfer des fautes que nous n'avons pu éviter sans la grâce qui nous manquait, et qu'ainsi nous avons commises nécessairement, n'ont rien de mieux à répondre, quand ils sont poussés jusqu'à un certain point, sinon que cette nécessité où nous sommes de pécher dans l'état présent, provient du péché originel, malgré la grâce du baptême dont ils anéantissent ainsi la vertu essentielle. La nécessité, pour me servir des expressions. mêmes de Jansénius, répétées vingt fois (1), provient de la détermination libre de la volonté de

(1) Jans. de stat. nat. laps. cap. 24 et 25.

notre

notre premier père, et n'est rien autre chose que la perpétuité immuable de cette volonté primitive. Voilà pourquoi ses disciples s'irritent si fort contre quiconque ne fait pas, comme eux, un article de foi de la peine du feu décernée aux enfans morts sans baptême, c'est-à-dire, contre tous les théologiens catholiques, sans en excepter les saints pères, dont la plupart ont tenu l'opinion contraire, et dont aucun n'a regardé cette question comme décidée par l'église, pas même saint Augustin. Si ce père comme on a pu le voir dans le lieu où nous avons rendu compte de ses œuvres, a tenu l'affirmative en touchant cette matière en orateur dans un sermon prêché à Carthage, cependant il la regardait si peu comme un article de la croyance catholique qu'en y revenant dans un de ses ouvrages dogmatiques et des plus réfléchis, il reprit le sentiment opposé.

Le livre du cardinal Sfondrat déplaisait, par bien d'autres endroits, aux partisans des nouvelles doctrines, parmi lesquels toutefois nous sommes bien éloignés de comprendre plusieurs des prélats qui se rendirent ses dénonciateurs ; d'autres motifs habilement présentés les engagèrent dans ce faux pas. La doctrine de ce cardinal était en toute chose trop opposée à celle des augustiniens prétendus, pour qu'ils ne soulevassent point tout le clergé contre lui, s'il leur eût été possible. Ils avaient crié bien haut avant même que les prélats eussent parlé. On voit par leurs lettres, les mouvemens qu'ils se donnaient pour le faire dénoncer tant aux universités qu'aux évêques et au souverain pontife. Toute la faction en conspira la ruine, et toutes ses cabales furent inutiles. Le sage et pieux pontife Innocent XII vit où le coup portait. Il fit cependant examiner l'ouvrage avec soin, et avec d'autant plus de liberté, que l'auteur étant mort, il ne pouvait rien pour sa défense. Malgré tant de circonstances favorables à ses adver saires, le pontife refusa constamment de prononcer. Il eût été bien étrange en eftet, et bien doux pour les jansenistes, de voir condamner à Rome ce que Tome XII.

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Rome avait permis d'imprimer. Bien loin de remporter ce triomphe, ils eurent encore le chagrin de voir paraître à Rome, sans flétrissure et sans aucun obstacle, une défense publiée en faveur de Sfondrat, par le père Gabrieli, feuillant, qui fut depuis cardinal.

Cette conduite soutenue aigrit à l'excès, au moins les principaux du parti. Chacun d'eux varia ses injures à sa manière. Le père Gerberon, entr'autres, dit que l'apologiste était un très-pitoyable théologien; qu'on ne pouvait rien lire de plus téméraire, de plus artificieux, de plus pernicieux que cet ouvrage, qu'il lui paraissait en beaucoup de choses plus que Pélagien. Cependant les injures n'opérant rien du côté de Rome, on se retourna vers le clergé de France, qui devait s'assembler dans peu. On fit un gros recueil de tout ce i s'était jamais écrit contre l'ouvrage épargné à Rome, et on le présenta au clergé, sous ce titre : La doctrine augustinienne de l'église romaine, débarrassée des entraves du cardinal Sfondrat par plusieurs disciples de saint Augustin, et dédiée à l'assemblée prochaine du clergé de France. Mais bientôt ils pressentirent que cette entreprise, loin de venger leur affront, ne servirait qu'à mettre le comble à leur honte. Ce fut pour prévenir, s'il était possible, une humiliation si désespérante, que le père Quesnel publia, en forme de lettre adressée à un député du second ordre, une espèce de satire, où il avançait que le jansénisme ne se trouvait que dans les cervelles blessées; qu'on le traitait de fantôme au milieu de Rome même, par des écrits imprimés avec la permission du maître du sacré palais; que le sort de l'insépara bilité chimérique du fait et du droit, à jamais honteuse pour les assemblées précédentes, devait bien faire craindre à celle-ci de se couvrir d'un opprobre semblable. Il finissait par avertir charitablement les prélats, d'avoir grand soin de se comporter avec toute la circonspection que demandait la délicatesse de la matière, sans quoi l'on ne manquerait point de relever ce qui se ferait de nouveau contre l'honneur du clergé de France.

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L'assemblée n'eut pas besoin de longues délibéra tions pour prendre son parti (1). La seule préface du recueil marquait un sectaire qui n'avait en vue que de ruiner l'autorité des constitutions apostoliques publiées contre les cinq propositions. On n'y disait pas seulement que le jansénisme est une chi mère, mais que la constitution d'Innocent X n'avait servi qu'à aigrir et brouiller; qu'Alexandre VII avait agi d'une manière indigne de son siége, qu'Innocent XII s'était expliqué en termes ambigus; que s'il avait paru, dans un premier bref, apporter quelque remède au mal, il avait renversé, par un autre, le bien dont on s'était flatté; que les évêques de France avaient abandonné les libertés de l'église gallicane, en recevant la bulle d'Innocent X; qu'il faudrait établir des disputes réglées sur l'affaire du jansénisme, en présence de juges nommés par le pape ou par le roi, et qu'on devrait se souvenir que la mort n'avait pas encore enlevé tous ceux qui sa vaient que les règles suivies aujourd'hui par les évêques, seront éternellement la honte du clergé de France. Le 4 Septembre 1697, l'assemblée condamna ces propositions comme fausses, téméraires, scandaleuses, injurieuses au clergé de France, aux sou verains pontifes et à l'église universelle, schismati ques, et favorisant les erreurs condamnées. Ce fut la tout le fruit que la cabale retira des mouvemens infinis qu'elle s'était donnés pour flétrir l'ouvrage du cardinal Sfondrat, auquel l'assemblée ne toucha pas plus que n'avait fait le saint siége, moins encore par respect pour ce lien de l'unité catholique, que par une juste indignation contre des sectaires qui n'attaquaient la doctrine de ce cardinal que pour établir celle de l'évêque d'Ypres.

L'année précédente, le 20 d'Août 1696, M. de Noailles, archevêque de Paris, avait publié une ins truction pastorale, qui occasionna une longue suite de discussions et de réflexions très-désagréables pour lui. Quoiqu'il eût déjà donné son approbation

(1) Mémoire du clergé, Septembre 1697.

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