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nouvelle, de dangereuse, de suspecte, et même d'erronée. La science moyenne était le monstre aux sept têtes pour M. de Rheims : il avait pour elle une antipathie qui lui troublait les sens, et ne lui permettait plus de mesurer ses paroles. On avait soutenu dans les thèses de Rheims, qu'ellé était sortie saine et sauve des plus fortes épreuves, et qu'elle n'était pas plus pélagienne que calviniste. Quoiqu'on eût ajouté qu'il n'y avait rien de plus constant dans la doctrine de saint Augustin, que la prédestination tout-à-fait gratuite, l'archevêque en furie contre le défenseur de la science moyenne, perdit la tête et le censura, pour n'avoir pas soutenu que cette prédestination gratuite à la gloire était un dogme de foi.

Cette censure prêtait trop à la critique, pour que bien des malins, toujours prêts à partager les querelles d'autrui, ne s'égayassent point aux dépens du censeur. Il y en eut même quelques-uns, à ce qu'on publia, qui tenaient un rang fort considérable dans le monde. Le ton brusque et les manières assez rustres de ce prélat, qui passait néanmoins sa vie au milieu des personnes les plus propres à lui adoucir les mœurs, n'avaient pas multiplié ses amis, ou du moins ses estimateurs. On répandit quantité de pamflets et de vraies satires, parmi lesquelles on donną grands cours, sur-tout à celle qui était intitulée Maurolique, parce que l'auteur faisait un parallèle fort piquant entre un ancien abbé de ce nom, et l'archevêque qui l'avait peu ménagé dans son ordonnance. Feignant de prendre le parti de M. de Rheims, il se fait objecter que l'autorité de ce prélat, quoique très-grande, mise en balance avec le savoir de Maurolique, ne laisserait pas d'être en danger d'avoir le dessous, Mais Dieu sait, répond-il, comment je fermai la bouche à ces bonnes gens, Maurolique, me disaient-ils, était un savant homme fort considéré de son temps. Et M. l'archevêque de Rheims, leur répondais-je, est premier pair de France, et fort redouté dans son diocèse. Maurolique, reprenaient-ils, était un homme d'une grande

piété, et d'une conduite très-régulière. Et M. l'ar chevêque de Rheims, répliquais-je, est commandeur de l'ordre du Saint-Esprit, et maître de la chapelle du roi. Maurolique, osaient-ils dire encore, était un homme de qualité de l'ancienne maison de Marulles. Et M. Parchevêque de Rheims, leur repartais-je, a la qualité de proviseur de Sorbonne, la plus ancienne école du monde. A tout cela, ils n'avaient pas le mot à dire.

A Dieu ne plaise qu'on applaudisse a des libelles aussi contraires à la charité chrétienne, qu'au respect dû aux personnes constituées sur-tout, dans les dignités ecclésiastiques ! Mais la postérité a des droits. imprescriptibles sur les faits notoires, et le meilleur usage qu'on en puisse faire, c'est d'en tirer des avertissemens qui nous mettent en garde contre les écueils fameux par les naufrages d'éclat. Tout homme en dignité, à quelque degré d'élévation qu'il soit parvenu, est à jamais soumis au jugement du public; et à ce tribunal, tout ministre de l'église sur-tout, tout prélat, quelque décoré qu'il soit qui aura voulu planer, pour ainsi dire, entre la foi et l'erreur, entre l'église et les sectes, qu se ménager en politique avec deux partis si contraires outre qu'il se les attirera infailliblement l'un et l'au tre à dos, il portera éternellement l'opprobre que mérite un homme lâche et faux qui estime la vertu et révère le vice.

Nous avons fait entendre que les chagrins, ou les importunités causées à M. de Paris par les circons tances où il avait condamné le livre de l'Exposition de la Foi, ne se bornèrent point à l'année où il le condamna. On peut regarder comme provenant encore de cette source, le fameux Problème qui fut proposé déux ans après à l'abbé Boileau, et dont la solution que le parlement, au lieu de l'abbé, donna par un arrêt de condamnation, ne soulagea pas plus le prélat qu'il ne satisfit l'auteur. Le Problème était conçu en ces termes: A qui doit-on croire, de M. Louis-Antoine de Noailles, évêque de Châlons en 1695, ou de M. L. A. de Noailles, archevêque de Paris en 1696?

Voici la cause et le sujet de cette pièce. M. de Noailles étant évêque de Châlons, avait donné le 23 Juin 1695, une approbation pompeuse aux Réflexions morales sur le nouveau testament, que le père Quesnel lui avait dédiées, et de plus un mandement pour engager ses ecclésiastiques à les lire. Il y assurait que l'auteur avait recueilli tout ce que les saints pères ont écrit de plus beau et de plus touchant, et qu'il en a fait un extrait plein d'onction et de lumière; que les difficultés y sont expliquées nettement, et les plus sublimes vérités de la religion traitées avec cette force et cette douceur du Saint-Esprit qui les fait goûter aux coeurs les plus durs ; qu'on y puisera de quoi s'édifier et s'instruire; que les ecclésiastiques y apprendront à enseigner les peuples qu'ils ont à conduire; qu'ils y trouveront le pain de la parole dont ils les doivent nourrir, tout rompu et tout prêt à leur être distribué; que ce livre enfin leur tiendra lieu d'une bibliothèque entière, les remplira de la science, éminente de Jesus-Christ, et les mettra en état de la communiquer aux autres. Il était difficile, comme on le voit, d'ajouter à cet éloge, fait d'ailleurs par un prélat qui avait une grande réputation de piété, Mais M. de Châlons, devenu archevêque de Paris, condamna, dès l'année suivante, l'Exposition de la, Foi catholique, la nota d'hérésie, et de toutes les qualifications flétrissantes qu'on a vues,

Or, l'auteur du Problème prétend que la doctrine des Réflexions approuvées à Châlons en 1695, et celle de l'Exposition condamnée à Paris en 1696, sont absolument la même, Pour le prouver, il fait un parallèle entre ces deux ouvrages, et montre par la confrontation d'un assez grand nombre de morceaux, qu'il n'y a aucune différence entre eux pour le fond des choses, et presque point d'autre que celle de la marche ou de la méthode, en ce que l'Exposition de la Foi est en forme de catéchisme par demandes et par réponses, au lieu que les Réflexions morales sont en forme de considerations, Du reste, il ne prononce point sur le fond de la

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doctrine; là dessus il affecte de ne prendre aucun parti: mais il s'appesantit, d'une manière bien mortifiante pour le prélat, sur la contrariété de la censure et de l'approbation; il dit et rebat, jusqu'à pousser toute patience à bout, que la censure détruit l'approbation, et que l'approbation détruit la censure; qu'on n'a pu censurer ni approuver l'un des deux ouvrages, sans approuver ou censurer l'autre. Pour conclusion, il veut qu'on lui dise à qui des deux il doit croire, ou de l'évêque de Châlons approuvant avec des éloges magnifiques les Réflexions morales, ou du même prélat, archevêque de Paris, qualifiant l'Exposition de la Foi d'ouvrage pernicieux.

L'injure était sanglante, puisqu'on faisait entendre qu'il soufflait le froid et le chaud en matière de religion, pratique infame pour un évêque. Le parlement s'empressa d'arrêter le scandale, en proscrivant le Problème. M. d'Aguesseau, alors avocat général, et depuis chancelier de France, en parla comme d'un libelle dont le titre seul était une injure atroce. Il dit avec autant de force que de justesse, que l'auteur appelait en jugement, non-seulement la religion d'un archevêque, mais sa raison même ; qu'il l'accusait tantôt d'hérésie et tantôt de contradiction; que, d'un côté, il le représentait comme un évêque digne d'être compté au nombre des hérétiques convaincus d'une doctrine pernicieuse, comme un des plus déclarés jansénistes qui ait jamais pu figurer à la tête de cette secte, et de l'autre, comme un prélat de foi chancelante, incertaine, contraire à elle-même, comme un juge qui approuve ce qu'il doit condamner, et condamne ce qu'il doit approuver; hérétique quand il approuve, téméraire quand il condamne, également incapable de constance dans le parti de l'erreur et dans celui de la vérité. Sur quoi ce magistrat éloquent demanda que l'on réprimât la licence avec laquelle on répandait ainsi depuis quelque temps des libelles injurieux à la dignité épiscopale; qu'on n'en connaissait pas les auteurs, mais qu'on pouvait dire qu'un

archevêque du caractère de celui qu'ils injuriaient avec tant de noirceur, ne pouvait avoir d'autres ennemis que ceux de l'église. On fit droit sur le réquisitoire le Problème fut lacéré et brûlé devant la porte principale de Notre-Dame.

Un janséniste de bas ordre dit (1) qu'un pareil Problème ne méritait point d'autre solution: mais le père Gerberon, toujours franc et toujours dur, rendit en ces termes ce qu'il en pensait: Ce n'est pas sur la déclamation d'un avocat général mal instruit, ni sur un arrêt donné sans autre instruction, qu'on doit juger d'un livre (2). Le ministre Jurieu, dans son traité de la Théologie mystique, s'en exprime dans le même goût. On ne répond pas, dit-il, à ces sortes d'objections, avec un arrêt du parlement un bourreau et un bûcher; mais ni le calviniste, ni le janséniste n'ont ici pour eux qu'un faux air de raison. Le parlement prétendait réprimer l'insolence, et non pas régler la doctrine.

Il était naturel de chercher à découvrir l'auteur

d'un ouvrage si peu ménagé. On le rechercha diligemment en effet; on raisonna, on conjectura, on fit des imputations; et comme il n'était point de mal que l'équité jansénienne ne mît sur le compte des Jésuites, le janséniste en sous-ordre, dont je viens de parler, publia que le Problème ne pouvait sortir que d'un atelier molinien; et la grande raison qu'il en apportait, c'est que les Jésuites avaient eu seuls intérêt à décrier l'instruction pastorale de Paris. Où est la pudeur, où est même le bon sens ? En condamnant l'Exposition de la Foi, qui contenait tout le venin du jansénisme, l'instruction pastorale avait condamné la doctrine la plus opposée à celle des Jésuites; et l'on a la sottise de soutenir qu'eux seuls avaient intérêt à décrier cette instruction.

La loi suprême de l'histoire, la vérité, veut néanmoins qu'on avoue qu'un Jésuite moins distingué par sa finesse que par sa naissance, que le père de

(1) Solution de divers Problèmes très-importans pour la paix de l'église. (2) Procès du P. Gerberon, chap. 6, p. 9.

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