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dant lesquelles l'assiduité à la pratique des vertus de son age, et bien au-dessus de son âge, en particulier la charité pour les pauvres, et tous les genres de bienfaisance qui étaient à sa portée, remplirent, avec l'étude, les longues journées que son goût pour l'ordre et le travail sut toujours se faire.

Quand à l'âge de vingt-un ans il eut embrassé l'état ecclésiastique, et que les papes l'eurent fait successivement référendaire, consulteur du consistoire, gouverneur de Riéti, de Civita-Vecchia, de Sabine son zèle pour la religion, son équité, son désintéressement, et sur-tout son amour pour les pauvres, qui fut toujours comme sa passion dominante, le rendirent si cher en tous lieux, qu'à chacun de ses changemens c'était une affliction publique. Devenu cardinal, malgré tous les obstacles qu'y mettait sa modestie, il ne changea rien à sa forme de vie ordinaire; toujours également réglé dans ses moeurs, assidu à la prière, ainsi qu'au travail, et néanmoins accessible à tout le monde ; attentif sur son domestique, rangé dans ses affaires, frugal, mais décent à sa table, propre, mais simple dans ses habits, dans ses meubles et ses équipages. Et le désintéressement, qui met le prix à toutes ces vertus, jamais homme ne le poussa plus loin. Institué légataire universel d'un riche prélat, il employa, au vu et au su de tout le monde, cet héritage entier en bonnes oeuvres. Il refusa invinciblement une seconde abbaye qu'on voulait joindre à celle de Casamare qu'il avait, et que lui seul jugeait suffisante à ses besoins. Il ne recut jamais aucun présent de personne, sans excepter les têtes couronnées, qui ne purent même faire tomber sur aucun de ses proches les témoignages effectifs de leur reconnaissance pour des services signalés qu'il leur avait rendus. Il étendait cette délicatesse jusqu'à ses domestiques, qui n'eussent pas manqué d'encourir son indignation par une autre conduite. Il faisait cependant des charités immenses, même à des gens de condition tombés dans la misère. Il nourrissait les uns, habillait les autres, payait leur logement, et leur fournissait jusqu'aux moyens de

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rétablir leurs affaires. Il donna un jour trois mille écus d'or à une seule personne; en sorte qu'il n'était pas possible d'imaginer d'où il tirait ces largesses inépuisables.

Quand on l'eut couronné pape, il commença par se prémunir contre l'écueil où avait échoué la vertu, d'ailleurs éprouvée, de tant d'autres pontifes. Son frère lui ayant été présenté avec sa famille: Apprenez, leur dit-il, que vous venez de perdre votre parent naturel; vous n'avez plus en moi qu'un père commun, ainsi que le reste des fidèles. Il leur défendit fortement de s'ingérer d'aucune façon dans les affaires publiques, de solliciter jamais l'avancement de personne, et sur-tout de recevoir aucun présent, quelque pallié qu'il fût, et de quelque main qu'il pût venir; d'aspirer eux-mêmes à aucune charge; de prendre le titre de princes, comme on le prenait par le passé dans toutes les familles des papes; d'en exiger ni même d'en recevoir les honneurs; en un mot, de franchir les bornes de simples particuliers. Cette défense fut exécutée à la lettre. Ses neveux poursuivirent leurs études dans le collége où ils les avaient commencées, et demeurèrent confondus, sans aucune distinction, avec la jeune noblesse dont ils faisaient partie. L'éducation de sa nièce s'acheva de même dans le monastère où elle se trouvait, sans autre distinction que sa modestie, et la simplicité particulière de ses ajustemens.

Pour sa propre conduite, le nouveau pape se fit une règle de dire tous les jours la sainte messe, et à l'exemple de plusieurs saints, de se confesser aussi tous les jours. Il vivait si sobrement, que la dépense journalière de sa bouche n'excédait pas quinze sous de notre monnaie. Il usait de la même rigidité pour ce qui était du sommeil; et tout son temps était distribué de manière à ne laisser aucun vide dans la journée, partagée sans réserve entre la prière et les devoirs du pontificat. Si quelquefois il en interrompait les occupations pénibles, c'était pour reprendre la lecture d'un saint docteur, pour aller puiser de nouvelles lumières dans l'oraison, et attirer les bé

nédictions du ciel sur quelque sainte entreprise. Quand de loin en loin, et par des raisons de santé, il était obligé de prendre l'air, sa promenade consistait à visiter quelques églises, où la charité et la piété faisaient tout son délassement.

Voilà quel était Clément XI, quand par un trait visible de la providence de Dieu sur son église, il en prit le gouvernail à l'entrée d'un siècle où allaient s'élever tant d'orages. La succession d'un prince français à la couronne d'Espagne, et tout le monde chrétien mis en feu à ce sujet par les trames de l'envie et de la cupidité; la partie la plus juste, et long-temps la plus malheureuse, en butte à ses propres sujets révoltés par l'hérésie qui leur était commune avec les ennemis du dehors; les négociations de paix, autant et plus dangereuses que la guerre, pour le parti catholique, à qui les sectes conjurées dans toutes les nations s'efforçaient de ravir par les traités, ce qu'elles n'avaient pu obtenir par les armes; le dépérissement de la discipline, suite naturelle des guerres et des troubles; la langueur du zèle, des bonnes oeuvres, des missions et du progrès de l'évangile chez les infidèles ; une des plus opiniâtres sectes, et des plus habiles à intriguer et à fourber, profitant des crises et des périls qui absorbaient l'attention de toutes les puissances, pour mettre son idole travestie en fantôme hors de toute atteinte tant de périls précipitaient l'église dans le dernier malheur, si elle n'avait pas eu un chef en état de suffire à tous les genres de travaux, et à des fonctions en quelque sorte incompatibles. Clément XI, comme on le verra, se gouverna si bien lui-même, et l'église avec lui, qu'elle ne perdit rien de ses droits ni de sa gloire durant son pontificat de plus de vingt ans ; qu'elle étendit au contraire ses conquêtes sur les ennemis de la foi romaine, et jusqu'aux extrémités du monde, sur ceux du nom de Jesus Christ.

Dans les querelles des princes chrétiens, quoique ses vœux fussent pour la France, comme pour le parti qu'il avait depuis long-temps jugé le plus juste,

et fait juger tel à son prédécesseur dont il avait eu la confiance, il n'employa cependant aucun moyen temporel, et se comporta invariablement en père commun de tous les chrétiens. Quand on en vint à la paix, pour l'avancement de laquelle il s'était donné des mouvemens infinis, il déconcerta par l'habileté des nonces qu'il choisit pour les congrès. divers, et par la sagesse des instructions qu'il leur donna, il déconcerta tous les desseins et toutes les manoeuvres des puissances protestantes contre l'intérêt de la religion catholique. Dėja il avait enlevé à ce parti le comte palatin Léopold-Gustave, II leur ravit encore le prince électoral de Saxe, depuis roi de Pologne, qu'il dégagea de tous ses préjugés, et fit rentrer dans l'ancienne religion de ses pères, aussi-bien que le duc de Brunswick, et deux princesses ses filles. Il obtint du roi de Perse une entière liberté de prêcher l'évangile dans toute l'étendue de ce royaume. Il mit fin à la diversité d'opinions ou de pratiques qui divisait les missionnaires de Chine avec un dommage infini pour la religion. IĮ étendit ses soins infatigables pour l'accroissement de la foi, ainsi que les profusions de sa charité, en Turquie, en Tartarie, en Ethiopie, et dans la plupart des contrées infidèles. Enfin il força la plus artificieuse des sectes dans son dernier retranchement, et la produisit à nu, vouée désormais à l'opprobre auquel trop long-temps elle s'était dérobée,

Et en contrariant tant de passions, tant de préventions, tant de prétentions et d'intérêts, il rendit son nom vénérable et cher aux protestans et aux. mahométans même. La ville de Nuremberg, toute luthérienne, fit frapper des médailles en son honneur, et les répandit de toute part, avec une lettre qui lui était encore plus honorable. Le bacha d'Egypte dit en termes exprès, et laissa par écrit, qu'il n'enviait pour la gloire de l'alcoran, qu'un chef aussi digne que celui qu'avaient les chrétiens dans la personne de Clément XI. Plus haineux que les sectateurs de Luther et de Mahomet, les sectaires dont il a déconcerté la fourbe trop long-temps heureuse,

sont les seuls qui aient contredit les deux hémisphères sur les qualités éminentes de ce pontife, sans oser néanmoins toucher à l'éminence de ses vertus personnelles: mais en le représentant comme un pape asservi à quelques moines et à quelques prélats intrigans, qui le faisaient prononcer en aveugle sur des points doctrinaux de première importance, ils n'ont pas réfléchi qu'on ne pouvait sans absurdité parler ainsi d'un pontife rempli de lumières, ennemi juré de l'adulation et de l'intrigue, pénétrant et ferme, voulant tout voir par lui-même, et ne prenant jamais son parti qu'après la plus mûre délibération, sur les principes d'une conscience dont la délicatesse allait jusqu'au scrupule, seul défaut qu'on ait pu lui reprocher justement.

Une des premières fonctions pontificales dont s'acquitta le nouveau pape, fut la clôture de la porte sainte, ou du jubilé séculaire: cérémonie d'appareil dont il fit un sujet touchant d'édification. Le conclave ayant concouru avec le jubilé, avait attiré à Rome une quantité extraordinaire d'étrangers de toute nation et de toute condition: mais sur la fin de l'année, les hôpitaux se trouvaient remplis de pauvres et de malades. Clément, avant de fermer la porte sainte, visita tous ces hospices, distribua quantité d'aumônes aux pauvres, consola les malades par de tendres exhortations, entendit les confessions d'un grand nombre comme aurait pu faire leur propre chapelain, leur administra les derniers sacremens, rassembla un même jour tous les pélerins prêts à partir, leur distribua quatre mille écus d'or, leur lava les pieds à tous, les essuya, les baisa, leur fit dresser plusieurs tables en sa présence, et durant tout le repas, il les servit luimême, parlant tantôt à l'un, tantôt à l'autre avec une bonté et un air d'intérêt qui attendrit jusqu'aux larmes les spectateurs les plus indifférens.

Le 27 Octobre de cette même année 1700, le monde chrétien eut un nouveau sujet d'édification dans la mort du célèbre abbé de la Trappe, dont les vertus exhalèrent, sur-tout, alors la bonne odeur

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