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supposée. Leurs clameurs firent encore toute leur preuve : ils en sentirent si bien la faiblesse, qu'ils finirent par publier que la lettre avait été composée dans un temps où l'abbé avait l'esprit et la mémoire également affaiblis: mais sur ce point encore, le public, d'avis tout contraire, regarda cette lettre comme l'une des plus judicieuses et des mieux raisonnées que l'abbé eût jamais écrites. D'ailleurs deux historiens de sa vie (1) attestent que cet affaiblissement prétendu de son esprit, est une chimère inventée par ceux qui avaient intérêt à lui donner

cours.

Il importait sans doute de justifier dans le réformateur de la Trappe, la foi sans laquelle il n'est point de vertus chrétiennes, et de revendiquer ce mémorable solitaire à une secte si particulièrement jalouse d'attacher à son char les hommes célèbres en tout genre. Celui-ci s'était fait un point capital de conduite de ne pas combattre directement la maligne faction qui troublait l'église, fondé qu'il se croyait sur le principe, que n'ayant ni mission, ni caractère pour cela, le meilleur parti qu'il eût à prendre, c'était de garder le silence: en quoi cependant il était peu conforme à quantité de saints solitaires, au grand saint Antoine en particulier, qui crut devoir passer par-dessus les règles ordinaires, pour secourir la foi mise en péril par les ariens, quoiqu'il n'eût jamais varié dans la doctrine, et qu'il n'eût ni pour écrire, ni pour s'énoncer, le talent ou l'usage de l'abbé François. Bien des orthodoxes auraient voulu qu'il fit pour la doctrine de l'église, l'usage qu'il avait fait autrefois de son bel esprit pour la nouveauté. Peut-être se persuada-t-il que le grand nombre de pasteurs éclairés et de zélés docteurs qu'avait alors la France, lui fournissaient un titre légitime pour se tenir absolument renfermé dans les bornes de sa profession. Quoi qu'il en soit de ses intentions, que tout concourt à faire présumer droites, il ne laissa jamais

(1) Massoulié et Meaupou.

aucun doute sur sa catholicité; et le changement des partisans de la nouveauté à son égard, en est une preuve qu'ils ne peuvent plus attaquer sans contradiction et sans ridicule. Cependant sa réserve ne plut à aucun des partis, ou plutôt elle les choqua l'un et l'autre, et les lui mit presque également à dos tant la neutralité en matière de foi, ne fût-elle qu'apparente, fait de fàcheuses impressions dans tous les esprits. Toujours elle répand sur les vertus même les plus éclatantes, un louche ou des ombres que les meilleures apologies ensuite ne réussissent pas toujours à dissiper.

Le 16 de Septembre 1707, mourut à SaintGermain-en-Laye le roi Jacques II d'Angleterre, dans les sentimens de religion auxquels il avait sacrifié sa couronne. Après avoir reçu les derniers sacremens de l'église avec une dévotion exemplaire, il fit approcher le prince de Galles, héritier de ses droits, et lui dit : Mon fils, vous allez remplir ma place, qui vous est due avec une justice manifeste ; mais si jamais vous remontez sur le trône, pardonnez à tous mes ennemis, aimez votre peuple conservez la religion catholique, et préférez toujours l'espérance d'un royaume éternel, à un royaume de ce monde. Le prince, qui n'avait que seize ans, promit, tout en larmes, au roi son père d'exécuter religieusement ses volontés, et sur-tout pour ce qui regardait la foi catholique ; ensuite il alla se jeter aux pieds de Louis XIV, remit sa jeunesse et son sort entre ses mains, en protestant de nouveau, les larmes aux yeux, qu'il n'aurait jamais d'autre religion que la catholique. Louis, sans considérer les nombreux ennemis qu'il avait déjà sur les bras, et qu'il allait s'attirer encore par sa générosité, le reconnut sur le champ pour roi d'Angleterre, et promit de le tenir pour tel tant qu'il demeurerait attaché à la vraie foi; en quoi Louis le Grand parut vraiment digne de ce titre.

Le nonce de France n'eut pas plutôt mandé cette nouvelle à Rome, que le saint pape Clément XI, ravi d'admiration, rassembla les plus religieux des

cardinaux en consistoire, et leur tint ce discours : « Nous avons perdu dans la personne du roi Jacques II, un prince véritablement fils de l'église, un vrai défenseur de la foi; mais ce qui fait notre juste consolation, c'est que le roi très-chrétien a reconnu et fait proclamer roi d'Angleterre, le prince de Galles son fils. Ah! qu'une action si héroïque dans les conjonctures présentes, est digne de passer à la mémoire de tous les siècles!» II adressa incontinent à ce monarque un bref qui renchérissait encore sur ces expressions. C'était sur de si beaux fondemens que portaient l'intérêt et l'affection que ce vertueux pontife marqua toujours pour Louis XIV.

Leur accord parfait pour la conservation de la foi, parut encore avec éclat dans un incident assez minutieux en lui-même, mais dont ceux qui l'avaient ménagé attendaient les plus grands effets. C'était une consultation de conscience, qui ne semblait concerner qu'un simple particulier, et qui tendait à ruiner toutes les décisions de l'église contre les erreurs du temps. Dupin, dans son Histoire ecclésiastique du dix-septième siècle (1), dit qu'on ne sait pas certainement d'où vint cette consultation, ni par quels motifs on la fit. Cependant il était notoire à une infinité de personnes, qui n'avaient pas comme lui, signé le cas de conscience dont il s'agit et qui n'avaient pas les mêmes relations avec ceux qui l'avaient dressé ; il était constant par deux lettres de dom Thierri de Viaixnes, que cet ouvrage avait été ébauché par l'abbé Perrier, chanoine de Clermont en Auvergne, et neveu du célèbre Pascal; que les sieurs Anquetille et Rouland lui avaient donné sa forme, et qu'il avait été imprimé à Liége (2). Voilà les premiers auteurs de la pièce; mais ils n'y mirent pas la dernière main. Comme ils y avaient inséré la nécessité de la grâce suffisante des thomis-tes, le sieur Petitpied, à qui cela déplut, comme au grand nombre des frères, retrancha cet article

(1) Tome iv, p. 405. (2) Causa Quesnel, p. 403.

du cas proposé, qui par là devint, selon ses expressions, beaucoup plus net et plus spirituel.

Voici de quoi il s'agissait. On mettait sur la scène un confesseur de province, en suspens quant à la manière de se conduire à l'égard d'un ecclésiastique qu'il avait cru long-temps un grand homme de bien, mais qu'on lui avait enfin rendu fort suspect en matière de croyance. Il disait l'avoir interrogé sur différens articles, et en avoir tiré ces réponses: Je condamne les cinq propositions dans tous les sens où l'église les a condamnées; mais sur le fait, je crois qu'il me suffit d'avoir une soumission de silence et de respect, et tandis qu'on ne m'aura pas convaincu juridiquement d'avoir soutenu quelqu'une de ces propositions, on ne doit pas tenir ma foi pour suspecte: Je crois qu'étant obligé d'aimer Dieu pardessus toutes choses et en toutes choses, comme notre fin dernière, toutes les actions qui ne lui sont pas rapportées, au moins virtuellement, et qui ne se font pas par quelque mouvement d'amour, sont autant de péchés: Je tiens que celui qui assiste à la messe avec la volonté et l'affection pour le péché mortel sans aucun mouvement de pénitence commet un nouveau péché : Je ne crois pas que la dévotion envers les saints, et principalement envers la sainte Vierge, consiste dans toutes les vaines formules et les pratiques peu sérieuses qu'on voit dans certains auteurs. Le pénitent déclarait encore qu'il lisait les Lettres de Saint-Cyran, les Heures de Dumont, les Conférences de Luçon, la Morale de Grenoble et le Rituel d'Alet, croyant tous ces livres fort bons et dûment approuvés ; qu'il portait le même jugement du nouveau Testament de Mons, et pensait qu'on le pouvait lire, au moins dans les diocèses où les prélats ne l'avaient pas condamné.

A cette consultation, quarante docteurs répondirent que les sentimens de l'ecclésiastique au sujet duquel on consultait, n'étaient ni nouveaux, ni singuliers, ni condamnés par l'église; en un mot, qu'ils n'étaient pas tels, qu'on dût exiger, pour l'absoudre, qu'il y renonçât. Cette décison fut tenue secrète une

année

année entière, afin de lui gagner à loisir des patrons et des zélateurs ; après quoi on la produisit au grand jour, imprimée à Paris, et l'on en fit coup sur coup une multitude d'éditions. Le scandale fut aussi éclatant que l'attentat. Ce ne fut qu'une voix parmi tous les catholiques véritables, que le Cas de Conscience n'obligeant qu'au silence respectueux, ruinait de fond en comble l'autorité des constitutions apostoliques, et tout ce qui s'était fait contre les dernières hérésies. Le janséniste Vaucelle le voyait si bien lui-même, qu'en exhortant ses confrères à soutenir fortement la réponse des quarante docteurs, il écrivait que cette décision subsistant le jansénisme s'en allait en fumée, et ne pouvait plus passer que pour un fantôme (1). Mais en vain le père Quesnel écrivit à plusieurs prélats, afin de les engager à protéger les quarante consulteurs sur qui devait d'abord fondre l'orage qu'il entendait gronder de toutes parts. MM. de Chartres et de Meaux furent les premiers qui foudroyèrent le Cas de Conscience. Celui-ci agit beaucoup ensuite, pour engager les quarante docteurs à prévenir leur condamnation personnelle par une humble rétractation. En quoi, dit un historiographe du parti (2), il fit paraître, en bon disciple de M. Cornet, un zèle merveilleux pour ne point souffrir qu'on donnât la moindre atteinte à la signature du formulaire. Dans le langage des nouveaux augustiniens, c'est là faire de Bossuet un moliniste, ou ce qui est la même chose pour eux, un pélagien quelques années après, ils en firent un janséniste. Que doit-on croire vrai dans les bouches où la négative et l'affirmative, soutenues l'une et l'autre avec le même front, sont aussi variables que l'intérêt ?

M. de Noailles, dont l'autorité devait être ici d'un tout autre poids que celle de M. Bossuet, vint à son appui, quoiqu'on osât dire dans le parti, que ce prélat avait vu la consultation avant qu'on la rendit

(1) Procès de Quesnel, p. 405. (2) Hist. du Cas de Conse. p. 88. Tome XII. V

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