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bouche à ceux-ci. Il le remerciait, par le même bref, d'avoir exilé le docteur Elie Dupin: homme de très-mauvaise doctrine, disait le saint père, et qui a fait plusieurs injures au saint siége apostolique. Louis XIV eut tant d'égard à la remontrance du chef de l'église, que, sans se borner à rendre toute liberté aux defenseurs de la foi, il ôta sa confiance à celui des ministres qui l'avait engagé à donner l'édit contraire. Il fit plus, et voici comment la manœuvre dont le parti attendait son triomphe, n'aboutit qu'à lui ôter sa dernière ressource. Le roi très-chrétien, et plusieurs évêques de son royaume, de concert avec le roi d'Espagne, voyant que les sectaires chicanaient toujours sur le bref et les bulles rendues jusque là contre eux, prièrent le souverain pontife de prononcer enfin de la manière la plus formelle et la plus authentique, sur l'insuffisance du silence. respectueux. C'est donc aux chicanes interminables, et a l'indomptable opiniâtreté des jansénistes mêmes, qu'il faut imputer la bulle qu'elles représentent aujourd'hui, comme une source inépuisable de troubles et de scandales. Mais l'église doit-elle être moins ferme, que l'hérésie n'est opiniâtre? et l'opiniâtreté de l'hérésie est-elle un titre d'accusation contre la fermeté de l'église ? Dépositaire de la vérité que Jesus-Christ lui a transmise, et qui fait son plus précieux trésor depuis dix-huit siècles, est-ce à elle, ou à la secte qui la trouble dans sa divine possession, que l'on doit attribuer les scandales, aussi-bien que les troubles?

La pièce du Cas de Conscience n'en était pas au dénouement, que la Hollande, théâtre plus convenable que la France pour ce genre de scène, en fournit une seconde à peu près de même force. M. Codde, prêtre de l'Oratoire, avait été nommé, dès l'année 1686, vicaire du saint siége pour le gouvernement spirituel des Hollandais, qui, jusqu'au jansénisme, avaient en grand nombre conservé dans son intégrité la religion de leurs pères. Sitôt qu'il fut question de le sacrer sous le titre d'archevêque de Sébaste, il fit connaître, par sa résistance à signer

le formulaire, ce qu'on devait attendre de son gouvernement. Les présomptions furent confirmées en plein par les oeuvres. Les églises catholiques prirent en peu de temps tout l'air hollandais, et ne ressemblèrent pas mal aux prêches. Les prêtres y administraient les sacremens en langue vulgaire, et l'on jargonnait de même toutes les prières du rituel romain; ce qui ne put se faire sans exciter les murmures des vrais catholiques, encore les plus nombreux, et sans mettre beaucoup de troubles dans la mission.

Le père Quesnel, qui ne voit point de maux dont les Jésuites ne soient les auteurs, attribue ces divisions au père Domin, qui avait suivi en Hollande le comte de Crécy, plénipotentiaire de France au congrès de Ryswick (1). Il est pourtant certain, par les monumens même du parti, que long-temps avant le voyage du Jésuite, on avait porté des plaintes au pape sur les pratiques étranges des églises de Hollande. On voit par une lettre du sieur du Vaucelle, datée du 1er Décembre 1691, et adressée au père Quesnel lui-même, qu'un religieux dominicain y avait été envoyé secrétement par l'internonce des Pays-Bas, en conséquence d'un ordre de Rome, et que son rapport était fort désavantageux au clergé hollandais (2). D'un autre côté, l'archevêque d'Ancyre, vicaire apostolique aux grandes Indes, s'étant rendu en Hollande pour les affaires de sa mission, avait rapporté que le mal y était à tel point, qu'il le jugeait presque irrémédiable: sur quoi Innocent XII avait établi une congrégation de dix cardinaux, pour procéder, avec le plus grand soin, à l'examen de cette affaire; et dès-lors il fallut que le vicaire hollandais songeât sérieusement à se défendre.

Il le fit avec assurance, et il fut secondé, tant en France qu'aux Pays-Bas, tandis qu'à Rome l'agent Valloni faisait jouer tous ses ressorts pour déconcerter les congrégations. Toutefois dès la première,

(1) Lettre à M. de Beauvais. (2) Procès du P. Quesnel, p. 105.

qui se tint le 25 de Septembre 1699, il fut ordonné au vicaire apostolique de Hollande de venir se justifier à Rome. Effrayé de ce début, il chercha d'abord à différer son voyage, ou plutôt à ne le faire jamais. Il écrivit des lettres tournées de son mieux, et à l'internonce de Bruxelles, et à la congrégation des cardinaux. Toute son habileté fut inutile: on lui manda, pour toute réponse, que s'il ne partait incessamment, on nommerait un autre vicaire. Ses amis jugèrent alors que l'obéissance était de saison, et lui persuadèrent de sacrifier ses répugnances personnelles, à l'intérêt de la cause commune. Il se mit donc en route au mois de Septembre de l'année 1700, accompagné du père Delbèque, augustin, et janséniste ardent. Une visite que lui rendit à Padoue le père Serry du même ordre, et l'estime qu'il témoigna pour M, de Fresne et toute la sainte famille, c'étaient les noms que portaient au delà des monts le parti et son chef, lui firent espérer qu'il trouverait de la protection jusqu'à son terme, dont il n'approchait pas sans crainte. Comme tous les brouillons qui croient toujours gagner à changer de supérieur, il espéra bien de Clément XI, qui venait de succéder à Innocent XII.

En effet, le nouveau pape reçut l'archevêque de Sébaste avec de grands témoignages de bienveillance, si l'on en croit le gazetier intéressé de Hollande qui eut grand soin d'en informer le public. Peu de temps après, M. de Sébaste eut une seconde audience, et le gazetier, bien salarié, en fit encore un article important de ses nouvelles mais enfin le 18 de Mars 1701, il eut une tout autre audience des cardinaux Marescotti, Ferrari et Tanara, commis pour l'interroger. Le public n'apprit rien de celle-ci par le gazetier; mais l'agent Vaucelle informa les grands frères, qu'elle avait très-fort mortifié, qu'elle avait abattu le vicaire apostolique (1). Cependant on lui remit vingt-six chefs d'accusation, sur lesquels on lui ordonna de fournir ses défenses; ce qu'il fit

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au bout de six mois. La dernière congrégation se tint le 7 Mai 1702, en présence du pape. Toutes les voix, sans exception, furent pour suspendre M. de Sébaste des fonctions de vicaire apostolique, et la sentence donnée dès-lors lui fut signifiée quelque temps après. L'abbé de Vaucelle, par une lettre du 12 Août suivant, manda que le vicaire aurait pu se tirer d'embarras, s'il n'avait pas marqué tant de répugnance à signer le formulaire d'Alexandre VII. II ajoutait que plusieurs étaient d'avis qu'il aurait pu et dù même le faire. Il y en avait toutefois qui n'étaient pas de cette opinion, soit par horreur du parjure, soit par respect pour les quatre évêques d'Alet, de Pamiers, de Beauvais, d'Angers, et pour les orphelins de Laviemur, autrement Port-Royal.

Les principaux du clergé batave ne surent pas plutôt ce qui s'était fait à Rome, qu'ils dressèrent leurs batteries pour le faire révoquer. Ils eurent recours au grand persionnaire Heinsius, et aux bourgmestres d'Amsterdam, dont trois étaient neveux de M. Codde ou M. de Sébaste. A ces puissantes sollicitations, les Etats-Généraux défendirent à M. Cook, nommé vicaire par interim, d'en faire aucune fonction, que le vicaire en titre n'eût été rétabli dans les siennes. C'est ainsi qu'à la faveur des puissances, non-seulement séculières, mais hérétiques, les étranges disciples de saint Augustin bravaient le saint siége, et se flattaient de lui forcer la main. L'usage que j'ai de la cour de Rome et du génie monacal, écrivit à ce sujet le moine apostat Driot, l'un des oracles du parti (1); l'usage que j'ai de la cour de Rome, me fait juger qu'on n'en aura raison que par la hau teur et le fracas. Mais avec toute la science de la cour et du monachisme, ses combinaisons se trouvèrent en défaut : l'insolence et le fracas ne purent être plus grands; et Rome s'étonna si peu, que sa froide gravité sur-tout, et sa marche égale, intriguerent bientôt ceux qui avaient cru lui imposer. Le provicaire Van-Hussen, qui tenait en Hollande

(1) Lettre du 12 Novembre 1702, au P. Quesnel.

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la place et le parti de M. Codde, fut interdit à son tour. Cette sentence le mit au moins en de grands soucis. il consulta le père Quesnel, qui, plus aguerri, répondit le 8 Janvier 1703, qu'il fallait aller son chemin, sans s'inquiéter de ce qui s'était fait à Rome. La raison tranchante qu'il en donnait, c'est que M. l'archevêque de Sébaste se trouvait suffisamment justifié par ses défenses; qu'il avait été condamné contre les règles par un tribunal incompétent, et qu'il appartenait aux Etats-Généraux de connaître de son affaire. Comme cette décision n'était pas tout-àfait conforme aux idées communes, on s'appliqua sur les principes de l'apostat Driot, à soutenir le peuple, par des écrits vigoureux, contre la terreur des foudres du Vatican (1). On avait pour cela d'excellens modèles dans le pays. Les prédicans, en Hollande aussi bien qu'en France, n'avaient point trouvé de moyen plus efficace pour détacher à jamais les peuples du centre d'unité, que de leur rebattre sans cesse que le pape était l'antechrist. A leur exemple, l'augustinien Van-Hamme, par une lettre aussi vigoureuse qu'on pût la souhaiter, insinua d'abord que la cour de Rome s'occupait beaucoup plus de sa domination que de la religion; puis il certifia que l'antechrist serait un Romain. Il est vrai qu'il ne dit pas formellement que ce serait un pape; mais il n'y avait que le mot d'omis, et tout concourait à le suppléer.

Cependant le parti se flattait toujours que le pape ne tiendrait pas contre tant de vigueur, et qu'il serait forcé de renvoyer M. de Sébaste avec ses premiers pouvoirs, ou du moins de les lui rendre bientôt après son retour. C'est ce qu'on voit par une lettre de l'apostat nommé plus haut (2), qui se persuada même que le saint père n'était plus arrêté que par la honte de revenir sur ses pas; sur quoi il fait cette exclamation bien digne d'un tel orateur: Bon Dieu! qu'un aveu de faiblesse coûte à un pape, qui en est

(1) Lettre du 8 Mars 1703. (2) Lettre de Driot, du 19 Avril 1703.

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