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leurs troupes, qui était de treize cents hommes : ils se battirent en désespérés, et périrent presque jusqu'au dernier.

Ce fut après ces pertes que le maréchal de Villars vint remplacer le maréchal de Montrevel. L'humanité, autant que la politique, lui persuada qu'il suffisait des exemples de terreur donnés jusque là, et qu'il était temps d'épargner le sang français. L'affaiblissement des camisars les disposait d'autant mieux à un accommodement, que toutes les promesses de l'Angleterre et de la Hollande n'avaient abouti qu'à des secours mesquins, et qu'on voyait enfin le duc de Savoie, sur lequel ils avaient tant compté, aux prises chez lui avec le duc de Vendôme, qui le poussait avec la plus grande vigueur. Ainsi le maréchal de Villars, avant de faire aucun usage des armes, crut devoir tenter les voies de la douceur et de la clémence. Il fit publier une amnistie générale en faveur des révoltés, offrit des passe-ports à tous ceux qui voudraient sortir du royaume, et leur permit de vendre leurs biens, soit par eux-mêmes, soit par des amis chargés de procurations, qui leur en feraient toucher le produit.

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A peine cette publication fut-elle faite, que Rolland et Cavalier offrirent de mettre bas les armes, même d'entrer au service du roi, avec la plupart de leurs amis. On convint d'une suspension d'armes, qui durerait quinze jours, et dont on assurerait l'observation par des otages réciproques: mais avant la publication de cette espèce de trève, Rolland tomba sur un bataillon du régiment de Touraine, qu'il défit. A cela près, il n'y eut aucun sujet de méfiance. Ce fut néanmoins avec Cavalier qu'on traita principalement comme avec le plus accrédité des chefs du parti. Une sorte d'éloquence emphatique et rapide, qui contrefaisait assez bien pour son grossier auditoire la manière des prophètes, en bannissait jusqu'à la première pensée de contrevenir à ses ordres. Toujours il les donnait de la part de Dieu, et toujours on les exécutait comme en étant émanés. Le maréchal envoya la Lande pour s'aboucher

avec ce fier boulanger, qui était près de Vezenobre avec huit cents hommes rangés en bataille. La Lande, qui n'était pas moins bien accompagné, rangea de même ses gens. Les deux chefs s'avancerent l'un vers l'autre à une distance égale de leurs troupes, et là, dans une conférence d'environ deux heures, on convint de tous les articles: mais pour conclure, Cavalier voulut avoir l'honneur de traiter immédiatement avec le maréchal, qui eut la condescendance de lui accorder une entrevue.

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Elle se fit dans un faubourg de Nîmes, au jardin des Récollets, après qu'on eut livré des otages pour la sûreté de Cavalier. La singularité du personnage y fit accourir toute la ville. Il parut en habit d'écarlate richement galonné, et un plumet blanc à son chapeau. Il n'était pas d'une taille avantageuse, mais il était assez bien fait, avait une physionomie heureuse, les cheveux blonds et le teint fort blanc. Le maréchal lui fit beaucoup d'accueil et s'entretint long-temps avec lui. Rolland, à son tour, demanda une entrevue, qu'on lui accorda aussi. Enfin dans une seconde conférence que Cavalier eut avec le maréchal, il fut arrêté que le roi accorderait une amnistie pleine et parfaite; qu'on formerait quatre régimens de tout ce qui restait de camisars; que Cavalier, Rolland et quelques autres de leurs chefs en seraient colonels, et comme ils insistaient fortement sur l'article de la religion, qu'on leur permettrait parmi eux l'exercice de la leur.

Comme tout allait se conclure d'une manière irrévocable, il arriva des députés hollandais dans les Cévènes. Ils ne firent que de vains efforts pour regagner Cavalier et Rolland; mais ils se retournèrent du côté d'un soldat déserteur, nommé Ravanet, qui s'était mis à la tête de l'une de leurs troupes, et qui s'était acquis, par d'heureux brigandages, la réputation d'habile guerrier. Ils lui promirent de le faire reconnaître pour chef de tous les camisars, et de lui fournir, tant de Hollande que d'Angleterre, des secours abondans pour se maintenir avec tous les gens de son parti. Ces promesses, accompagnées de plus

flatteuses encore, firent tant d'impression, non pas seulement sur Ravanet, mais sur la plupart des rebelles, qu'il ne fut plus possible à Rolland ni à Cavalier de les contenir : ainsi la négociation avec le maréchal fut rompue, la révolte se ralluma; on renvoya les otages de part et d'autre, et les hostilités

recommencèrent.

Cavalier, qui avait toujours agi de bonne foi, traîna les choses en longueur, et resta parmi les mécontens, dans l'espérance de calmer peu à peu les esprits; mais voyant enfin que l'animosité ne faisait que s'accroître, il s'échappa du milieu d'eux, fit son accommodement particulier, et entra au service du roi avec son frère, qui n'avait que quinze à seize ans, et avec cent vingt-sept de ses camarades: ce fut là tout ce qu'il put ramener de ces frénétiques. On lui donna un brevet de colonel, avec une commission de capitaine pour son frère. Il fut destiné pour l'armée d'Allemagne, et partit pour Brisach sous une escorte qu'il avait demandé lui-même : mais l'inquiétude le prit en arrivant à Besançon ; il se jeta dans la Suisse, et passa au service du duc de Savoie. Pour ce qui est de Rolland, il remit ses troupes en campagne, et s'engagea plus que jamais dans la révolte. Le maréchal, qui n'avait plus d'espérance de paix, fit observer ses démarches, et eut avis qu'il venait assez souvent, à la faveur de la nuit, voir une demoiselle des Cévènes qu'il aimait, et qui se trouvait dans une campagne aux environs de Nîmes. Ille fit si bien guetter, qu'on l'y surprit, avec cinq ou six de ses principaux officiers. Ils prirent tous la fuite; mais un dragon tua Rolland à cinq ou six cents pas de la maison. On fit le procès à sa mémoire, et son cadavre, après avoir été traîné sur la claie, fut exposé sur la roue à une porte de Nîmes; après quoi le maréchal fit publier une seconde amnistie, qui ramena un grand nombre de rebelles. Il n'en restait que trois troupes, qui toutes ensemble ne faisaient pas plus de six cents hommes, dont Ravanet était le chef principal. Le maréchal mit ses mouches à la poursuite de ce perturbateur, apprit

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qu'il était dans le bois de Bronzat, et envoya deux détachemens, qui le joignirent auprès de Massane. De trois cents hommes qu'il avait avec lui, il en perdit deux cents. Ce coup de vigueur et d'intelligence fut le dernier nécessaire. La faction en fut absolument déconcertée. Les chefs sur-tout, ou pour mieux dire, les différens capitaines se voyant poursuivis avec un danger si particulier pour leur propre personne, vinrent la plupart se rendre successivement avec leurs troupes, à condition qu'on leur permettrait de passer a Genève. Enfin, Ravanet vint lui-même implorer la clémence du roi, et demander la même permission. On la lui accorda comme aux autres. Ainsi la tranquillité fut entièrement rétablie, et les violens sectateurs de Calvin, faute de pouvoir, cessèrent d'exercer leur violence.

L'artificieux jansénisme au contraire mettait le comble à ses artifices, et tentait tous les expédiens pour s'insinuer et s'enraciner à la faveur de la supercherie et du patelinage: mais parmi toutes ses ruses, il n'y en avait point qui avançât mieux ses affaires que l'invention du silence respectueux. C'était principalement sur cette machine que portait la décision du fameux Cas de Conscience, qui avait renouvelé tous les troubles, et qui les augmentait de jour en jour. Clément XI l'avait condamnée aussitôt qu'elle était parvenue à sa connaissance. Cependant comme il n'avait publié à ce sujet que des brefs, énoncés même en termes généraux qui laissaient encore des subterfuges à la chicane, il jugea nécessaire de marquer d'une manière plus solennelle, et avec autant de précision que d'authenticité, jusqu'où les vrais catholiques doivent porter l'obéissance pour les constitutions pontificales reçues de toute l'église. Tel est le but qu'il se proposa, et qu'il atteignit assurément dans la bulle qui commence par ces mots, Vineam Domini Sabaoth.

Après y avoir rapporté les bulles d'Innocent X et d'Alexandre VII, il déplore l'opiniâtreté de ces hommes faux, qui peu contens de ne point acquiescer à la vérité, cherchent pour l'éluder tous les faux

fuyans imaginables, et ce qui est pire encore, ne rougissent point d'employer pour la défense de leurs erreurs, les décrets même portés contre elle par le saint siége apostolique; ce qu'ils ont fait principalement, continue le saint père, pour la lettre de Clément IX, en forme de bref, aux quatre évêques de France, et pour les deux lettres d'Innocent XII aux évêques des Pays-Bas : comme si Clément IX, qui déclarait dans ce même bref qu'il s'attachait fermement aux constitutions d'Innocent X et d'Alexandre VII, qu'il exigeait de ces quatre prélats une véritable et absolue obéissance, et voulait qu'ils -souserivissent sincèrement au formulaire d'Alexandre VII, avait réellement admis dans une affaire si importante quelque exception, lui qui protestait qu'il n'en aurait jamais admis aucune; et comme si Innocent XII, en déclarant avec sagesse et précaution, que les cinq propositions extraites du livre de Jansénius ont été condamnées dans le sens naturel

que le texte offre d'abord, avait voulu parler, non du sens qu'elles forment dans le livre, qu que Jansénius a exprimé, et qui a été condamné par Innocent X et Alexandre VII, mais de quelque autre sens différent; et comme s'il eût voulu tempérer, restreindre, ou en quelque façon changer les constitutions d'Innocent X et d'Alexandre VII, dans le bref même où il déclarait en termes formels qu'elles avaient été et qu'elles étaient en vigueur, et qu'il demeurait fermement attaché à ces décisions.

Le pontife ensuite attaque directement le silence respectueux; il fait observer que par ce subterfuge qui empêche de condamner intérieurement comme hérétique le livre de Jansénius, on ne quitte point l'erreur, mais on ne fait que la cacher; qu'on entretient la plaie, au lieu de la guérir ; qu'on se joue de l'église, loin de lui obéir; qu'on ouvre aux enfans de rebellion un chemin large pour fomenter l'hérésie. On en a même vu quelques-uns, ajoute le pontife, se porter à un tel excès d'impudence qu'oubliant les règles, non-seulement de la sincérité chrétienne, mais encore de l'honnêteté naturelle, ils n'ont

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