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pas craint d'assurer qu'on peut licitement souscrire au formulaire prescrit par Alexandre VII, quoiqu'on ne juge pas intérieurement que le susdit livre de Jansenius contienne une doctrine hérétique. Après cela, Clément XI prononce en termes exprès, que par le silence respectueux, on ne satisfait nullement à l'obéissance qui est due aux constitutions apostoliques.

Il serait difficile d'ajouter à la clarté de cette bulle. Cependant elle parut à peine, qu'on vit courir une lettre sous le nom d'un curé du diocèse de Paris, à un docteur de Sorbonne. L'auteur y disait avec plus d'effronterie apparemment que d'assurance véritable, qu'ayant lu et relu la bulle, il n'y avait rien trouvé qui décidât la contestation. Qui tenterait encore de convaincre des gens si aguerris contre la vérité ? La bulle ne parut pas toutefois aussi indifférente au lovaniste With, autre janséniste, qu'au curé conciliant du diocèse de Paris. Il confessa franchement que Rome ne laissait plus ni ressource, ni refuge ou subterfuge aux augustiniens: mais il s'en fallut bien que ce fût là pour lui une raison de se rendre.

Plus la constitution lui parut claire et nette, précise et décisive, plus il la jugea pernicieuse et détestable. Il en parla, il en écrivit comme d'une œuvre de ténèbres, à laquelle il ne manquait plus rien, sinon d'être adoptée et prêchée par l'antechrist, et il la dénonça solennellement comme telle à toute l'église, qui frémit d'entendre de nouveau le langage de Luther.

Louis XIV ayant reçu cette bulle, la fit remettre à l'assemblée du clergé qui se tenait alors, puis à la faculté de théologie de Paris, qui l'une et l'autre la recurent avec une soumission sincère. Sa majesté fit ensuite expédier des lettres patentes pour l'enregis trement. Elles furent présentées au parlement le 4 Septembre de cette année 1705; M. Portail, l'un des avocats généraux, donna dans son réquisitoire l'idée qu'on devait prendre tant de la bulle que de l'erreur qu'elle proscrivait. Il dit entr'autres choses,

que

que la sagesse du roi l'avait engagé à demander au souverain pontife une dernière décision capable de tarir la source d'une doctrine empoisonnée qui se reproduisait journellement sous des faces nouvelles, et de dissiper à jamais les restes misérables d'une erreur qui, n'osant plus paraître à découvert, se fortifiait avec d'autant plus de soin à l'ombre de ses malheureuses subtilités, que la constitution dont on requérait l'enregistrement, décidait que les enfans de l'église doivent rejeter de coeur et d'esprit tout ce que l'église condamne, et que jamais il ne leur est permis d'approuver, par leur signature, ce que leur coeur désavoue; qu'elle nous représentait les principes contraires, comme le comble de l'illusion ou de l'imposture, comme un tour artificieux employé par une opiniâtreté rebelle pour imposer à la religion, comme le dernier retranchement de l'erreur proscrite et fugitive, comme un asile toujours ouvert à la plus fausse doctrine, pour se sauver impunément en paraissant ne plus se défendre, pour échapper aux traits de la censure en cessant de combattre ; qu'en conséquence, le saint père condamnait ce mystère frauduleux d'un silence purement extérieur, et souvent encore mal gardé, qui ne va ni jusqu'à toucher le cœur, ni jusqu'à soumettre l'esprit ; qui est plus propre à perpétuer l'erreur qu'à la réprimer; qui n'en cache le venin que pour le répandre plus librement dans les conjonctures plus favorables, et qui ne fait consister la foi qu'à ne pas contredire en public les décisions qu'on se réserve le droit de censurer en secret.

La bulle fut enregistrée, puis envoyée à tous les évêques du royaume, qui la publièrent chacun dans son diocèse. Il n'y eut que l'évêque de Saint-Pons qui osa se singulariser, au point de justifier les vingttrois prélats qui en 1667 s'étaient déclarés pour le silence respectueux. Son mandement fut condamné par le chef de l'église.

Quoique l'assemblée du clergé eût accepté unani mement la constitution, le pape n'en parut d'abord que très-médiocrement satisfait. Dupin dit à ce suTome XII.

Y

jet (1), que le cardinal de Noailles qui la présidait, avait déclaré dans le discours qu'il y prononça, que l'église romaine ne prétend pas être infaillible dans la décision des faits, même dogmatiques, qui ne sont point révélés: mais comme ce discours, quel qu'il pût être, n'avait point été inséré dans le procès verbal (2), il ne pouvait pas être censé avoir été adopté par les prélais, et par conséquent le pape ne pouvait pas en rendre l'assemblée comptable. II paraît seulement par ce procès verbal, que les prélats commissaires, à la tête desquels se trouvait l'archevêque de Rouen, M. Colbert, établirent dans les séances des 21 et 22 Août, que les constitutions des papes obligent toute l'église lorsqu'elles ont été acceptées par le corps des pasteurs, et que cette acceptation des pasteurs se fait par voie de jugement. Comme cette clause, qui avait été approuvée par l'assemblée, pouvait dans les circonstances où on la mettait en œuvre, s'interpréter d'une manière peu favorable à l'autorité du souverain pontife, Clément XI craignit qu'on ne l'ajoutât pas sans quelques Tues obliques, à ce qu'avaient fait les assemblées précédentes en de pareilles rencontres. La dessus, il écrivit à Louis XIV en des termes qui marquaient toutes ses appréhensions; il se plaignait que les évêques ne s'étaient pas tant assemblés pour recevoir sa constitution, que pour resserrer ou plutôt anéantir l'autorité du saint siége. Le monarque, aussi prévenu que le pontife contre la marche tortueuse de l'erreur, voulut que le président de l'assemblée, six autres archevêques et cinq évêques qui avaient eu la part principale aux délibérations, donnassent une explication signée de leurs mains, touchant la clause qui avait choqué le saint père.

En conséquence de cette explication, le cardinal de Noailles dressa une lettre officielle qu'il devait adresser au pape, et dont le roi se fit préalablement rendre compte par MM. de Pont-Chartrain et d'A

(1) Hist. Eccl. du xviie siècle, t. iv, p. 499. (2) Actes de l'assemblée de 1705.

guesseau. Il y disait avoir appris avec douleur que sa sainteté pensait que sa constitution contre les erreurs janséniennes n'avait pas été reçue avec le respect et la soumission qu'on lui doit; mais qu'il déclarait que l'assemblée avait prétendu la recevoir avec le même respect, la même obéissance et la même soumission qu'on avait reçu les bulles de ses prédécesseurs sur la même matière; que l'assemblée en disant que les constitutions des souverains pontifes obligent toute l'église quand elles ont été acceptées des pasteurs, n'a point voulu établir la nécessité d'une acceptation solennelle, pour obliger tous les fidèles à les regarder comme des règles tant de leur créance que de la manière dont ils doivent s'expliquer; qu'elle n'a usé de ces expressions que pour forcer les jansenistes dans leur dernier retranchement, et faire servir une maxime dont ils conviennent eux-mêmes à leur fermer les faux-fuyans par lesquels ils tâchent de s'échapper; qu'elle n'a point prétendu que les assemblées du clergé eussent droit d'examiner les décisions des papes, pour s'en rendre les juges, en les soumettant à leur tribunal; qu'elle a seulement voulu y confronter les sentimens qu'elle a sur la foi, et qu'elle a reconnu avec une joie extrême, que les évêques de France, ainsi qu'ils écrivaient autrefois à saint Léon, avaient toujours cru et pensé de la même manière que sa sainteté s'exprime dans sa bulle; enfin, que l'assemblée avait été très-persuadée qu'il ne manque rien aux décrets des papes contre Jansenius; qu'on n'en peut appeler en aucune façon, et qu'on ne peut pas attendre qu'il s'y fasse aucun changement.

Quoiqu'il soit clair par cette lettre, avouée au moins équivalemment du clergé, que son assemblée n'avait pas prétendu juger le jugement du souverain pontife, on ne doit pas conclure de là que les évêques ne soient pas les juges de la doctrine, et de la doctrine même sur laquelle aurait prononcé le premier pasteur. Leur juridiction ne s'exerce pas sur son jugement même, mais sur les mêmes matières qu'il a jugées : ils consultent les mêmes règles que

lui, l'écriture, la tradition, et spécialement la tradition de leurs propres églises, afin d'examiner et de prononcer, selon la mesure d'autorité qu'ils ont chacun reçue de Jesus-Christ, si la doctrine proposée lui est conforme ou contraire. La bulle Vineam Domini Sabaoth est du 16 Juillet 1705.

Le 28 Décembre de l'année suivante, la mort délivra la république chrétienne du fameux Pierre Bayle, auquel survécurent malheureusement ses œuvres. Génie vaste et pénétrant, écrivain laborieux, facile et poli, plein de finesse, de lumière et d'érudition, ayant lu tout ce qu'un homme peut lire, et retenir tout ce qui peut entrer dans une mémoire, le fruit principal de tant de talens et de travaux fut, sous le nom de dictionnaire, un répertoire universel, où le libertinage et l'impiété ont trouvé leurs matériaux tout prêts pour former le monstrueux système du philosophisme, qui dans notre malheureux siècle fait regarder comme peu de chose tous les scandales donnés par ce déluge de sectes qui avait infecté les siècles précédens. Les mécréans de toute classe et de tous les grades successifs, théistes, déistes, athées, matérialistes, impies, impudiques, tous ont tiré leurs premiers élémens du dictionnaire historique et critique, ou plutôt sceptique, romanesque et burlesque; à quoi mit la dernière main ce prétendu poëte de la raison, qui n'excella que dans les raisonnemens propres à convaincre une jeunesse libertine à qui le quolibet et le sarcasme tiennent lieu de démonstration.

Qu'on apprenne donc, et d'une bouche non suspecte, d'un protestant plus décidé que Bayle, qui fut d'abord calviniste, catholique ensuite, puis encore huguenot; qu'on voie ce qu'on peut accorder de confiance à ce prothée sans forme et sans caractère, à cet oracle nébuleux qui donne à l'évidence même l'air du paradoxe. Bayle, dit le ministre Saurin, était un de ces hommes contradictoires que la plus grande pénétration ne saurait concilier avec lui-même, et dont les qualités contraires l'une à l'autre laisseront toujours en suspens entre les deux

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