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Il est encore certain par une lettre du père Sarpetri, adressée à la congrégation de la Propagande, en date du 12 Novembre 1668, que le père Prot, vicaire-provincial des Dominicains, avait donné parole qu'on s'en tiendrait à l'accord du père Navarėte (1): mais quelques-uns de ses inférieurs, entr'autres le père Léonardi, qui avait déjà résisté dans les conférences de Canton, refusa de se soumettre. Le père Navarete faussa lui-même tout ce qu'il avait accordé. S'étant échappé de sa prison de Canton, il s'enfuit jusqu'en Europe, et fit imprimer à Madrid deux volumes, où il établit bardiment tout le contraire de ce qu'il avait signé à la Chine. Le second volume fut supprimé par le saint office avant la fin de l'impression; mais le premier était déjà sorti, et avait été porté jusqu'aux Indes: il se fit alors un changement entier dans l'esprit des supérieurs et des missionnaires de l'ordre de saint Dominique. Cependant le père Sarpetri ne consultant que sa droiture inviolable, composa un traité pour rendre compte à ses confrères des raisons qu'il avait eues de signer l'accord du père Navarète avec les missionnaires jésuites, et pour les engager à le ratifier: preuve nouvelle et bien complète, si les précédentes laissaient quelque chose à désirer, pour établir la vérité de cet accord. Il en marque le temps, le lieu, les causes et toutes les circonstances, dont la suivante sur-tout mérite attention. La plupart des raisons, dit-il, sur lesquelles se fondent les Jésuites, sont tirées du livre chinois appelé Liki (2). Le père Navarète les ayant vues dans le traité du père Brancati, s'écria; Il m'a ouvert le chemin; je suis fàché de n'avoir pas su cela plutôt. Ces passages, et bien d'autres semblables, furent cités dans le livre de la Défense des nouveaux chrétiens, sans que personne, durant dix années de contestation, eût osé s'inscrire en faux.

Il ne s'agit plus que de comparer entre eux les pères Navarête et Sarpetri, pour voir à qui des deux on peut ajouter foi. On voit dans celui-ci, dont

(1) Défense des nouveaux chrétiens, p. 216. (2) Ibid. p. 279

l'histoire de son ordre parle d'ailleurs avec beaucoup d'éloge, on voit un honnête homme prévenu d'abord, revenant de ses préventions dès qu'on lui montre le vrai, et marchant toujours depuis sur la même ligne, sans connaitre ni feinte, ni détour: mais fût-il le plus faux des hommes, comment se persuader qu'il ait fait un ouvrage exprès, pour engager ses confrères à souscrire, comme passé et signé par le père Navarete leur supérieur, un acte qu'ils auraient tous vu, dès qu'on le leur eût présenté, n'être pas de la main de ce père supérieur dont ils connaissaient parfaitement l'écriture? Comment leur eût-il allégué que dans leur assemblée de Lanki, où ils s'étaient trouyés tous peu d'amées auparavant, ils avaient conclu à la pluralité des voix en faveur du sentiment des Jésuites? Comment dis je, à moins d'extravaguer, ce que son ouvrage ne témoigne certainement pas, comment aurait-il entrepris de leur persuader tous ces faits, s'ils n'avaient pas été constans, et de notoriété publique? Pour ce qui est du père Navarète, en s'abstenant de toucher à sa personne, on peut assez juger de la foi qu'il mérite, par sa conduite et par son livre. Quelle confiance d'abord peut inspirer un homme infidèle à ses propres engagemens, qui fait tout le contraire de ce qu'il avait solennellement promis, qui nie en Europe ce qu'il a confessé à la Chine, et qui dès la est convaincu d'avoir fourbé, soit à la Chine, soit en Europe? Si sa parole est en contradiction avec sa signature, sa plume y est avec ellemême dans son livre, dans ce livre qui est la source principale et presque l'unique où les auteurs de tant d'autres libelles ont ensuite puisé leurs imputations et leurs objections. On ne finirait pas, si l'on voulait rapporter toutes les contradictions qui se trouvent dans cet ouvrage, même en matière de faits. II suffira d'en rapporter une de telle nature, qu'on puisse par la présumer des autres. Il s'agit d'un point capital en cette affaire, de la cérémonie qu'on fait tous les six mois en l'honneur de Confucius, en lui présentant des viandes et des étoffes. Sur quoi le

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père Navarète dit, dans la douzième page de son second tome, qu'a l'occasion des disputes élevées entre les missionnaires, les Dominicains et les Franciscains avaient su que jamais ceux de la compagnie n'avaient permis à leurs chrétiens d'assister aux sacrifices solennels que les gens de lettres font à leur maître Confucius, quoique ces pères, ou du moins la plupart d'entre eux, supposassent que ce n'étaient pas des sacrifices. Et à trois ou quatre endroits du même livre, il dit ensuite que les Jésuites avaient attendu trente et quarante ans à s'expliquer là-dessus (1): silence, ajoute-t-il, qui ne peut provenir que d'une conscience cautérisée, et de pure malice. Que l'on compare ces deux allégations: Ils n'ont jamais permis cette cérémonie à leurs chrétiens, ou ce qui revient au même, ils en ont toujours détourné leurs chrétiens, et ils ont été quarante ans sans l'improuver, ou sans s'expliquer. Si cette contradiction n'est pas assez formelle, en voici une autre qui l'est encore davantage.

Navarète reproche aux Jésuites un silence de trente ans, peu de lignes après avoir rapporté luimême le texte d'une de leurs apologies publiée plus de trente ans auparavant : texte qui porte en termes exprès, que jamais les Jésuites n'ont consenti que leurs chrétiens offrissent à Confucius ni des viandes, ni des étoffes. Voilà le père Navarète, ou le fond qu'on peut faire sur son livre. Quand il importe à sa malignité, il est faux que ses antagonistes aient toujours détourné leurs néophytes des cérémonies solennelles qu'on fait en l'honneur de Confucius ; et quand il importe à cette malignité de se démentir elle-même, c'est une vérité que leur conscience cautérisée a retenue captive, sans s'inquiéter du scandale que causait leur silence.

Au reste, le père Sarpetri n'est pas à beaucoup près le seul dominicain qu'on ait à opposer au père Navarète. On peut dire au contraire avec une exaete vérité, non seulement que la plus saine partie, mais

(1) Ibid p. 369, 390, 453.

que la plus nombreuse partie des missionnaires de cet ordre fut long-temps de même avis que les Jésuites, touchant les cérémonies chinoises. Comme cette énumération serait infinie, on se bornera au témoignage du père de Paz, qui peut équivaloir à tous les autres, puisqu'il parle, comme il l'assure, selon le commun rapport des missionnaires de son ordre qui étaient à la Chine (1). Ce dominicain célèbre, l'oracle de l'université de Manille, et de toutes ces extrémités de l'orient, ayant été consulté par ses confrères, missionnaires au Tunquin, leur ré pondit qu'il tenait pour constant que dans ce royaume Confucius n'était pas plus regardé comme un dieu que dans l'empire de la Chine, d'où sa doctrine s'y était répandue, et qu'il avait su avec certitude, par plusieurs relations des missionnaires de son ordre, qu'à la Chine on n'attribue à Confucius ni divinité, ni aucune puissance plus qu'humaine suivant la créance commune de ceux du pays. Il raconte à ce propos, toujours sur la foi de ces relations, qu'un néophyte rendant à Confucius les honneurs d'usage, et protestant qu'il ne prétendait lui rendre que ce qu'un disciple doit à son maître, et non pas l'honorer comme si c'était un dieu, ou qu'il en attendît quelque chose, les assistans infidèles lui répliquèrent, en éclatant de rire : Pensezvous donc qu'aucun de nous attribue rien de pareil à Confucius? Nous savons très-bien que c'était un homme comme nous; si nous lui rendons nos respects, c'est uniquement comme des disciples à leur maître, en vue de la doctrine excellente qu'il nous a laissée.

Les lettrés chinois, ajoute en confirmation le père de Paz, font communément profession d'athéisme, et ne reconnaissent ni substance, ni vertu qui ne tombe sous les sens, comme autrefois les Saducéens n'admettaient ni anges, ni esprits. Il n'est donc pas possible qu'ils croient Confucius, ou son ame, en état de leur faire du bien, ni qu'ils en espèrent au

(1) Ibid. p. 329.

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cun avantage. Il raisonne de même touchant le culte des ancêtres. Je suis convaincu, dit-il, que les Chinois païens ne croient pas plus que les chrétiens, que les ames de leurs parens morts se trouvent dans les petits tableaux employés à cette cérémonie ; au moins n'est-ce pas par leur commune opinion, puisque la plupart d'entre eux prétendent que les ames ne sont ni des esprits, ni des êtres immortels. Cette attestation fut encore alléguée dans la defense des missionnaires jésuites, sans qu'on y répondît autrement que par des injures (1).

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A ce témoignage, qui pourrait suffire, puisqu'il en renferme tant d'autres, il ne sera pas hors de propos de joindre celui du vénérable père Grégoire Lopez aussi dominicain, évêque de Basilée, vicaire apostolique, puis évêque titulaire de la capitale de la Chine. Sa qualité de chinois naturel, de premier religieux, premier prêtre et premier évêque de sa nation, et d'ailleurs mort en odeur de sainteté, mérite une attention particuliere. Ministre évangélique, le plus ancien de son temps à la Chine, il avait étudié toute sa vie la matière dont il est question; et avec tous les avantages qu'il avait pour cela, on doit croire sans peine que personne n'en fut mieux instruit. Or, pour voir quel était son sentiment sur les honneurs que les Chinois rendent à Confucius et à leurs ancêtres défunts, il ne faut que parcourir les lettres qu'il en a écrites en grand nombre au pape, à la congrégation de la Propagande et au général de son ordre. On peut même s'en tenir aux deux lettres qu'il écrivit en date du 11 Juin 1684, à Innocent XI et à la Propagande : elles contiennent en susbtance tout ce qui se trouve dans les autres sur l'affaire présente.

En voici quelques traits, traduits scrupuleusement sur l'original latin qui se conserve dans les archives de la congrégation qu'on vient de nommer. Par sa lettre au pape Innocent, le père Lopez nommé depuis peu évêque de Basilée et vicaire

(1) Def. des nouveaux chrét. 2 part. p. 324, 329, 362.

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