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apostolique, informe le pontife des obstacles qu'il rencontre à l'exercice de son ministère de la part de son supérieur provincial: persuadé, dit-il, que je suis opposé à certaines opinions des pères de mon ordre, touchant les points dont on dispute à la Chine, et qu'on examine à Rome, et que je suis attaché aux sentimens contraires, qui sont ceux des pères de la compagnie de Jesus.

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La lettre plus ample qu'il adressait à la congrẻgation, donne à celle-ci tout l'éclaircissement qu'on peut désirer. Le père Lopez y déclare qu'encore qu'il n'ait consenti que par un ordre absolu du souverain pontife, à être fait évêque et vicaire apostolique, le père Calderon son supérieur provincial, et le père d'Alarcon, vicaire provincial à la Chine faisaient tous leurs efforts pour empêcher qu'il ne fût sacré, par la raison qu'il était du sentiment des Jésuites sur certains points de controverse concernant le culte civil, la religion, l'idolâtrie et la secte des gens de lettres. Ces religieux, par un faux zèle, dit-il en termes exprès, se sont mis dans l'esprit que c'était un affront et un deshonneur pour mon ordre, que moi qui suis chinois de naissance et par conséquent plus intelligent dans les caractères du pays, plus savant dans la langue, et plus habile dans la lecture des livres chinois qu'aucun des Européens ; qui sais déchiffrer le nombre presque infini des lettres chinoises, et qui en connais mieux les significations hieroglyfiques, je ne fusse pas de leur sentiment, et que je suivisse en plusieurs choses celui des pères de la compagnie de Jesus, sans considérer que l'amour de la vérité doit l'emporter sur toutes les autres considérations. Ils voudraient, ces bons religieux, qu'un homme de soixante-dix ans comme moi, que le plus ancien missionnaire de la Chine, qui s'applique depuis quarante ans à ce genre de controverse, devint le disciple de quelques-uns qui ne sont encore que des écoliers, se laissant ainsi emporter à tout vent, au lieu de ne chercher que le bien des ames. Ce qui les a si fort animés contre moi, c'est apparemment

un livre que j'ai composé depuis peu sur cette matière par les ordres réitérés de mon supérieur, où j'ai fait voir que ces pères missionnaires de mon ordre détournaient et anéantissaient le vrai séns des livres de la philosophie chinoise, par la signification prétendue littérale qu'ils leur donnaient en les traduisant, et qu'ils se précipitaient par là dans un abîme de difficultés d'où l'on ne peut sortir, se trompant eux-mêmes de gaieté de coeur, et jetant les autres dans l'erreur.

De ce témoignage du père Lopez, ainsi que de tant d'autres, s'il ne s'ensuit pas évidemment que l'opinion de ceux de ses confrères qui pensaient autrement n'était pas la plus mal fondée, on est forcé d'en conclure que le sentiment de leurs antagonistes était au moins fort plausible, et leur conduite parfaitement irréprochable. Loin même d'y trouver à redire, on aurait sujet de se plaindre d'eux, si, avant les derniers décrets de Rome, ils en avaient usé autrement : car suivant la règle donnée par la sacrée congrégation aux missionnaires de ces payslà, c'est assez que les coutumes n'en soient pas évidemment contraires à la religion et aux bonnes moeurs, Modò non sint apertissimè religioni et bonis moribus contraria, pour les tolérer dans les néophytes, pour ne tenter en aucune façon de les changer (1).

Considérons enfin ces usages en eux-mêmes, et voyons de nos propres yeux qu'au moins la superstition et l'idolâtrie n'y sont pas évidentes. Pour ce qui est d'abord de la cérémonie instituée en l'honneur de Confucius, elle consiste selon la manière de saluer à la Chine les personnes de premier ordre; elle consiste à se prosterner et à battre la terre du front devant le nom de ce philosophe, écrit en gros caractères dans un cartouche qui est exposé sur une table, avec des cassolettes et des bougies allumées. On rendait anciennement ces honneurs à la statue de Confucius; mais les empereurs s'aperce

(1) Instruc. S. Congreg. de P. F. ad vicarios apost. p. 148.

vant que le peuple commençait à la prendre pour une idole, y substituèrent le cartouche dans toutes les écoles de la Chine. Les mandarins pratiquent cette cérémonie quand ils prennent possession de leurs gouvernemens et les bacheliers quand ils reçoivent les degrés, qui ne se confèrent que tous les trois ans mais les gouverneurs des villes sont obligés, avec les gens de lettres du lieu, d'aller tous les quinze jours rendre cet honneur à Confucius, au nom de toute la nation. Il y a une autre cérémonie qui se fait avec plus d'éclat au printemps et en automne. Comme les missionnaires l'ont toujours interdite aux chrétiens, parce qu'il n'y a point de loi qui oblige à s'y trouver, il est inutile de l'expliquer en particulier. D'ailleurs elle ne diffère pas de celle que les princes et les grands pratiquent tous les six mois en l'honneur de leurs ancêtres; d'où l'on peut juger de la vénération qu'ont les Chinois pour un docteur auquel ils rendent les mêmes devoirs qu'à leurs souverains défunts.

Quant aux cérémonies qui regardent les morts, il y a trois temps et trois manières de les pratiquer. La première cérémonie se fait avant la sépulture en la manière suivante. Sur une table dressée devant le cercueil où est le corps, on place, ou son portrait, ou son nom écrit dans un cartouche, et de chaque côté, on met des fleurs, des parfums et des bougies allumées. Ceux qui viennent prendre part au deuil, saluent le défunt à la manière du pays, en se prosternant et en frappant la terre du front devant la table, sur laquelle ils mettent encore eux-mêmes quelques bougies et quelques parfums qu'ils ont apportés. La seconde cérémonie se fait chaque six mois. Sur une table rangée contre la muraille, et chargée de gradins, on voit l'image du plus considérable des ancêtres, et de part et d'autre sont écrits, sur de petites tablettes, les noms de tous les autres morts de la famille, avec la qualité, l'emploi, l'âge et le jour de la mort de chacun d'eux. Les chrétiens ont coutume de mettre au dessus de ces figures, une croix ou quelque image de déTome XII.

votion. Tous les parens s'assemblent dans cette salle deux fois l'année, au printemps et en automne. Chez les grands, il y a un appartement particulier, dit des ancêtres, réservé pour cet usage; et l'on met sui la table, du vin, des viandes, des parfums et des bougies, avec les mêmes saluts et les mêmes cérémonies que lorsqu'on fait des présens à un nouveau gouverneur, aux premiers mandarins le jour de leur naissance, et aux personnes de marque à qui l'on veut donner à manger. Pour le peuple, il se borne à conserver les noms de ses ancêtres dans le lieu le plus propre de la maison, sans autres observances.

La troisième cérémonie ne se fait qu'une fois l'an, vers le commencement du mois de Mai. Le père et la mère, avec leurs enfans, se transportent alors dans les lieux écartés où les Chinois sont dans l'usage de placer leurs tombeaux. Après avoir arraché les broussailles, ou les herbages qui environnent la tombe de leurs pères, ils réitèrent les marques de douleur et de respect qu'ils leur avaient données au moment de leur mort, et mettent sur le tombeau des viandes et du vin, dont ils font ensuite un repas.

Voilà les usages qui s'observent à la Chine depuis les premiers temps de la monarchie; et l'on ne pourrait s'en dispenser, à moins que de passer pour infame. Comme la première des vertus à la Chine est la piété filiale, qu'on y prétend maintenir par ces pratiques, ceux qui ne les observeraient point se feraient accuser de la plus odieuse ingratitude envers ceux dont ils ont reçu le jour, et seraient regardés comme des monstres indignes de la vie dont ils méconnaissent les auteurs. Ils ont encore d'autres cérémonies, auxquelles les Chinois idolâtres ajoutent quelquefois de vraies superstitions; mais n'étant pas communes à toute la nation, les chrétiens peuvent s'en abstenir, et les missionnaires ne leur ont jamais permis d'y participer. Bien plus quand les chrétiens se rencontrent par hasard avec des païens qui pratiquent ces superstitions, et qu'ils ne peuvent les arrêter, ils les désavouent hautement,

et protestent qu'ils n'y prennent aucune part. Si quelques-uns n'ont pas toujours été fidèles à cette règle, c'est à ceux qui la violent, et non pas à ceux qui la prescrivent, qu'on doit s'en prendre.

Malgré toutes ces considérations, le parti du père Navarěte, ou de son livre, se grossissait toujours sourdement à la Chine; et il acquit enfin l'an 1684, par l'arrivée des missionnaires du séminaire de Paris, le degré de consistance nécessaire pour éclater. Ces Français travaillèrent d'abord à se rendre habiles dans la langue chinoise, plus étendue elle seule et plus difficile que la plupart de celles d'Europe toutes ensemble. Il n'y a qu'un talent extraordinaire pour les langues, joint à un travail opiniâtre, qui puisse faire du plus docte européen, un bon grammairien chinois. Toutes les relations s'accordent en ce point; et l'on convenait pareillement que plusieurs Jésuites, par une longue étude et un commerce assidu avec les lettrés du pays, étaient venus à bout d'écrire d'une manière à donner de la jalousie, même aux nationaux. Les livres écrits en chinois par les pères de la compagnie de Jesus, dit le père Navarète (1), dans le livre même où il les maltraite si fort, me paraissent, non-seulement bien, mais très-bien faits. J'en loue le travail, j'en admire l'érudition, et j'ai pour eux une reconnaissance très-sincère, de ce que, sans aucune peine de notre part, nous autres franciscains et dominicains nous y trouvons de quoi profiter dans les occasions où nous en avons besoin. Si messieurs des missions étrangères souscrivirent d'abord à ce témoignage, ils ne furent pas longtemps sans le démentir; au moins quelques-uns d'entre eux s'imaginèrent bientôt en savoir assez, pour prononcer qu'aucun des Jésuites n'avait vu goutte dans les auteurs classiques de la Chine, que tous s'étaient mépris dans l'intelligence même des termes les plus essentiels.

M. Maigrot, le plus vanté pour son érudition chinoise, dont la juste mesure se fera connaître par (1) Tom. 11, p. 6, col 1, n. 1.

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