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était pas d'un grand poids: mais indépendamment de tout préjugé, Rome avait parfaitement connu que sa propre autorité pouvait bien porter une défense absolue, mais non pas prononcer absolument et doctrinalement sur le fond même des points contestés. La question roulait, non pas sur des faits dogmatiques, ou sur le sens des écrits d'un théologien dont ses juges naturels entendissent la langue mais sur un point d'histoire, ou plutôt de conjecture sur l'esprit dans lequel des peuples éloignés de quatre à cinq mille lieues pratiquaient leurs cérémonies, et sur quelques mots dont le sens était inconnu à ceux qui avaient à prononcer: on ne pouvait tirer ces lumières que du fond de l'Asie par le moyen des missionnaires qui avaient blanchi dans ces contrées; et ces missionnaires, partagés de sentiment autant que d'inclination et d'intérêts, demandaient eux-mêmes les lumières et les décisions de Rome. C'est pourquoi le saint siége apostolique, autant gouverné par l'esprit de sagesse que par l'esprit de vérité, s'est borné à régler le point de police, comme étant maître de la discipline, sans toucher au fond de la question, où il ne pouvait pénétrer. Au reste, la suppression des cérémonies quoiqu'elle pût nuire au progrès de l'évangile, fut ordonnée avec beaucoup de sagesse. Le moindre sujet de douter si elles étaient idolâtriques, l'animosité que le partage de sentiment augmentait de jour en jour parmi les missionnaires, les qualifications de fauteurs de l'idolâtrie et d'adulateurs des rois idolâtres, les infidèles témoins de ces divisions scandaleuses, et le christianisme livré à leurs dérisions e'était là sans contredit le plus grand dommage qu'il pût souffrir; et pour y mettre fin, il n'y avait point de considérations sur lesquelles on ne dût passer.

M. de Tournon, remis à Macao entre les mains des Portugais, n'eut pas à se féliciter d'être sorti de celles des Chinois. Outre la rivalité de juridiction entre ce légat du saint siége et le métropolitain portugais de ces extrémités de l'Asie, tous les Portugais étant personnellement irrités contre le légat, qui

durant son séjour à Pékin avait présenté une accusation qui tendait à leur ôter Macao, et à faire chasser leur nation de toute la Chine, on conçoit qu'ils eurent peu de ménagement pour lui et pour les personnes de sa suite. Ils ne permettaient à aucune d'elles de sortir, sans être accompagnée de surveillans très-incommodes. Ils lui signifièrent de la part du vice-roi des Indes portugaises, de l'archevêque de Goa et de l'évêque de Macao, défense de faire aucun acte de juridiction, en qualité de visiteur et de légat à latere, dans tous les lieux dépendans du Portugal. Il riposta par des excommunications, qu'il fit afficher de nuit contre l'évêque de Macao, le capitaine général, et cinq ou six autres Portugais qualifiés. Cette conduite sans doute ne fit pas finir sa captivité, dans laquelle il mourut au mois de Juin 1710, avec les sentimens de piété qu'il avait toujours fait paraître. Les excès du zèle dans les ames véritablement pieuses, ne proviennent que des bornes de leurs lumières; et Dieu ne les juge pas sur des lumières qu'ils ne sauraient avoir, mais sur la droiture de leurs intentions.

Les horreurs vomies à l'occasion de la mort du cardinal de Tournon, contre les missionnaires qui n'étaient pas de son parti, sont trop connues, pour nous dispenser d'en toucher un mot. Le livre du témoignage de la vérité (1), les anecdotes de la Chine, et les fastes du jansénisme, publiés de nos jours sous le titre d'Abrégé de l'Histoire ecclésiastique, représentent le cardinal de Tournon comme un martyr, et les missionnaires jésuites comme ses bourreaux. Ce dernier auteur ose même avancer (2), qu'avant la disgrace du prélat, et lorsqu'il était encore à Pékin dans l'attente d'une audience qu'il devait avoir de l'empereur, il se sentit empoisonné en soupant ; que le prince, informé des circonstances, ne douta point que les Jésuites n'eussent fait le coup; qu'il ordonna d'informer, et que le cardinal arrêta

(1) Témoignage de la vérité, pag. 231. (2) Hist. Eccl. de Racine, t. XIV, p. 34 et 35.

les poursuites par honneur pour la religion: fiction contradictoire, qui dès là se détruit elle-même. L'empereur, selon cet écrivain, ne doute pas sur les auteurs du crime, et selon cet écrivain aussi, il n'a pas encore fait informer : le cardinal a le crédit d'arrêter les poursuites, et l'on a vu quel était son crédit dans cette cour; on sait tout ce qui s'y passe, tout ce qu'on y pense, tout ce que le prince même a dans l'ame, et ce sont les calomniateurs attitrés de tous les orthodoxes de France, qui pénètrent ces mystères à la Chine. Ils font même faire des révélations et des confidences aux sectateurs ou fauteurs de leur hérésie (1), par un prélat vertueux qui a passé constamment pour la détester, qui a toujours eu en horreur leur rebellion contre les décisions de l'église. Ainsi l'honneur même du cardinal de Tournon veut qu'on regarde ces prétendus confidens, comme des aventuriers et des faussaires. En voilà bien assez contre une imputation regardée enfin comme calomnieuse par le monde entier, à la seule exception des hérétiques, et des simples abusés par les hérétiques.

Ils se flattaient, n'en doutons point, ces sectaires menteurs, de tourner, à force d'impostures, toute l'animadversion du siége apostolique contre les crimes supposés aux missionnaires de la Chine, de se faire regarder comme les défenseurs de ses décrets de discipline, tandis qu'ils foulaient aux pieds les décisions dogmatiques qu'il avait infiniment plus à coeur, et à la faveur de cette diversion, d'échapper aux foudres de Rome, ou du moins de sauver le palladium de la secte, si l'on peut s'exprimer ainsi, c'est-à-dire, le livre des Réflexions morales, qui en faisait la dernière ressource. Leur espoir fut vain, La colonne de la vérité ne tire pas son appui des suppôts de l'erreur. L'église rejette les services des sectes, ou du moins ils ne leur gagnent point sa faveur, et ne leur en obtiennent même aucun ménagement. A la confusion des calomniateurs de l'église

(1) Anecd. t. 111, p. 38, 39, 40, 41.

374 de Chine ét de ses fondateurs, Clément XI, durant le plus grand feu de la calomnie, prononça, le 13 Juillet 1708, une première condamnation contre les Réflexions morales, c'est-à-dire, contre la traduction du nouveau Testament faite en français par le père Quesnel, avec des réflexions morales sur chaque verset.

HISTOIRE DE L'EGLISE.

HISTOIRE

DE L'ÉGLISE.

LIVRE QUATRE-VINGT-QUATRIÈME,

Depuis le premier décret du saint siége contre les Réflexions morales en 1708, jusqu'à la publication de la bulle Unigenitus en 1713.

TOUTE la doctrine du vaste livre de Jansenius avait

été habilement refondue dans les Réflexions morales de Quesnel; ainsi l'on pouvait abandonner Jansénius à son mauvais sort, sans que le jansénisme en souffrît, pourvu que le livre des Réflexions subsistât (1). Ce chef-d'oeuvre d'artifice ne fut pas porté du premier coup à sa perfection, ni à ce haut point de crédit que bien des mains différentes lui concilièrent successivement. Ce n'était presque rien à sa naissance, lorsqu'il fut approuvé, en 1671, par M, Vialart, évêque de Châlons-sur-Marne. Tout consistait en un petit volume, que ce prélat n'approuva même qu'après y avoir fait mettre plusieurs cartons. Les docteurs Hideux et Dupin l'approuvèrent, sans tant de réserve, en 1687. Cette bonne fortune fit multiplier les éditions, et grossir l'ouvrage jusqu'à la concurrence de quatre volumes. Ils furent retouchés

(2) Déposit. de l'imprim. du 7 Nov. 1713. Sentence du baill. de Châl. 2 Mai 1717.

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