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par la plume élégante de l'abbé du Guet, et parurent avec éclat en 1693, dédiés à M. de Noailles, alors évêque de Châlons, et revêtus de l'approbation la plus honorable qu'il pût leur donner. Pour les autoriser dans son diocèse, il publia un mandement, où parlant à ses curés, il faisait de ce livre funeste l'éloge suivant : On y trouve ramassé tout ce que les saints pères ont écrit de plus beau et de plus touchant sur le nouveau Testament, et l'on en fait un extrait plein d'onction et de lumières. Les plus sublimes vérités de la religion y sont traitées avec cette force et cette douceur du Saint-Esprit, qui les fait goûter aux cœurs les plus durs. Vous y trouverez de quoi vous instruire et vous édifier; vous y apprendrez à enseigner les peuples que vous avez à conduire. Ce livre vous tiendra lieu d'une bibliothèque entière.

On a vu qu'aussitôt qu'il eut acquis une certaine célébrité, tout le monde chrétien en jugea bien différemment de son approbateur. Tous ceux qui n'étaient pas dans les mêmes dispositions que ce prélat à l'égard de l'auteur, prétendirent que cet artificieux écrivain n'avait eu pour but que d'insinuer en mille façons différentes les dogmes proscrits du jansénisme, d'en accréditer la schismatique discipline, et d'en représenter les sectateurs comme des saints persécutés par toutes les puissances. Dans le fond, il ne fallait pas être bien clair-voyant pour en prendre cette idée; elle naît d'elle-même à la première lecture de l'ouvrage, pour peu qu'on ait de connaissance des faits et des matières du temps. Les Saint-Cyran, les Arnaud, les Gilbert, et le fugitif Quesnel lui-même, y sont peints des couleurs les plus reconnaissables, comme les Elie et les JeanBaptiste de leur temps, et les personnages les plus respectables de l'église et de l'état, comme les scribes et les pharisiens, comme les Caïphe, les Pilate et les Hérodes.Iln'était point de lecteur tant soit peu instruit des poursuites de Louis XIV contre le jansénisme qui ne trouvât ce monarque représenté presque à chaque page comme le persécuteur de la vérité. On

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y retrouvait d'une manière aussi visible les principes schismatiques du richérisme concernant l'excommunication. Il enseignait de même qu'on ne résiste jamais à la grâce, et qu'on n'y peut pas même résister, ce qui renferme tout le jansénisme; que la grâce sans laquelle on ne peut rien, manque aux justes qui tombent dans le péché ; que Jesus-Christ n'est mort et n'a prié son père que pour le salut des prédestinés; que dans l'attrition, l'amour propre et la cupidité sont les seuls principes de la crainte, dont le concile de Trente dit néanmoins qu'elle procède du Saint-Esprit, et dispose à la grâce de la justification. C'est ce que fit toucher au doigt un écrit publié en 1705, sous un titre assorti à l'audace qu'on avait à confondre (1).

Un avertissement si énergique réveilla le zèle des premiers pasteurs. Ils examinèrent l'ouvrage qui excitait ce scandale, ils en reconnurent le venin sans peine, et deux d'entre eux, l'archevêque de Besançon et l'évêque de Nevers, donnèrent des mandemens exprès pour le condamner. Ce dernier marquait plusieurs endroits où l'on insinuait des erreurs vingt fois proscrites, où l'on prenait à tâche d'inspirer aux fideles un esprit de révolte contre l'autorité des puissances tant séculières qu'ecclésiastiques.

Au bruit des nouveaux scandales de la France, le chef de toute l'église ordonna qu'on reprit l'examen du livre qui les causait, et qu'on lui avait déjà déféré assez long-temps auparavant. Les cardinaux et les théologiens, chargés de cette commission, déclarèrent, après toutes les discussions convenables, que l'esprit de schisme et d'erreur n'avait pu dicter un ouvrage plus substantiellement mauvais ; qu'il n'était pas susceptible de correction, et qu'il fallait en défendre absolument la lecture. Ils avaient reconnu, et rendaient pour raison de leur rigidité, que le texte des livres saints y était altéré en mille endroits, quelquefois entièrement corrompu, et tel que dans la version réprouvée de Mons; que tant les notes

(1) Quesnel, Séditieux hérétique, part. 2.

que les réflexions offraient à chaque page une doetrine séditieuse, téméraire, scandaleuse, erronée, et manifestement jansénienne. Conformément à cette consultation, le souverain pontife, par un bref du 13 Juillet 1708, proscrivit cet ouvrage avec une rigueur extraordinaire. Il ne se contenta point d'en défendre l'impression, le débit et la lecture, sous peine d'excommunication encourue par le seul fait; mais pour anéantir, s'il était possible, jusqu'au dernier vestige d'une production si pernicieuse, il ordonna d'en rapporter tous les exemplaires aux ordinaires des lieux, ou aux inquisiteurs de la foi, pour être brûlés sur le champ. C'est cette clause, contraire aux usages de la France, où ces exécutions temporelles sont réservées à la puissance du même ordre, qui empêcha que le bref ne fût reçu dans ce royaume.

L'auteur et les approbateurs divers ne laissèrent pas d'être fort mortifiés de cette condamnation. Le parti, à qui les fictions et les allégations hasardées ne coûtaient rien, publia qu'au moyen des éditions qui s'en étaient faites dans les états protestans, il avait été falsifié en beaucoup d'articles; que ce que Rome avait censuré, n'était ni la doctrine véritable de l'auteur, ni le sentiment des approbateurs. C'est ce qui fut inséré en particulier dans le journal de Verdun, intitulé, La Clef du cabinet des princes (1). Mais la prudence demandait au moins qu'en faisant un mensonge officieux, on fût assuré de n'être pas démenti par ceux qu'on prétendait obliger. L'apologiste serviable, si toutefois il n'était pas vénal, fut très-mal payé de ses bons offices. Son détour déplut à un écrivain de la confraternité, et le mit de trèsmauvaise humeur contre le journal, qu'il appela une rapsodie décorée d'un titre fanfaron, et qu'il démentit de la manière la plus formelle, en déclarant qu'on n'avait jamais imprimé les Réflexions morales dans aucun pays hérétique (2). Il prend néanmoins

(1) Journal d'Octobre 1708. (2) Entretien sur le décret de Rome, contre le nouveau Testament de Châlons.

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un autre tour pour arriver au même but: il pourrait être arrivé, dit-il, que les dénonciateurs ennemis de la personne du père Quesnel, et même de la saine doctrine, pour rendre l'une et l'autre odieuses, auraient substitué des exemplaires falsifiés par euxmêmes, à ceux qui sont imprimés par les ordres de M. l'archevêque de Paris. Cet expédient vaut-il mieux que celui du journaliste? Mais qu'importent les droits de la raison, et les intérêts même des frères, mis en concurrence avec ceux de l'amour-propre et de l'orgueil, divinité suprême des sectes?

Il ne paraît pas que ce nouveau défenseur espérât porter grande atteinte à la censure pontificale dans l'esprit des catholiques, puisqu'il attaque en furieux l'autorité même de cette censure. Elle n'est, ainsi a-t-il l'insolence de s'en expliquer, elle n'est qu'un ouvrage de ténèbres, et l'entreprise d'une horrible cabale. Tout s'y est fait furtivement, et l'on ne peut regarder une pareille conduite de la cour de Rome, que comme un attentat scandaleux. Cette cour, ajoute-t-il en schismatique absolument démasqué, ést le théâtre des passions humaines, autant et plus que les autres cours, et ses décrets ne sont recevables que lorsqu'on ne voit rien dans les circonstances du jugement qui puisse faire soupçonner qu'il soit l'effet de l'intrigue et de la passion.

Comme le saint père n'avait condamné qu'en général le livre de Quesnel, sans noter aucune proposition en particulier, il parut à Paris une lettre adressée à sa sainteté, dont l'auteur prenait le nom de Guillaume-François, prêtre en France. Ce prêtre en France suppliait humblement le pontife romain de considérer la plaie profonde que son décret faisait à l'église, de présider en personne au nouvel examen qu'on devait faire des Réflexions morales de ne point toucher au corps de l'ouvrage, mais de censurer en particulier chaque proposition condamnable, s'il en trouvait quelques-unes. Il paraît que le parti, au moyen de ce personnage, se praposait moins d'obtenir grâce que de faire injure, sentant fort bien que la voix du prêtre en France

aurait le sort de celle qui retentit dans le désert; ou à l'oreille des sourds. C'est au moins ce que témoigna un de ses truchemens, le même qui s'en était déjà expliqué contre le journaliste verdunois., et qui avertit le public que ce n'est plus la mode à Rome de révoquer les jugemens injustes (1).

Dans la même année 1708, le saint siége, par un autre décret du 25 de Septembre, proscrivit les Institutions théologiques du père Juénin de l'Oratoire. L'évêque de Chartres les condamna le même jour; le cardinal de Bissy, le 16 Avril 1709. Elles ont encore été censurées depuis par les évêques de Laon, d'Amiens, de Soissons, et quantité d'autres. Ce qui marque encore mieux à quel point elles sont infectées du jansénisme, c'est que, malgré tous les voiles dont l'auteur a tâché de se couvrir, le cardinal de Noailles en ordonna la correction l'an 1706. Ni les décrets, ni les bulles du saint siége ne purent cependant réduire l'opiniâtreté du parti. Ce n'étaient pas seulement les docteurs qui résistaient à la voix de Pierre, et de tous les successeurs des apôtres, mais des laïques, mais de simples femmes, et sur-tout les vierges de Port-Royal des Champs ne reconnaissaient plus que leurs séducteurs pour pape et pour évêques. Le monastère de la ville avait changé de doctrine, ainsi que de régime; mais celui des champs n'en était devenu qu'un arsenal mieux fourni, qui sans fin et sans jamais s'épuiser, fournissait des armes à la séduction. La bulle Vineam Domini Sabaoth ayant proscrit si nettement le silence respectueux dans lequel se retranchaient ces vierges abusées, on les pressa d'abandonner enfin ce refuge ruineux, qui ne pouvait plus que les accabler de ses ruines. Elles signalèrent contre cette constitution la revolte qui leur en avait fait mépriser tant d'autres. Jamais il n'y eut moyen de les engager à l'accepter purement et simplement. Elles persistèrent, avec la même opiniâtreté, à ne vouloir point reconnaître pour leur supérieure l'abbesse de Port

(1) Entret. sur le Décr. etc. p. 176 et 177.

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