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nous en avons fait, nous y avons remarqué plusieurs autres propositions qui ont beaucoup de ressemblance et d'affinité avec celles que nous venons de condamner, et qui sont remplies des mêmes erreurs. De plus, nous y en avons trouvé beaucoup d'autres qui sont propres à fomenter la désobéissance et la rebellion, qu'elles insinuent sous le faux nom de patience chrétienne, par l'idée chimérique d'une persécution qui règne aujourd'hui. Enfin, ce qui est plus intolérable dans cet ouvrage, nous y avons vu le texte sacré du nouveau Testament, altéré d'une manière souverainement condamnable, et conforme en beaucoup d'endroits à la traduction française de Mons, condamnée depuis long-temps; et l'on a porté la mauvaise foi jusqu'à détourner le sens naturel du texte, pour y substituer un sens étranger et souvent dangereux.

A ces causes, conclud le pontife, en vertu de l'autorité apostolique, nous défendons et condamnons ledit livre, sous quelque titre et en quelque langue qu'il ait été, ou soit jamais imprimé, en quelque édition et en quelque version qu'il ait paru ou puisse paraître, comme étant très-propre à séduire les ames innocentes par des paroles pleines de douceur, et comme dit l'apôtre, par des bénédictions, c'est-à-dire, par la fausse image d'une instruction remplie de piété. Nous condamnons de même tous les autres livres ou libelles, manuscrits ou imprimés, et, ce qu'à Dieu ne plaise! qui s'imprimeraient dans la suite pour la défense dudit livre. Nous défendons à tout fidèle de les lire, de les copier, de les retenir, d'en faire usage, sous peine d'excommunication, qui s'encourra par le seul fait.

Clément XI, comme autrefois le concile de Constance en condamnant les erreurs nombreuses de Wiclef et de Jean Hus, n'entreprit pas d'assigner à chacune des cent une propositions de Quesnel, sa qualification ou censure particulière, ce qui n'eût pas eu de fin: mais ce qui suffisait pour paître sûrement le troupeau du Seigneur, et lui faire éviter les pâturages empoisonnés, il comprit les cent une

propositions en général sous les mêmes qualifications, non pas que chacune des qualifications se. puisse appliquer àchaque proposition en particulier, mais en ce sens, qu'il n'y aucune de ces propositions censurées, qui ne mérite au moins l'une des qualifications portées par la censure, et aucune des qualifications portées par la censure, qui ne convienne à quelqu'une des propositions censurées.

Nous n'entrerons point dans les détails infinis de ces propositions, et moins encore entreprendronsnous d'en justifier la censure. Les jugemens de l'église, comme ceux de Dieu qui les dicte, sont droits, et se justifient par eux-mêmes. Il suffit au fidèle qu'elle ait prononcé : Quiconque exige davantage, doit être regardé comme un infidèle. Il peut toutefois être utile aux simples de connaître en particulier le venin de quelques-unes de ces propositions, au moins de celle qui est la plus capable de leur imposer. C'est la quatre-vingt-onzième, suffisante elle seule pour tenir en garde contre les autres. Quoi de plus innocent au premier coup d'oeil, que cette proposition isolée, la crainte d'une excommunication injuste ne doit jamais nous empêcher de faire notre devoir? Mais qu'on observe comment elle est amenée, ce qui la suit, ce qui la précède, ce qui en fixe le sens, et l'on reconnaîtra sans peine qu'elle est injurieuse aux puissances ecclésiastiques, qu'elle inspire le schisme et la rebellion, en faisant naître, selon les termes de la bulle, l'idée chimérique d'une persécution exercée, au sein même de l'église, contre les fidèles qui marquent le plus de courage dans l'accomplissement de leurs devoirs.

Dans les principes du père Quesnel et de son livre, toute excommunication portée, suivant l'usage de l'église, par le pape où les évêques, est radicalement injuste, à raison du pouvoir qu'ils s'arrogent injustement d'en user ainsi. C'est ce qui suit clairement de la quatre-vingt-dixième de ses propositions condamnées, portant que c'est à l'église qu'appartient l'autorité de l'excommunication, pour l'exercer par les premiers pasteurs, du con

sentement au moins présumé de tout le corps, et par conséquent des simples fidèles. Si donc les premiers pasteurs n'ont ce consentement, et ils n'ont certainement pas celui des jansénistes qu'ils excommunient, et qui prétendent bien faire partie du corps de l'église, il est clair en ce sens qu'alors ils usurpent le pouvoir d'excommunier, qu'ils n'ont pas la juridiction nécessaire pour cela, que ces excommunications sont injustes. On peut remarquer en passant l'opposition de ces principes avec ceux du concile de Trente, qui traite d'erreur pernicieuse celle qui étend le pouvoir des clefs à tous les membres de l'église en général (1). Clément XI, dans ses décisions, pouvait-il suivre un meilleur guide?

Nous ne pousserons pas plus loin nos réflexions. Plus on confondrait les chicanes d'obstinés et artificieux.novateurs, plus on leur donnerait lieu d'en former de nouvelles. Nous avons présenté ce qui était nécessaire pour diriger la foi des fidèles, en usant même de toute la réserve compatible avec les intérêts essentiels de l'église : mais dès là nous avons rempli au moins notre objet capital. Du reste, on doit craindre de rallumer un feu peut-être mal éteint, et de ranimer des contentions qui déjà n'ont causé que trop de scandale.

(1) Conc. Trid. Sess. xiv, cap.

3 de Pœnit.

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Depuis la publication de la bulle Unigenitus en 1713, jusqu'à la mort de Clément XI en 1721.

Au premier bruit d'une bulle fulminée contre un

livre auquel était comme attaché le destin du jansénisme, tout le parti fut dans la consternation: mais rien ne fut égal à la surprise et au chagrin de l'archevêque de Paris. Alors, mais trop tard, il se repentit d'avoir pris moins de confiance au cardinal de la Trémouille, qu'aux vils brouillons qui lui avaient assuré qu'on ne parlait de bulle que pour lui faire peur. Ses regrets redoublèrent encore, lorsqu'il apprit de ce cardinal, que par un mandement contre le livre condamné, il aurait arrêté la bulle. Il fit alors, sans gloire et sans fruit, ce qu'il aurait pu faire un peu plutôt avec autant de mérite que d'avantage. Avant qu'on eût reçu en France aucun exemplaire de la constitution, il publia un mandement, où il déclarait que pour tenir sa parole, il condamnait le livre des Réflexions morales. Cependant la peur ou l'étonnement qui l'engageait à cette démarche, perçait par bien des endroits. Il n'attribuait aucune erreur à cet ouvrage, il n'imposait aucune peine à ceux qui contreviendraient au man

dement, il n'ordonnait pas même qu'on le lût au prône, ni qu'on le publiât en aucune des formes accoutumées. Tel est le fruit ordinaire des incertitudes et des tergiversations en matière de devoir c'est-à-dire, un surcroît de honte ajouté à ce qu'une fausse délicatesse avait prétendu s'en épargner. Combien ne surviendra-t-il pas encore d'incidens qui donneront lieu à la même réflexion sur le même prélat!

Quand la constitution fut parvenue entre les mains du roi, qui en reçut quatre exemplaires, avec un href de sa sainteté (1), son premier soin fut de vérifier si ce qu'il avait requis par rapport aux usages du royaume, se trouvait ponctuellement observé. Après un examen très-exact, on reconnut qu'il n'y avait pas un seul terme qui pût faire ombrage. Ainsi le monarque, en répondant au bref du saint père, lui témoigna toute la satisfaction avec laquelle il s'était convaincu que jamais Rome n'avait plus judicieusement ménagé ses termes. Le marquis de Torcy, ministre des affaires étrangères, s'empressa, de son côté, à féliciter le cardinal de la Trémouille, de l'honneur qu'il s'était acquis dans la manière dont la bulle 'avait été dressée.

La cour ensuite ne songea plus qu'à procéder à l'acceptation d'une bulle si désirée. Il fut d'abord question de l'envoyer à tous les métropolitains du royaume, avec injonction de former, chacun avec ses suffragans, des assemblées provinciales, où ils conviendraient entre eux de la manière dont se ferait l'acceptation: mais en faisant ainsi procéder chaque province séparément, sans être auparavant convenu dans l'épiscopat d'une formule d'acceptation commune pour tous les évêques, il était à craindre que tant de formules différentes ne fournissent quelques subterfuges à l'erreur dans un parti qu'on savait attentif à s'accrocher à tout. Dans cette appréhension, le roi fit rassembler à Paris, le 16 Octobre 1713, un grand nombre d'évêques : on établit le cardinal

(1) Hist. de la Const. liv. 1, p. 137 et suiv. édit. de 1791.

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