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tife ceux qu'il croyait utile qu'on élevât aux dignités ecclésiastiques, et même à la pourpre. Il le faisait souvent à leur insu, et toujours en vue du bien public. (1)

Ce motif l'engagea à rendre service à plusieurs personnes d'Allemagne, car il était profondément affligé des défections sans nombre que la religion souffrait dans ces vastes contrées. Ne pouvant être utile aux dissidents, il s'efforçait de rendre plus fidèles ceux qui avaient persévéré dans la foi. C'est ce qui le porta à favoriser Georges, duc de Bavière, et Guillaume, duc de Saxe: il n'eut point de repos qu'ils ne fussent comblés d'honneurs et de dignités. Il appuya leurs représentants dans leurs négociations auprès du Souverain Pontife. Ces princes furent si contents de ses services qu'ils lui écrivirent souvent dans les termes les plus affectueux. (2)

Il avait tant à cœur la paix de l'Église, que, malgré son état maladif, il se rendit avec Paul III à la conférence que CharlesQuint et François I eurent à Nice. (1538) Une trève de dix ans y fut conclue. Le Pape retourna à Rome, et, avec sa permission, Sadolet alla à Carpentras pour remettre et fortifier sa santé, et surtout pour visiter son Église et revoir ses diocésains qui lui tenaient tant à cœur. Il y resta plus longtemps qu'il n'avait dessein de le faire; et afin de se rendre utile à l'Église, il entreprit un travail très-remarquable et bien adapté aux circonstances, sur l'Edification de l'Église catholique. C'est le titre qu'il lui donna. Il le dédia à Jean Salviat son collègue et son ami. Ses occupations et ses voyages l'empêchèrent de mettre la dernière main aux trois premiers livres, et même de commencer le quatrième, qui dans sa pensée devait couronner l'ouvrage.

Il fut rappelé à Rome, et la guerre ayant recommencé entre François I et Charles-Quint, le Pape l'envoya en France pour travailler à la paix. Le roi l'accueillit avec bonté et reçut avec respect les avertissements du Souverain Pontife. Après quelques conférences, Sadolet eut la consolation de le voir pencher vers la paix. Elle aurait été conclue si le cardinal Contarini, envoyé en même temps et pour le même objet en Espagne, n'avait com

(1) Ant. Florebell. Vila J. Sadoleti.

(2) Cum sedulitate sua iis qui tum ab Ecclesia penitus alienati erant, prodesse nihil posset, enixe operam dedit ut eos saltem qui sua sponte in recta religione permanserant, officiis suis etiam amiciores et firmiores redderet. (Florebell. Vit. Sadol.)

plétement échoué. Sadolet vint passer l'hiver à Carpentras et s'y reposer de ses fatigues, le Pape le lui ayant permis. L'été suivant, il alla en Italie au grand regret de ses diocésains. La douleur qu'il éprouva en se séparant d'eux ne fut pas moins profonde, car il les aimait tendrement. « Je vis au milieu de ces peuples, écrivit-il (1539), je les aime d'un amour de père, et il me semble qu'ils m'aiment comme des enfants. Ces sentiments d'une mutuelle affection rendent la vie heureuse, surtout quand on les rapporte à Dieu seul, unique et souverain bicn.» (1)

D'autres causes le retenaient à Carpentras: il y avait attiré sa famille et il en était l'unique soutien. Si je reste si volontiers ici, écrit-il au cardinal Farnèse, c'est que je m'y trouve au milieu de personnes que bien des motifs me rendent infiniment chères, et que ma présence est très-avantageuse à ces peuples. Mes travaux et mes veilles les maintiennent en paix, et éloiguent d'eux les impies qui s'efforçent de renverser la religion catholique. Ce malheur serait déjà arrivé pour un grand nombre, si je ne m'étais trouvé sur les lieux. Ce n'est pas seulement à eux mais aux peuples voisins que je suis utile: ma présence suffit pour en écarter nos ennemis. (2)

Le Pape, instruit de son zèle pour la foi, lui envoya les plus amples pouvoirs pour rechercher les hérétiques et les faire punir. Il reçut avec tout le respect possible cette marque de confiance donnée par le Souverain Pontife; il pria le cardinal Farnèse de l'en remercier pour lui, et en même temps il lui écrivit : Pour ce qui est d'user de ces pouvoirs, je le ferai si c'est nécessaire; mais j'espère n'en avoir pas besoin. Les armes dont je me sers plus volontiers sont moins effrayantes, et par là même, je crois, plus puissantes pour faire impression sur les esprits égarés et les ramener à la vérité. Ce n'est pas la terreur ni la force des tourments, mais celles de la vérité et surtout la douceur chré

(1) Quæ amoris consensio vitam beatam facit, præsertim cum est ad Deum et ad summum bonum relata. (J. Sadol. Epist.)

(2) Dico igitur me huc manere non invitum: quod et inter amantissimos mei versor, et multa quotidie ex me commoda atque adjumenta his populis proveniunt : quod diurnis nocturnisque meis cogitationibus hoc consequor ut et pace et concordia eos contineam: et propulsem hinc impios, qui veritatem Catholicæ Religionis conantur evertere; quorum nisi huc venissem, magna jam copia in his locis existeret. (J. Sadol. Epist. p. 779.)

tienne qui amènent à faire cette confession qui vient du cœur et non du bout des lèvres. » (1) Il ne s'écarta jamais de ces principes; aussi eut-il le rare bonheur, dans ces temps de troubles et de dissensions religieuses, d'être honoré et même aimé des ennemis de l'Église, alors même que par ses éloquents écrits i les combattait et cherchait à les convertir. Il serait difficile de trouver dans tout le XVIe siècle une âme plus noble, plus belle, plus pure, plus tendre que la sienne. On admire d'autant plus ce grand homme qu'on l'étudie davantage dans sa vie privée, dans ses écrits, dans le témoignage de ses contemporains. Il faut franchir tout un siècle pour rencontrer un prélat qui lui ressemble; c'est Fénelon. Sadolet a été le Fénelon du XVIe siècle.

Les habitants de Cabrières, menacés par les troupes que le Vice-Légat d'Avignon faisait marcher contre eux, eurent recours à sa douceur et ne furent point trompés dans leur attente; ils éprouvèrent bientôt les effets de sa protection. Heureux si les mauvaises passions qui les agitaient, n'eussent pas fait repentir ce prélat de s'être employé en leur faveur. Reprenons les choses de plus haut.

Sur la fin du XVe siècle, on découvrit dans quelques lieux de la Provence, principalement dans les parties méridionales des diocèses de Cavaillon et d'Apt, un reste de ces anciens hérétiques qui sous les diverses dénominations de Pauvres de Lyon, de Lollards en Angleterre, d'Insabatés en France, de Turlupins en Flandre, de Chiennards en Piémont et en Dauphiné, excitèrent de grands troubles dans tous ces pays: leur doctrine était un assemblage monstrueux de plusieurs erreurs déjà condamnées. Un grand nombre de ces familles, chassées de leur pays par le duc de Savoie, furent attirées par le seigneur de Cental qui possédait de grands biens dans ces contrées et en Provence, et vinrent s'établir autour du Luberon dans une vallée que for

(1) Istius potestatis, si necesse erit utar; dabo operam tamen ne sit necesse, nam quibus armis libentius utor, ea ut leviora sunt ad opinionem atque conspectum, ita ad convincendos improborum animos longe sunt validiora: cum non terror ab illis neque supplicium, sed veritas ipsa et Christiana imprimis mansuetudo, confessionem erroris corde magis quam ore prolatam exprimit. (Jac. Sadolet. Epist. p. 779.)

ment les limites du Comtat et de la Provence, entre Apt et Cavaillon (1), et qui du nom de ces nouveaux venus fut appelée Val-Masque. Ces familles se fixèrent à Cabrières, Gordes, Goult, Lacoste, Mérindol, Bonnieux, Ménerbes, Oppède, St-Phalès et Buoux. Elles défrichèrent avec beaucoup d'intelligence et mirent en rapport les terres que les seigneurs et les particuliers leur donnèrent; insensiblement elles se multiplièrent et elles s'étendirent. Quelques-unes s'enrichirent par leur travail et leur industrie : nous avons déjà eu occasion d'en parler ailleurs.

Ces Vaudois avaient conservé dans leur nouvel établissement les erreurs qu'ils y avaient apportées. On les voyait rarement à l'église et lorsqu'ils y paraissaient, ils s'y tenaient sans respect. Ils ne faisaient jamais le signe de la croix ; ils ne se servaient point d'eau bénite; ils n'honoraient ni la croix de Notre-Seigneur ni les images des Saints; ils ne reconnaissaient ni le Pape ni les évêques. Au lieu de prêtres et de curés, ils avaient des ministres qui sous le nom de Barbes présidaient aux exercices de leur religion qu'ils faisaient en secret. Les naturels du pays ne purent se résoudre à former des relations avec eux, rebutés par leur opposition à l'ancien culte et par la rudesse de leur maintien. Cependant comme on les voyait tranquilles et réservés, qu'ils payaient assez exactement les impôts et les redevances seigneu-riales, et que d'ailleurs ils étaient fort laborieux, on ne les inquiétait point au sujet de leurs erreurs et de leur croyance. Ce ne fut que pour les sujets de plaintes qu'ils commencèrent à fournir dès l'an 1533, que se fit contre eux la rigoureuse expédition dont nous allons donner le détail.

Les auteurs protestants, Sleidan entre autres (2), ont singulièrement défiguré ce récit; le continuateur de Fleury (3), et Gaufrédy, historien de Provence (4), se sont beaucoup trop rapprochés d'eux. La Popelinière (5) et le Président de Thou (6) méri

(1) Bossuet, Hist. des Variations. liv. x1, 2, 3, 4.

(2) Sleidan. Hist. Eccl.

(3) Fleury. Hist. Eccl.

(4) Gaufrédy. Hist. de Provenc.

(5) La Popelinière.

(6) Ilist. Thuana.

tent le même reproche. Nous aimons mieux suivre le P. Fantoni (1), qui a dressé son récit sur des Mémoires fidèles, et, mieux encore, ce qu'en disent les Bollandistes dans la vie de Saint Pie V (2) que le P. Justin (3) n'a pas assez consultée.

Tandis que l'ennemi de tout bien jetait cette funeste semence dans le champ du père de famille, on se reposait sur la foi des siècles passés, et on ne pensait nullement à s'opposer aux progrès de l'hérésie; il était difficile de prévoir qu'une si faible étincelle causât un si grand incendie. Depuis longtemps les évêques de Cavaillon ne résidaient plus; les cardinaux Pallavicini et Jérôme Ghinucci occupés des affaires générales de l'Église, ne parurent jamais dans leur diocèse. Nous avons vu Marius Maffée passer une partie des douze années de son épiscopat en Italie où il mourut. Cette absence des premiers pasteurs entraîna les plus grands désordres. Le clergé tomba dans un déplorable relâchement; les chanoines n'étaient plus assidus au chœur, les curés croupissaient dans l'ignorance et n'instruisaient plus les peuples, le culte se célébrait sans majesté et les clercs vivaient sans décence. Les grands vicaires chargés du gouvernement du diocèse, étaient d'une indifférence si coupable qu'ils ne pensèrent même pas à destituer et à remplacer le curé de Mérindol après l'apostasie la plus scandaleuse. Tel était l'état déplorable du diocèse de Cavaillon, lorsque Pierre Ghinucci vint prendre possession de cette église. (1541) Ce prélat, frère de Jérôme Ghinucci, s'empressa de remédier à de si grands maux; mais la contagion était si invétérée qu'il trouva partout une résistance opiniâtre. Le gouvernement civil entreprit alors de réduire par la force ces esprits obstinés.

Cependant les Vaudois de la Valmasque, ainsi appelés parce que les hérétiques qui l'habitaient étaient regardés comme des sorciers, ayant appris le succès des armées luthériennes, envoyèrent Georges Morel et Eustache Maron en Suisse et en Allemagne, pour faire alliance avec les révoltés, et pour conférer sur les doctrines avec OEcolampade, Bucer et Capiton, regardés comme les principaux du parti. Maron fut arrêté à Dijon, Morel retourna

(1) Fantoni. Istor. d'Avig. e del Con. Venesi. part. 1. lib. III. pag. 363.

(2) Boll. Acta Sanct. die 1 maii.

(3) P. Justin. Guerres du Comtat Venaiss.

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