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Lettre de MM. Français et Bougon, membres de la Société des Amis de la Constitution de Nantes, et députés à Londres.

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De Chevening-House, dans le comté de Kent, le 17 septembre 1790. « Depuis deux jours, nous sommes chez le lord Stanhope; il nous a reçus comme des frères, et il ne veut point nous laisser partir. La première chose que nous avons vue chez lui, c'est une pierre de la Bastille, et des cocardes nationales. Il ne rêve qu'à la révolution de France, et il la regarde comme le plus grand événement, le plus heureux qui soit jamais arrivé. Il nous a fait toutes sortes de questions sur la position actuelle des affaires en France, avec cette inquiétude et cet intérêt que le plus chaud de nos patriotes pourrait y mettre. Il nous a conduits hier à Tunbridges Wecks, à vingt lieues de sa terre, chez le célèbre Sheridan; nous y avons passé la journée avec le lord Edwards Fits-Gerald, et trois autres membres du parlement. M. Sheridan a donné pour nous un dîner très-nombreux, où chacun a porté son toast, suivant l'usage du Pays. Lord Stanhope en a porté un à la majesté du peuple français; et M. Sheridan a exigé que ses deux enfants, qui savent à peine parler, bussent rasade et répétassent ce toast. Il est l'ami et le compagnon de plaisir du prince de Galles, qui est absolument dans les principes de la Révolution Française. Nous attendîmes hier, jusqu'à six heures du soir, ce prince, et nous aurions été fort aises de lui être présentés par

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M. Sheridan. Il y avait à Tunbridge une célèbre partie de cricket, dans une vaste place entourée de spectateurs, où les habitants de Tunbridges jouaient contre ceux de Brickeluston. La beauté du site, le grand nombre d'équipages, de tentes et de chevaux, composaient un spectacle superbe. M.me Sheridan, une des plus belles femmes d'Angleterre, nous a chanté, avec sa sœur, s'accompagnant du clavecin, des chansons patriotes et Françaises. M. Sheridan, en partant, nous a dit de marquer à nos compatriotes: Qu'il serait toujours le défenseur de leur Constitution, soit au Parlement, soit en public et dans loutes les occasions. C'est un homme chaud, qui a l'éloquence de Fox et les principes honnêtes du lord Stanhope. A notre retour chez ce lord, lady Stanhope est venue avec ses deux filles à notre rencontre, conduisant elle-même un attelage de quatre chevaux écossais. Ces deux personnes ont pour nous des attentions que nous ne pouvons exprimer. En arrivant chez lord Stanhope, en parcourant ses appartements, nous avons cru trouver un prince; mais lorsque nous l'avons connu, nous avons mieux vu que cela, nous avons vu un homme. Il y a chez lui la candeur et la simplicité d'un enfant, et au Parlement, la vigueur d'un Spartiate. Nous avons vu couler ses larmes de joie, lorsque nous lui avons dit, qu'il y avait en France quatre millions d'hommes sous les armes, et que nulle contre-révolution n'est possible. Nous l'avons vu frémir de colère, lorsqu'on lui a appris à Tunbridges la lettre de Pitt au ministère français. Il n'aime point Pitt, son beau-frère; cependant, comme il est impartial, il l'approuve dans ce qu'il fait de bien. Nous venons d'ap

prendre de Mylord, que toute la flotte est rentrée à Portsmouth et Plymouth, et que le Roi doit aller en passer la revue la semaine prochaine. Nous ressentirons tous deux un vif chagrin en quittant lord Stanhope; mais il faut que nous retournions à Londres, pour y voir le docteur Price, tous les membres de la Société, et remplir notre mission. Suivant les intentions de Mylord, M. Tchiffely nous a très-bien accueillis, il nous a fait connaître M. Christi, jeune élève et ami du docteur Price. Je vous prie de faire part de la présente à la Société, nous aurons l'honneur de lui écrire à Londres. Tout nous annonce le succès le plus complet. Quoiqu'on se défie de Pitt, qui est politique et impénétrable, on compte encore sur le parti de l'opposition, pour le détourner de faire la guerre.

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Messieurs les Administrateurs,

C'est au nom de l'humanité que je veux rappeler à votre souvenir une multitude de prisonniers que vous paraissez avoir oubliés dans le château de Brest. C'est par vos ordres qu'ils y ont été conduits; depuis cinq mois ils sont entassés dans une même salle, placés près de deux infirmeries, où sont traitées de malheureuses victimes du libertinage. La corruption de l'air, la rigueur de l'hiver, la qualité des aliments, ont porté de terribles atteintes à leur santé. Deux déjà ont succombé, un autre a perdu un œil, environ dix-huit ont été succes

sivement transférés presque mourants à l'hôpital, le reste est languissant. Les chaleurs que nous commençons de sentir et qui vont s'accroître, feront bientôt fermenter la corruption qui les environne, et infailliblement l'infection deviendra mortelle.

Ils ne sont prévenus d'aucun crime, seulement on les a soupçonnés de pouvoir en commettre; mais, Messieurs, emprisonner des hommes, parce que vous appréhendiez qu'ils ne se portassent un jour à exciter des troubles, changer ainsi les précautions en châtiments, prévenir les délits par des punitions, infliger des peines à des crimes qui n'ont pas été commis encore ; souffrez que je vous le représente, je vois dans cette conduite l'oubli de l'humanité, de la justice, de la raila violation des droits de l'homme, de votre constitution, de votre nouvel ordre judiciaire, de l'acte même qui constitue les corps administratifs.

son,

Vous avez juré fidélité à la loi, à la nation, au Roi. La loi! vous êtes en opposition avec elle. La nation! si elle est le plus grand nombre des habitants du royaume, son cri s'élève contre vous. Le Roi! par l'organe de son ministre, il vous a fait connaître ses intentions, qu'il ne m'a pas laissé ignorer.

Qu'attendez-vous donc, Messieurs, pour rendre la liberté à ces innocentes victimes, qui ne font entendre aucune plainte contre vous, à ces prêtres respectables que vous avez estimés et que vous estimez encore, si vous avez conservé les principes religieux qu'ils vous ont enseignés, et que conservent inviolablement une multitude innombrable de fidèles qui les honorent comme de géné. reux confesseurs de la foi,

Ne vous semble-t-il pas qu'il est enfin temps de briser leurs chaînes. Ah! Messieurs, ils en porteront les marques assez long-temps; jusqu'au tombeau. Quel terme avez-vous fixé à leurs maux? Sans doute, vous ne les avez pas condamnés à une mort obscure et lente, et à ne sortir des longues agonies de la prison que pour aller expirer sur un lit d'hôpital.

Je ne crains pas de vous assurer que votre intérêt même doit plaider leur cause auprès de vous. Si vous pensez que cette Constitution que vous avez juré de maintenir puisse être consolidée, ne serait-ce pas, après tant de sacrifices, de pertes et de malheurs, par le retour de la justice, de la commisération et enfin le repos. Vous jugez bien que la violation des droits, les traitements arbitraires, ne pourront la rendre douce ni désirable à qui que ce soit; je puis même vous attester que les persécutions contre le clergé ont plus que tout le reste éloigné de la révolution française la nation généreuse où j'ai trouvé un asile..

Enfin, Messieurs, la conscience n'est pas en ellemême et n'est pas pour vous un vain nom. Croyez-vous qu'elle ne vous reprochera pas un jour vos procédés contre de pauvres ecclésiastiques? Croyez-vous pouvoir contempler avec la sévérité d'une conscience juste, les humiliations, les amertumes, les maladies, les souffrances sous lesquelles vous faites expirer vos semblables; en vous les exposant, je sens que mon cœur se déchire, le vôtre restera-t-il insensible ?

Il est simple, Messieurs, que je vous paraisse plus coupable que mes fidèles coopérateurs. S'il faut une vic

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