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Extrait du Catéchisme Républicain à l'usage des SansCulottes. (Par Charles le Poitevin, dit Rezicourt.)

Cet ouvrage, composé de divers chapitres par demandes et réponses sur la Liberté, l'Égalité,

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la

Fraternité, la France, la République, la Convention nationale,

le jugement et la mort du tyran,

est suivi des pièces ci-après.

HEUREUSE JOURNÉE, OU LE TRIOMPHE DE LA MONTAGNE.

(Histoire allegorique.)

Le grenadier la Montagne et le canonnier Mitraille,

se promenaient un jour, bras dessus, bras dessous, avec leurs bonnes amies Liberté et Égalité; ils rencontrèrent en chemin plusieurs de leurs connaissances, qui étaient furieusement intriguées de les voir toujours ensemble. Que peuvent-ils dire, disait l'un; dis-donc plutôt ce qu'ils peuvent faire, disait l'autre. Cette amitié-là ne durera pas, disait celui-ci; il y a cependant longtemps que ça dure, disait celui-là. Enfin, lassés de se perdre en conjectures qui ne les conduisaient à rien, ils résolurent de les accoster, pour savoir à quoi s'en tenir. Après le premier bonjour, ils leur proposèrent d'entrer dans un cabaret qui n'était pas éloigné, pour renouveler connaissance, le verre à la main; la partie fut acceptée, car la Montagne et Mitraille, qui étaient deux sans-culottes, dans toute la force du terme, aimaient la bouteille, et buvaient aussi bien qu'ils savaient bien se battre. Liberté et Égalité, qui étaient deux sansculottes femelles, s'il en fut jamais, acceptèrent également, en disant que la bouteille et la franchise étant inséparables, elles étaient trop amies de l'une pour haïr l'autre.

Toute la société entre donc au cabaret; on demande du vin, et l'on boit à la santé de la Montagne, de Mitraille, de Liberté et d'Égalité.

Je vois bien, dit la première, que vous cherchez à savoir comment nous avons fait connaissance avec les deux lurons que voilà je vais vous le dire, écoutez-moi.

Vous savez que ma sœur et moi, nous avons, sans nous vanter, une assez jolie tournure. Dès que nous fûmes d'âge, c'était à qui nous aurait; nous qui sommes

d'humeur joviale, nous nous prêtons de bonne grâce; nous dansions avec l'un, nous chantions avec l'autre ; nous fréquentions les cabarets, les lieux d'assemblées; nous nous plaisions surtout dans les sociétés populaires, où nous étions à bouche que veux-tu. Mais notre franchise pensa nous perdre; à force d'être tiraillées à droite et à gauche, nous ne sûmes bientôt plus auquel entendre.

Un jour, que nous étions rendues de fatigue, nous fûmes accostées par un homme qui avait une figure assez douce, mais d'une douceur fade; son air était affecté; nous ne l'avions pas encore vu: il nous dit qu'il s'appelait Modérantisme, et s'assit à côté de nous.

Je vous plains, nous dit-il d'un air patelin; si vous continuez la vie que vous faites, vous ne pourrez jamais y résister. L'exercice est bon par lui-même ; mais il faut savoir y mettre des bornes; sans quoi, d'une chose salutaire, il peut résulter les plus funestes effets. Ne sentezvous pas que vous avez besoin de repos; sans le repos, Vous succomberiez à la fatigue: l'un vaut donc mieux que l'autre ; j'ai donc eu raison de vous dire qu'il faut prendre un exercice modéré, et ne pas croire ces gens qui vous font danser nuit et jour et voudraient vous mener au bout du monde. Nous donnâmes dans le panneau; son air patelin nous gagna. Que faut-il faire, lui dîmes-nous, pour jouir d'un état plus tranquille ? -Venez avec moi, nous dit-il, je vais prendre soin de vous; je vous mettrai dans un lieu où rien ne troublera votre repos. Il nous emmène en disant cela; il nous fait entrer dans une maison écartée, bâtie dans

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un lieu marécageux; assez près de là, il y avait une montagne, d'où quelques hommes, entre autres le grenadier que vous voyez, et qui, depuis ce temps-là, s'appelle le grenadier de la Montagne, nous faisaient signe de ne pas entrer et de venir avec eux. Comme nous nous croyions en lieu de sûreté, nous suivîmes notre conducteur, et, entrées dans la maison, nous y trouvâmes quantité de personnes qui nous accablèrent de caresses; mais leur air était mielleux, grimacier; leurs caresses avaient un air perfide. Au premier signal de M. Modérantisme, tout le monde disparut; ils s'en allaient en dansant et en chantant, et nous leur entendions dire : quel plaisir! nous les tenons. M. Moderantisme nous dit qu'il fallait prendre du repos, mais que pour mieux reposer, il fallait nous séparer. Ce fut alors que nous commençâmes à nous repentir de notre démarche. Nous lui dîmes en vain que nous étions inséparables, que nous ne pouvions vivre l'une sans l'autre. Vous vivrez, nous ditil, en souriant d'un air perfide; mais vous aviez adopté un mauvais régime; il faut en changer. En disant cela, il emmena ma sœur Égalité; nous étions déjà loin l'une de l'autre que nous nous tendions encore les bras. Enfin, je la perdis de vue je ne savais ce que cela voulait dire, et comme si l'air que je respirais dans cette maison eût été empoisonné, je me sentais peu à peu tomber en léthargie: Je me jetai sur un lit de repos; mes membres furent bientôt engourdis; mais cette léthargie ne m'empêchait ni de voir ni d'entendre. Je vis bientôt entrer Modérantisme, accompagné des mêmes personnes. Ce n'était plus cet air doux qu'il avait en m'abordant la

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