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turier. Enfin, en homme qui choit ses devoirs, j'ai cru devoir triompher de mon indignation, et, cédant même à d'impérieuses circonstances, j'ai toléré une réunion de deux à trois cents chouans à qui le citoyen Cormatin, suivi du général Humbert, a été en effet dans la vérité annoncer que la paix était faite.

» Maintenant, citoyens représentants, comme mes instructions et votre dernier arrêté sur la haute police doivent me servir de règle, j'ose vous demander si la décence publique, l'honneur de notre gouvernement, me permettent de souffrir que Cormatin soit ici entouré d'une garde? Je veux la paix, le bonheur de tous les Français; mais, fidèle à mes obligations, je veux mourir en défendant avec énergie les droits du peuple et la dignité de la Convention Nationale. J'attends votre réponse à cette dépêche. >>

Et il ajoutait en post-scriptum:

« Comme l'énergie de mon caractère n'altère en rien mon amour pour la paix et la concorde, je dinerai aujourd'hui avec Cormatin dont je reçois à l'instant une lettre convenante et copie de celle qu'il vous écrit. Croyez-moi, veillez cet homme. »

Toutefois, écoutons Cormatin: Il nous assure, dans un mémoire spécial, que Dubayet, s'abandonnant aux derniers excès de la fureur, s'oubliait jusqu'à l'insulter chez lui, jusqu'à le provoquer en duel, au lieu de concourir avec lui à la pacifi

cation (1). Et rendant compte aux représentants, dans une dépêche datée du 9 mai 1795, des efforts qu'il ne cesse de faire, il dit:

«La malveillance existait ici à un tel point, qu'au lieu de prêcher et d'annoncer la paix, les esprits étaient au contraire décidés à la guerre. Hier, ayant invité au village de Bazongers, les officiers qui commandent les chouans dans la partie du département de la Mayenne, les soldats ont voulu les suivre, de façon que le rassemblement était considérable. Ayant encore été attaqués par vos troupes, je trouvais les esprits aigris, montés à la vue des cocardes blanches; et les panaches qui couvraient tous les chapeaux ne me promettaient rien moins que docilité. Je vous annoncerai cependant, représentants, qu'après avoir écouté leurs plaintes, leurs griefs, ils m'ont remis le soin d'empêcher qu'ils ne soient plus vexés; qu'à ce prix ils seront tranquilles ; je leur ai promis justice et police: ils m'ont juré subordination; et, sur l'instant et à ma demande, ils ont ôté leurs cocardes et leurs panaches. Le général Humbert, témoin de tout ce qui s'est passé, peut et doit vous en rendre un compte fidèle.... J'ai fait des réglements de police pour tenir en respect les têtes échauffées qui pourraient encore troubler l'ordre et la paix dans les campagnes. Je vous les porterai moi-même et j'en ferai part au général Aubert-Dubayet.

(1) La lettre et le post-scriptum de Dubayet, que nous possédons en original, semblent toutefois peu d'accord avec ces assertions.

Mais celui-ci et Hoche sont sur les lieux, et ne paraissent avoir été que tardivement avertis de ce qui vient de se passer.

« J'étais hier avec le général Dubayet à Laval, écrit Hoche, lorsque le général Humbert, revêtu d'un uniforme chouan, vint me demander mes ordres pour sa marche, qui, suivant lui, devait être dirigée sur Mayenne, Ernée et Fougères accompagné de Cormatin. Il devait, disaitil, organiser des corps de chasseurs. Je ne pus m'empêcher de le gronder de l'inconvenance qu'il y avait qu'un officier républicain paraisse au milieu des chouans avec leur costume; Dubayet et moi lui fîmes sentir qu'il s'abaissait en servant de courrier à Cormatin, et je lui ordonnai d'aller sur-le-champ revêtir son habit: ce qu'il fit. Il était à peine sorti, qu'on vint nous apporter un exemplaire du réglement que je vous envoie. Nous ne fûmes pas peu surpris de voir avec quelle impudence Cormatin se jouait de la bonne foi, et combien il se souciait peu de paraître exécuter les lois de la Convention nationale et vos arrêtés. >>>

Que portait, en effet, ce réglement des chefs réunis avec leurs troupes à Bazougers sous les ordres de Cormatin, forcé d'avouer lui-même qu'ils se rallient toujours aux signes de la rébellion? — Il porte ; que les bandes royalistes ne doivent pas se dissoudre; qu'elles vivront sous les ordres de leurs chefs et de leurs capitaines; que, pour maintenir le calme et

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l'ordre promis, il faut des lois de police pour rappeler chacun à ses devoirs et à la subordination qu'ils ont juré de maintenir en combattant pour leur opinion; qu'aucun chef ou officier ne rentrera dans la jouissance des propriétés auxquelles il a droit par le traité de la Mabilais, qu'au préalable les soldats et leurs compagnies n'aient joui de ce privilége; qu'aucun chouan ne pourra changer de compagnie sans l'agrément de ses chefs; que nul ne sera forcé de porter la cocarde tricolore; que les déserteurs qui pourraient s'étre glissés parmi leurs soldats, obtiendront des congés absolus ou la permission de s'incorporer dans les bataillons qu'ils préféreront, etc., etc. (1).

Mais recueillons encore l'opinion de Hoche sur cette pièce :

(1) Cet acte, sans nom d'imprimeur, est signé ainsi qu'il suit:

Cormatin, Dupérat, Dufour, Picot, Tranche-Montagne dit Denis, Jambe d'Argent, Chandellier, CharlesAuguste Russe, Kerbac, La France, Place-Nette, Cœurde-Roi, Sans-Regret, Mousqueton, Coeur-de-Lion, Sans-Peur, Constant, Chambord, La Motte, La Bique, la Grenade.

« La conduite de Cormatin est abominable, les propos qu'il tient sont d'un forcené, il a en vérité perdu la tête et se croit le dictateur de la Bretagne; veuillez prêter votre attention à ce qui suit:

» Je me séparais de Dubayet à une heure après midi et pris la route de Rennes par la Gravelle et Vitré. J'avais à peine fait une lieue que j'aperçus Humbert à mes côtés sans aucune suite. J'allais lui demander pourquoi il suivait une route diametralement opposée à celle qu'il m'avait dit devoir tenir, lorsque mon escorte aperçut sur la droite de la route douze à quinze chouans armés et portant la cocarde blanche; Humbert seul courut sur eux, et ils lui dirent qu'ils se rendaient à une assemblée qui devait avoir lieu à quelque distance de là. Il les laissa donc aller, vint nous rejoindre, et disparut l'instant d'après.

» Arrivé à la Gravelle (cinq lieues de Laval) plusieurs officiers et soldats du poste me dirent que la malle venait d'être arrêtée par soixante chouans, à une lieue sur la route de Vitré, que le conducteur et un voyageur avaient été emmenés par les chouans; que ceux-ci s'étaient contentés de prendre les subsistances du courrier et n'avaient touché à aucune lettre ou paquet; qu'un détachement d'infanterie, qui, peu après était passé, n'avait rien trouvé. Je m'acheminais avec mon escorte de dix hommes de cavalerie, marchant en ordre, et bien résolu de battre quiconque s'opposerait à notre passage. Au lieu même où la malle avait été arrêtée, Cormatin, accompagné de deux chouans, dont un monté sur le cheval de Humbert, et trois hussards qu'on me dit

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