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Depuis deux jours prévenues de leurs mouvements, des colonnes, parties de Quimper, de Landerneau, de Châteaulin, de Carhaix, de Quimperlé, étaient cependant à leur poursuite; mais elles ne savaient quelle route tenir pour les atteindre, tant les rapports reçus étaient contradictoires ou incertains. Fischer, chef du 3. bataillon de la 141. demi-brigade, ne les manqua cependant que de quelques minutes, en remontant de Carhaix à Châteauneuf par Landeleau, où il passa un instant avant que les insurgés y arrivassent. Mais ceux-ci atteignaient déjà SaintHernin, Mottreff et Pleurin; ils gagnèrent Glomel et Trégarantec, pendant que les chefs républicains, Chabot, Robinet et Fischer, réunis inopinément à Carhaix, y combinaient leurs mouvements, pour se porter vers Gourin et le Faouët, pensant que l'ennemi rentrerait dans le Morbihan par les approches de Pont-Calleck et du Guémené, d'où l'expédition paraissait être partie. Mais cette méprise et quelques malentendus entre l'administration civile de Carhaix et les chefs militaires donnèrent une avance considérable aux bandes de Lantivy et de Leissègues, il ne fut plus possible de songer à les atteindre.

Ainsi qu'on peut le croire, cependant, le Mor

bihan ne devait pas être le seul théâtre de la guerre. Une lettre du général Aubert-Dubayet, datée du 10 prairial, c'est-à-dire du jour même où Grand-Champ était attaqué, nous apprend qu'un convoi de grains rentrant à Laval, fut inquiété par une forte colonne de chouans, et que l'affaire s'engagea avec assez de vivacité pour qu'une centaine de rebelles restassent sur le champ de bataille.

Les choses ne se passèrent pas autrement dans les Côtes-du-Nord: le conseil supérieur des insurgés s'y était tenu pendant long-temps; les Anglais et les émigrés croisaient constamment en vue de la côte, y versaient des armes et de l'or chaque fois qu'ils en trouvaient l'occasion; et si d'une part Boishardy et les bandes nombreuses qu'il dirigeait, s'étaient montrés peu disposés à la paix; d'une autre, les généraux Le Moine et Valletaux, qui commandaient les troupes campées à Meslin et sur la côte, n'avaient pas un désir moins prononcé pour la reprise des hostilités. Les lettres que l'un d'eux venait de saisir, leur avaient en effet démontré que la guerre était le seul moyen de déjouer les projets de l'ennemi. Ils y étaient en outre portés d'un manière irrésistible par la position du soldat et des officiers,

qui, privés de solde, de vêtements et de subsistances, s'affranchissaient chaque jour de la discipline, et n'avaient plus d'autres moyens de se nourrir que de se porter en armes chez les habitants qu'ils maltraitaient et égorgeaient quelquefois. Or, le général Le Moine était actif, vigilant et toujours disposé à payer de sa personne pour toute entreprise qui devait servir sa haine contre les royalistes. Déjà il avait plusieurs fois vivement inquiété les membres du comité et les chefs de l'armée catholique; il en avait lui-même surpris ou fait saisir quelques-uns, tels que Solihac: il ne lui fallut pas d'ordres réitérés pour qu'il s'empressât de mettre à exécution les nouveaux arrê– tés pris par les Représentants à la suite de l'arrestation de Cormatin. Mais, aussi diligent que lui, Boishardy, qui devait faire l'objet principal de ses recherches, parut échapper à ses poursuites au moins pendant quelques jours. Cependant, l'un des derniers jours de prairial, un transfuge, qui avait une première fois abandonné les rangs républicains pour passer dans les bandes de Boishardy, vint trouver le général Le Moine, et traita avec lui, dit-on, de la prise du chef des rebelles. Un détachement de la Gironde, commandé par un capitaine nommé Audillas, se mit aussitôt en

route, et se trouva à trois heures du matin le 27 prairial, près l'un des champs de la Ville-Héné en Bréhand, non loin de Montcontour. Boishardy, qui redoutait une surprise, avait fait suspendre son hamac aux branches de l'un des pommiers de ce champ, et il y passait la nuit avec une jeune femme, sa maîtresse, quand l'un des affidés, duquel on tient ce récit, l'avertit que le camp où il se trouvait était cerné.

« Reste dans ce hamac, ne bouge pas, dit Boishardy à la femme qui partageait sa couche, peut-être ne serastu pas découverte, et dans tous les cas, il est probable qu'ils ne te feront pas de mal. »

Et Boishardy, accompagné de cinq de ses gens, s'élance et se trouve bientôt hors l'atteinte des républicains. Mais le jeune chef (il avait alors 32 à 33 ans) veut savoir ce qu'est devenue sa compagne, et il revient sur ses pas se glissant le long des fossés pour s'informer de la situation de celle qu'il a un instant abandonnée... Malheureusement il est aperçu, un grenadier lui tire un coup de fusil et l'atteint dans les reins. Il veut franchir une haie, retombe, et périt sous les coups des républicains. Le transfuge qui l'a livré le reconnaît, tire son sabre, et lui en tranche la tête. Cette dépouille est aussitôt mise au bout

d'une baïonnette, et, au lever du jour, des misérables la promenaient à Bréhand et dans les rues de Lamballe! Hideuse attrocité que Hoche flétrit des lignes suivantes :

« A l'adjudant-général Crublier,

» Je suis indigné de la conduite de ceux qui ont souffert que l'on promenât la tête d'un ennemi vaincu; pensent-ils, ces êtres féroces, nous rendre témoins des horribles scènes de la Vendée? Il est malheureux mon cher Crublier, que vous ne vous soyez pas trouvé là pour empêcher ce que je regarde comme un crime envers l'honneur, l'humanité et la générosité française. Sans perdre un moment, vons voudrez bien faire arrêter les officiers qui commandaient le détachement de grenadiers et ceux d'entre eux qui ont coupé ou promené la tête de Boishardy.

» Rennes, ce 20 prairial an III.

» Le général en chef,
>> HOCHE. »

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